Читать книгу Urbain Grandier et les possédées de Loudun - Gabriel Legué - Страница 4
PRÉFACE
ОглавлениеLes nombreuses recherches historiques faites dans le but d’éclaircir le sombre drame de Loudun n’ont abouti jusqu’à ce jour qu’à soulever un coin du voile dont ce procès est enveloppé.
Les écrivains contemporains n’ont pas eu, malheureusement, la liberté de publier ce qu’ils pensaient de cette affaire, et ont dû se contenter de mentionner leurs appréciations dans des mémoires manuscrits restés enfouis dans les bibliothèques et dans les collections particulières où nous avons eu la bonne fortune de les trouver.
D’un autre côté, les livres parus à l’époque même, avec approbation royale, nous sont suspects à plus d’un titre, car ils furent composés sous l’inspiration directe des exorcistes et des gens intéressés à faire croire à la possession.
Les protestants, si nombreux à Loudun, nous ont laissé, il est vrai, des relations manuscrites assez détaillées de la possession, et, c’est sur leurs documents que le pasteur Aubin a pu faire paraître en Hollande une histoire à peu près complète de ce procès. Mais avec l’esprit de partialité qui le caractérise, l’écrivain protestant émet cette singulière théorie, que toute cette affaire n’a été qu’une comédie concertée d’avance entre les Ursulines et les ennemis d’Urbain Grandier.
Il est triste d’avouer que, jusqu’à présent, c’est le récit d’Aubin qui a prévalu dans l’opinion publique.
Si le procès d’Urbain Grandier n’a pu encore être complètement élucidé, c’est que catholiques et protestants en ont toujours fait une affaire de parti, et par conséquent ont apporté à son examen la prévention et la mauvaise foi qui sont si communes dans les questions de religion.
En publiant aujourd’hui une histoire détaillée d’Urbain Grandier, nous nous sommes proposé, nous qui n’avons pas de préjugés dogmatiques, non-seulement de démontrer comment cette possession démoniaque a pris naissance, quelles en ont été les causes et comment on l’a exploitée à Loudun, mais encore d’apporter une explication scientifique basée sur des faits médicaux absolument irréfutables.
Pour résoudre un pareil problème, nous avons dû refaire, à l’aide de documents d’une authenticité incontestable et complètement inédits, toute l’histoire d’Urbain Grandier, depuis son arrivée à Loudun jusqu’à sa mort, c’est-à-dire de 1617 à 1634.
Pendant cette période de dix-sept années, nous l’avons montré aux prises avec des ennemis tenaces, sans scrupules et capables de tout pour le perdre; nous avons insisté principalement sur le rôle très important qu’il eut la mauvaise fortune de jouer dans le démantèlement du château et des fortifications de Loudun. Nous avons raconté ses galanteries, ses nombreux procès et les embûches de toute sorte que lui suscita, sans trêve ni merci, le génie inventif et malfaisant de ses adversaires.
Enfin, nous avons dit comment le curé de Saint-Pierre eut le malheur de rencontrer dans la supérieure des Ursulines, une de ces étranges créatures dont la maladie a été et sera longtemps encore un des fléaux de l’humanité.
Mais il est surtout un fait que nous avons voulu mettre en lumière, c’est la façon odieuse dont ce procès fut dirigé par Laubardemont, l’agent du cardinal de Richelieu. Grâce à lui, on vit à Loudun le secret, l’espionnage érigés en règle suprême, la délation imposée comme une vertu et une obligation par les moines, en pleine chaire, et les magistrats de la ville, coupables d’avoir fait leur devoir, réduits au silence et même accusés de magie.
Ce misérable juge fut l’âme de cette farce sinistre dont les rôles étaient jouées par de malheureuses hallucinées. Il la soutint de tout son pouvoir. Indifférent sur les moyens de remplir les intentions de son maître, il n’y avait rien de si vil qui fût au-dessous de lui. Pendant six ans, Loudun fut en proie à la terreur. Qui pouvait, en effet, se croire en sûreté quand, de par la monstrueuse doctrine des moines, le témoignage du diable était seul accepté comme l’expression de la vérité, et qu’on pouvait écrire sous sa dictée les noms de ceux qu’il dénonçait par la bouche de ces filles? A partir de ce moment, chacun eut, de jour et de nuit, l’affreux cauchemar du bûcher.
Nous avons donné pour uniques et inébranlables bases à cet émouvant procès les matériaux, pour la plupart inédits, trouvés dans les archives de Paris et des départements et surtout dans l’admirable collection de M. Ch. Barbier. Le savant et laborieux bibliothécaire-adjoint de la ville de Poitiers a bien voulu nous prêter, dans cette circonstance, le concours le plus actif et le plus désintéressé. Nous ne savons comment lui exprimer toute notre gratitude pour les trésors qu’il a mis à notre disposition. Grâce à lui, ce travail qui n’a pas demandé moins de trois années de recherches dans les divers dépôts de manuscrits et dans les bibliothèques privées, a pu être terminé.
C’est également pour nous un devoir d’adresser nos meilleurs remerciements à l’érudit M. Sandret, à M. Paul Guérin, archiviste aux Archives nationales, à notre bon et vieil ami, le docteur Paul Servant, qui tous ont mis le dévouement le plus intelligent à la recherche des documents nombreux et variés sur lesquels est établie chacune de nos affirmations.
Gabriel LEGUÉ.
Février 1880.