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ISMES ET CRATES

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Table des matières

Les temps étaient défunts où le poète pouvait chanter:

La gloire est une couronne

Faite de roses et de lauriers.

Un Tel eût aimé exprimer ses idées en quelques mots concis et créer des œuvres peuplées d'idées claires. Mais il connut la vanité d'un tel effort. Ecrire un drame où l'on exalte l'héroïsme d'une vie simple, aux prises avec les passions, et qui sait les dompter, faire une gerbe étincelante et naïve de poèmes sont de pures folies. Des sages dirent à Un Tel: «Inventez un isme, découvrez un crate, tel est le secret de la réussite. Créez un mot, enfoncez-le comme un clou d'or dans la vieille boiserie littéraire.» Un Tel dédaigna le conseil des sages. Il s'en fut chez un isolé des lettres, un des maîtres dont l'art sobre, image de leur vie, l'enchantait.

—Vous avez du courage d'écrire à notre époque. Enfin, vous êtes jeune, il vous faudra beaucoup de courage. Je ne veux pas vous désespérer; mais comment peut-on écrire encore?

Ayant dit, triste et grave en sa maison froide, le maître reprit la plume un instant délaissée.

Un Tel avait rêvé une poésie énergique et vivante. Il lui apparaissait que la mission du poète était de faire visiter aux hommes des jardins irréels et merveilleux: d'héroïser la roulotte et le chemin, d'illuminer la vie simple et pénible des travailleurs. Loin du bluff et du snobisme des écoles, il voulait chanter, libre oiseau à qui l'on ne peut rogner les ailes. Certes, les poètes utilitaires, normaliens ivres de succès, fondateurs d'écoles, surenchéristes forcenés, méprisaient Un Tel. Les esclaves ont toujours détesté l'affranchi. Il ne voulut point former une faction nouvelle; il refusa d'associer à son art une politique arriviste et brutale. Ce fut un homme libre.

Un jeune versificateur insultait à Racine, qui, pour le remplacer, faisait retentir entre les vieux murs de l'Odéon la canonnade de Rivoli. Un sculpteur de génie mourait de froid en son atelier, alors que la foule injuste et stupide admirait Archipenko bâtissant des gnomes affreux dans des plaques de tôle. Surpassant en renommée les autres ismes, survenant après les naïfs primitifs, les anges adorables de Boticelli, le rire et les chairs de Jordaens, les arbres illuminés et rêveurs de Corot, le cubisme régnait. Sous prétexte d'originalité, toutes les folies se donnaient libre cours. Chacun désirait une vogue et des succès immédiats. L'œuvre n'était rien, et seule valait qu'on la considère la renommée que l'on en tirait. Pauvre génération qui ne savait pas qu'un artiste ignoré tailla dans un marbre immortel la victoire de Samothrace.

Un écrivain cultivé et qui n'ignorait pas que la plus haute sagesse est encore de se bien connaître soi-même avait alors émis sur ses confrères ce jugement sans douceur: «L'homme de lettres est une charogne.» L'avilissement de certaine jeunesse qui se croyait audacieuse et se disait géniale, ses procédés réclamistes et son insolente prétention feront la stupéfaction de nos fils lorsque, pour notre honte, ils nous rechercheront dans le dédale empuanti des revues littéraires.

Toutes auraient pu, en admettant qu'elles fussent courageuses, inscrire à leur fronton le dur verset du chœur aristophanesque: «Il n'est pas facile de m'adoucir, quand on ne parle pas dans mon sens.» Mais elles n'avaient qu'une sorte d'intransigeance, la pire, celle qui ne pardonne pas aux êtres d'être justes et bons.

Invoquant la chimère au corps de biche, au buste de femme, à la jambe de fauve, tous les poètes véhéments en firent un animal domestique; ils l'asservirent à leurs bas intérêts. Sans doute, férus de science, sinon de belles-lettres, ils avaient appris que la chimère, outre ses ailes qui la font traverser les mirages du monde, est aussi le roi des harengs.

En ces temps confus, les istes dévoraient les crates et réciproquement. Il y avait grande liesse en la République des lettres quand mourait de faim un poète. L'union se faisait alors. Les rongeurs accouraient en foule, brandissant leur plume vengeresse. Ils dansaient autour du cadavre qui, pour eux, exhalait une fraîche odeur d'imprimerie.

Deubel s'était jeté dans la Marne, un soir de faim et d'amertume, suicide inexplicable, puisque la veille encore une mondaine avait fait à ce gueux l'honneur de lui offrir une place de garde-chasse. Des histrions sans âme triomphaient sur les scènes parisiennes; d'habiles faiseurs encombraient les expositions d'art; des poètes volontairement abscons accaparaient les éditeurs.

La vieille boiserie littéraire allait craquer sous les innombrables clous d'or que d'impatients arrivistes y plantaient.

Mais vint la guerre.

Un tel de l'armée française

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