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GUSTAVE LE REMPART DE CALONNE

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Un Tel a pour chef de section l'adjudant Gustave, unanimement appelé «le Rempart de Calonne», en glorieux témoignage de l'héroïsme particulier avec lequel il défendit la tranchée de Calonne, un jour où les vagues d'assaut menaçaient Verdun.

L'histoire de Gustave, noble Polonais qui guerroya sur la Marne, l'Yser et la Meuse, enchantera les enfants si, plus tard, un enlumineur fait apparaître au centre des explosions, tel il fut, couronné d'un passe-montagne troué, cet adjudant splendide qu'une crasse insigne patina sans jamais l'attrister. C'est le ruffian que dessina la plume d'or de Moréas, l'affable séducteur aux dents éblouissantes, à l'œil conquérant, une manière de conquistador en guenilles.

Au repos, Gustave est le plus appréciable des chefs de popote. Il sait dorer un rôti, épicer une sauce et charmer la plus revêche des commères. Après un copieux repas, il estime fort narrer, avec une voix chaude, de jolies aventures dont il fut le héros modeste, et ses récits ne laissent pas que de ressembler aux contes galants de la Renaissance italienne.

Gustave servit à la légion étrangère; il y apprit à dresser une tente, à découvrir du bois et de l'eau dans le désert. Il se fit craindre et chérir d'un peuple de nègres qu'il battait sans remords. Il eut les fièvres. On l'abandonna sur le fleuve Rouge, seul, dans une barque légère qui remontait vers la colonie. Il y parvint épuisé, mais vivant.

Quand il revint en France, abandonnant les rudes compagnons de la légion, il se sentit amoindri, diminué, comme si le meilleur de lui-même ne pouvait s'exprimer ailleurs qu'en un climat sauvage, parmi de vastes espaces.

Causeur habile et disert, ayant acquis, au cours de ses voyages, l'art de convaincre les hommes, ne redoutant pas les fatigues et les incertitudes d'une vie errante, Gustave fit mille métiers. Il fut placier en dentelles, coulissier; il représenta divers parfums aux noms orientaux. Certes, ces industries lui furent prospères; mais il triompha particulièrement dans la faïencerie, où son génie sut produire et répandre avec succès un article commun: le vase de nuit.

Gustave vint à la guerre, joyeusement. Il retrouvait, pour son incessant besoin d'agir, un emploi illimité. Ses capacités somnolentes d'aventurier, ses qualités de chef de bande, allaient enfin se donner libre cours.

Des combats où sa décision et sa clairvoyance lui valurent l'admiration des proches, il ne tire nul orgueil, mais il s'honore de certaines chasses à l'escargot qu'il fit, à l'aube, dans les forêts de la Woëvre, tandis que nos canons lourds bombardaient les forts avancés de Metz. Il vivait alors, au repos, dans les bois. Les escargots ayant dégorgé dans le gros sel, Gustave les savourait, aromatisés d'herbes et frits en du lard rance, au seuil de son gourbi, parmi les jeux de lumière du crépuscule. Les mouches le persécutaient, ainsi que la vague odeur d'une proche charogne. Ayant cueilli de mignonnes fraises sauvages, le Polonais reposait, pareil au Sybarite que lassa l'abus des viandes et des vins.

Un mardi gras, pour l'enchantement de sa section, Gustave fit des crêpes. La farine vint de l'arrière, les œufs furent découverts en de modestes fermes que les obus avaient épargnées; le rhum de l'ordinaire, rude comme un acide, arrosa la blonde pâte. Les crêpes sautaient sur le foyer improvisé, dorées comme des auréoles. Gustave, maître-coq orgueilleux et réjoui, joignait à l'art souverain de faire sauter la crêpe une manière rapide, discrète et non moins élégante de la déguster.

Ses exploits ont un succès égal à ses mœurs aimables. Mais son joyeux caractère et la fantaisie de sa vie semblent faire oublier sa valeur. Certes, on le sait brave et, confusément, les anciens du bataillon se souviennent d'un après-midi orageux où l'adversaire serait passé sur le monceau des corps abattus, se répandant dans la forêt traîtresse, invincible, si Gustave ne l'avait pas contraint à retourner vers ses lignes.

La femme charmante, l'exquise ménagère que Gustave aimera, plus tard, en des jours de paix et de tendresse, auprès d'un feu chanteur, ne saura deviner quel héroïsme veille au cœur de son amant; lui-même oubliera l'élan qui le souleva au-dessus des hommes et le fit pareil à ces figures irréelles des naïves légendes: hercules plongeant un fer vainqueur dans les flancs irrités d'un terrible dragon.

Tel est celui que les fervents Bretons, les mineurs farouches et les paysans de la section ont nommé le «Rempart de Calonne», affectionnant son courage et peut-être chérissant plus encore son amitié pour les ribaudes, sa présomption culinaire et la chance inouïe qui le poursuit au poker.

Un tel de l'armée française

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