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IV
EN AVANT.

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Table des matières

Olivier fit quelques pas pour se rendre à la salle à manger dont la porte était restée ouverte. Vincent s’apprêta à le suivre; au même moment Gaëtan et Bénédict se levèrent avec empressement.

— Si vous le permettez, Monsieur le marquis, et vous, mon oncle, dirent-ils simultanément, nous accompagnerons Olivier.

— Je fais plus que vous le permettre, répondit M. de Bois-Morand, je vais avec vous.

–Et moi aussi, parbleu! s’écria M. de Beauplan avec une vivacité toute juvénile; je ne suis guère en tenue de combat et, avec l’âge, j’ai perdu quelque peu de ma souplesse; mais j’ai le poignet encore vigoureux et me chargerai volontiers de quelques couples de ces coquins. Mesdames, ajouta-t-il en s’inclinant avec une grâce parfaite devant Mlle Anne et ses nièces, qui stupéfaites ne savaient si elles veillaient ou dormaient, Mesdames, il ne vous reste plus, tandis que nous combattrons, qu’à faire des vœux pour notre succès.

— Ah! mon Dieu! c’est réel, vous nous quittez! vous partez tous! s’écria Mlle de Bois-Morand, pâle de surprise et d’émotion. Ces jeunes gens, je le conçois; mais vous, Gérard? mais vous, Monsieur de Beauplan?…

— Eux comme nous et nous comme eux, nous ne saurions rester tranquillement ici, tandis que nous savons notre excellent ami en danger. Du reste, poursuivit M. de Bois-Morand, en secouant pensivement la tête, soyez-en certaine, une vie de dangers sera désormais la nôtre; entre nous et les patriotes commence une lutte déjà entamée autre part. Nous serons vaincus, car nous n’avons pour nous que la pureté de nos intentions et la sainteté de notre cause; nous serons vaincus, mais il ne nous appartient pas de reculer En avant donc! et, vainqueurs ou vaincus, que notre cri soit: Vive le roi! vive la religion!

— Oui, vive le roi! vive la religion! répétèrent tous les assistants, même la timide Berthe.

M. de Bois-Morand donna ordre aux jeunes gens d’aller chercher les meilleures armes qui fussent au château. Pendant ce temps, Mlle Anne et ses nièces multiplièrent leurs instances près du chevalier et du marquis pour qu’ils prissent quelque nourriture avant de partir; le chevalier accepta un biscuit et un doigt de vin; quant au marquis, il se munit, ainsi qu’avaient fait ses compagnons, d’un morceau de pain sec; mais il refusa absolument de manger quoi que ce fût.

– Dans la disposition où je me trouve, cela me ferait plus de mal que de bien, dit-il.

Et il ajouta avec gaieté en mettant un baiser sur le front de ses filles:

– Que je ramène notre pauvre ami, et je suis capable de tout dévorer, au retour de notre expédition.

Les jeunes gens rentrèrent apportant des épées et des fusils; chacun s’arma comme il l’entendit et on se disposa au départ.

– Mon Dieu! puissiez-vous revenir! s’écria Berthe qui se sentait à bout de forces,

–Oui, oui, nous reviendrons, ayez bon espoir et priez pour nous.

– Oh! tout le temps de votre absence, nous ne ferons pas autre chose, répondit Alix, qui, plus énergique que sa sœur, fixait ses yeux à la fois humides d’émotion et brillants d’enthousiasme sur les futurs combattants.

Ils dirent adieu aux trois dames et quittèrent le salon; d’un commun mouvement, elles s’élancèrent sur leurs pas, Alix entraînant Berthe, afin de les conduire jusqu’à la porte du château.

Sur l’escalier, ils rencontrèrent Lisette, qui accourait l’air effaré, le visage bouleversé.

– Eh bien, Lisette, qu’as-tu? que se passe-t-il? demanda le marquis, qui marchait à la tête de la petite troupe.

– Oh! il se passe des choses bien extraordinaires, Monsieur le marquis, le tocsin sonne à la paroisse; la grande cour est remplie de gars armés de bâtons et de fourches; une dizaine peut-être ont des fusils, vous allez les entendre crier… Enfin, on dit que M. le curé a été tué par le grand Rivet et sa bande, au carrefour noir de la forêt de la Garde.

– Pour cela, il n’en est rien, Lisette, répliqua vivement Olivier: M. le curé est prisonnier de Rivet; mais j’espère bien qu’il est encore vivant.

En ce moment, une vive rumeur s’éleva de la cour d’entrée et monta jusqu’à nos différents personnages, qui s’arrêtèrent surpris.

— Amis ou ennemis? dit M. de Bois-Morand en prêtant l’oreille, tandis que ses compagnons se consultaient du regard et que les trois dames, peu rassurées, se serraient tremblantes les unes contre les autres,

— Amis, Monsieur le marquis, répondit Lisette. Ce sont les gars de la Forlière et des villages voisins: il n’y a guère de patauds parmi eux.

— Je ne le crois pas. Du reste, nous allons savoir ce qu’ils nous veulent.

On se rendit dans la cour, où se trouvaient rassemblés deux cents hommes environ, accourus de toutes parts en entendant les vibrations sinistres du tocsin, et armés de la façon qu’avait annoncée Lisette.

Ils acclamèrent longuement les différents membres de la famille de Bois-Morand, lorsqu’ils les virent, à la lueur d’un flambeau que portait un domestique, apparaître sur le perron. Toutes ces figures-là étaient si universellement aimées: le marquis, Mlle Anne, les jeunes gens et jusqu’au chevalier! Il était un peu maniaque, un peu original peut-être, mais si bon, si loyal! L’enthousiasme fut au comble quand les jumelles se montrèrent, appuyées l’une sur l’autre et si modestes, si charmantes dans leurs vêtements blancs.

– Les beaux anges, s’écria-t-on, et dire que ces scélérats ont empêché leur mariage de se faire! Vivent les Colombes de la Forlière! mort, mort aux patauds!

– Mes amis, que signifie tout ce bruit? Qui vous amène à une heure pareille? Que voulez-vous?

–Monsieur le marquis, nous voulons faire la guerre à ceux qui tuent nos prêtres! répondirent tous les paysans d’une commune voix. Que M. Olivier et MM. de Martigny se mettent à notre tête, et on verra un peu.

– Faire la guerre, dites-vous? Et comment, mes pauvres enfants, voulez-vous faire la guerre?

–N’importe comment, notre maître, pourvu que nous la fassions, répondit un des plus hardis de la bande. Que ces messieurs ne craignent pas de venir avec nous autres, nous ne tremblerons pas, nous ne reculerons pas, allez! Ah! les nationaux tuent les rois, chassent les nobles, massacrent les prêtres, veulent nous imposer leurs . lois!… Non! non! nous ne leur obéirons pas, coûte que coûte! aussi, ils ont beau fabriquer leurs menottes pour nous les mettre et nous emmener deux à deux à la frontière, ils ne parviendront pas à nous faire marcher malgré nous. Qu’ils essayent donc de nous poser leurs menottes, et on verra comme ils seront reçus! Il faut chasser les ennemis de la France, disent-ils. Les ennemis de la France ne sont-ce pas ceux qui font couler chaque jour le sang de ses enfants? De quel droit font-ils périr des millions de victimes? De quel droit ont-ils chassé nos bons prêtres, pour les remplacer par leurs assermentés, qui iront, comme eux, tout droit chez le diable, à moins qu’ils ne se rétractent? Tout ça ne peut pas durer comme cela; il faut que ça finisse, il faut se lever et marcher!… Vous savez ce qu’ils ont fait de notre pauvre M. Durand?

– Ils l’ont assassiné! crièrent un grand nombre de voix. Mort! mort aux assassins!

– Mes amis, du calme, dit M. de Bois-Morand, dominant le tumulte de son accent à la fois vibrant et ferme. M. le curé est aux mains des patriotes, mais il vit encore, j’ose l’espérer. Nous partions pour opérer sa délivrance; puisque vous êtes si décidés, voulez-vous vous joindre à nous?

– De grand cœur, Monsieur le marquis; et s’ils l’ont tué, vous nous aiderez à le venger!

– Mes amis, ne parlons pas de vengeance, cela nous porterait malheur; car, vous le savez, Dieu seul a le droit de l’exercer. Rappelez-vous que nous nous armons pour une cause sainte, nous devons donc nous en montrer dignes; par conséquent il ne faut nous porter à aucun excès, ni à aucun désordre, ni même à aucune action en désaccord avec nos principes et nos convictions. Nous marchons sous un drapeau sans tache où sont inscrits ces mots; Dieu et le roi! qu’ils soient pareillement gravés dans votre cœur.

– Oui, oui, Monsieur le marquis, nous le jurons!

– En route donc, mes amis!

– En route! répétèrent les gars brandissant d’une façon toute martiale leurs singulières armes.

Les habitants du château échangèrent une fois encore de rapides et touchants adieux; les trois dames étaient descendues du perron dans la cour, et elles circulèrent un moment parmi les groupes de paysans, afin de leur adresser quelques encouragements.

Touchez un peu nos armes, Mesdemoiselles, disaient-ils aux jumelles, ça nous portera bonheur.

– Oh! nous voudrions bien que vous disiez vrai! répondirent-elles promenant leurs petites mains blanches sur chaque bâton, sur chaque fusil et sur les fourches même, sans être effrayées le moins du monde par cet instrument dangereux, instrument de travail devenu entre les mains des habitants de nos campagnes un si puissant auxiliaire dans leur tentative contre la Révolution.

Au moment de s’éloigner, Gaëtan et Bénédict, s’approchant des deux jeunes filles, leur dirent à demi-voix:

– Berthe, Alix, toucherez-vous nos armes, à nous aussi, pour que cela nous porte bonheur?

– Oh! bien volontiers, répliquèrent-elles en appuyant leurs doigts fins et délicats sur les fusils de leurs fiancés. Nous ferons même mieux.

Un doux sourire aux lèvres, elles enlevèrent au bouquet artificiel qui ornait leur ceinture une petite rose blanche et elles la tendirent aux deux jeunes gens, qui la reçurent avec transport, y imprimèrent leurs lèvres et en parèrent leur boutonnière en disant:

— Nous portons à la fois vos couleurs et celles de notre cause. Merci! merci! et à bientôt!

— A bientôt! répondirent-elles avec un charmant geste d’adieu.

Les deux frères allèrent reprendre leur place parmi les soldats improvisés qui commençaient à abandonner la cour. Les dames regardèrent quelque temps leurs ombres s’agiter dans les ténèbres; puis, quand il ne leur fut plus possible de rien distinguer, elles poussèrent un douloureux soupir et montèrent les degrés du perron, afin de rentrer au château.

— Rémy, éclaire-nous, dit Mlle Anne en se retournant vers l’endroit où elle avait vu le jeune domestique se tenir armé de son flambeau.

Iln’y était plus; le flambeau était aux mains de Lisette.

— Rémy est rentré depuis quelque temps déjà, Mademoiselle, dit la jeune fille; il m’a dit d’éclairer ces dames à sa place.

– Pauvre Rémy! dit Berthe de sa voix douce, il est fatigué sans doute; il a eu tant d’occupations aujourd’hui!

– Ou bien il a du chagrin de ne pas faire partie de l’expédition, ajouta Alix. Pourquoi, s’il en avait envie, ne l’a-t-il pas demandé à papa? Il ne lui aurait certainement pas refusé cette faveur, il l’aime bien trop pour cela.

Lisette, elle, ne dit rien; seulement un sourire, légèrement dédaigneux, plissa sa bouche expressive, et, son flambeau à la main, elle continua à précéder ses maîtresses jusqu’à la chambre des jumelles.

Arrivées là, Alix et Berthe sautèrent au cou de leur tante et l’embrassèrent à plusieurs reprises.

– Chère tante, dirent-elles, nous restons donc avec vous! Ah! si nous n’avions pas l’inquiétude du danger que peuvent courir nos chers combattants et celle que nous cause le sort de notre bon curé, comme nous serions heureuses en pensant à notre départ manqué! Aide-nous bien vite à nous déshabiller, Lisette, que nous allions à la chapelle pour y attendre le retour de nos absents.

–Attendre leur retour, sainte Vierge! Et s’ils ne reviennent que demain matin?

— N’importe! nous ne nous coucherons pas, dit Alix, moi du moins.

— Et moi pas davantage, dit Berthe. Il me serait vraiment impossible de fermer l’œil sachant les nôtres en danger. Si tu es fatiguée, Lisette, tu peux te retirer.

— Non, non, Mademoiselle, je veillerai, moi aussi; je ne sais guère bien parler au bon Dieu, mais enfin il voudra bien m’écouter tout de même, parce que vos prières et celles de Mlle Anne feront passer les miennes.

— Ce sera très-probablement le contraire qui arrivera, ma chère Lisette, dit Mlle Anne avec gravité; il se peut très-bien que ce soient, au contraire, tes prières qui fassent passer les nôtres, comme tu dis: car le bon Dieu ne s’arrête pas, lui, à la forme d’un discours, et peu lui importe qu’il soit obscur ou brillant, pourvu qu’il parte d’un cœur confiant et fidèle.

— Dame, Mademoiselle, quand je demande quelque chose au bon Dieu, c’est bien avec l’idée qu’il me l’accordera, s’il le veut, puisqu’il peut tout!

Nous voici prêtes, dit Alix; descendons.

–Oui, dit Lisette, que ces demoiselles descendent: pour moi, je vais mettre un peu d’ordre ici avant de les rejoindre.

–Fais comme bon te semblera, répondirent les jumelles, qui s’emparèrent chacune d’une des mains de leur tante et sortirent avec elle.

Un instant après, elles pénétraient dans le petit sanctuaire attenant au château, où, par un précieux privilège, on conservait la sainte Eucharistie, et, se prosternant dans l’attitude de la supplication et du recueillement sur des prie-Dieu rangés devant la balustrade enfermant l’autel, elles invoquèrent du fond du cœur le Dieu des combats.

Les colombes de La Forlière

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