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V
LISETTE.

Table des matières

La besogne qui avait empêché Lisette de suivre ses maîtresses fut promptement terminée sans doute; car à peine dix minutes s’étaient-elles écoulées que la fillette, une petite lanterne à la main, traversait d’un pas léger et furtif le grand corridor reliant entre eux les différents appartements du château.

Posant sa lanterne à terre, elle alla coller son œil espiègle contre la vitre d’une des hautes fenêtres, et l’y tint longtemps appliqué. A cette heure avancée, par quoi pouvait être captivé le regard de Lisette? Il faisait nuit, il n’y avait pas de clair de lune, il était impossible de rien distinguer au dehors, si ce n’est les grands arbres dépouillés du parc se confondant avec ceux du bois de la Forlière et de la Garde et formant avec eux, au milieu des ténèbres, une masse sombre et compacte dont l’œil ne pouvait au juste mesurer l’étendue. Disons-le tout de suite, Lisette n’était point venue se placer à la fenêtre avec l’intention d’admirer les beautés de la nature, auxquelles elle n’était peut-être pas très-sensible, et elle ne chercha pas à voir au delà de l’aile du château faisant face à celle où elle se trouvait.

— Quelle obscurité partout! dit-elle; il n’est sans doute pas chez lui, puisque aucune lumière ne brille à travers ses volets. S’il dormait!… Ah! bah! il est à peine onze heures, et jamais il ne se couche qu’après minuit. J’en aurai le cœur net; l’armoire du laboratoire saura bien me révéler, sans qu’il s’en doute, s’il est ou non chez lui.

En parlant ainsi, Lisette quitta l’embrasure de la fenêtre et entra dans une grande pièce meublée et ornée avec un goût simple et sévère; c’était celle de Mlle Anne; l’œil n’y rencontrait qu’un seul objet riant, c’était un tableau de grande dimension représentant Olivier et ses sœurs enfants, réunis dans un groupe charmant où un lévrier blanc tenait sa place avec avantage.

Lisette ne fit que passer dans cet appartement, où elle constata d’un rapide coup d’œil que ses services n’étaient pas nécessaires, et elle pénétra dans une pièce voisine, que Mlle de Bois-Morand appelait son magasin, parce qu’elle y rassemblait les objets de tous genres qu’elle distribuait chaque semaine aux nécessiteux du pays. A cette pièce attenait un vaste cabinet; c’était le laboratoire ou la pharmacie, ainsi nommée parce que la sœur du marquis y préparait et y conservait les remèdes qu’elle avait coutume de porter elle-même aux malades, qui s’en rapportaient souvent avec plus de confiance à son expérience qu’à la science du médecin de Machecoul appelé à leur chevet.

Le laboratoire était le but de l’expédition mystérieuse de Lisette. Elle ouvrit la porte avec une sorte de crainte respectueuse, déposa sa lanterne sur le seuil, et dit, en appuyant deux doigts sur ses lèvres comme pour se recommander à elle-même le silence:

–Si Mlle Anne me voyait, comme elle me gronderait d’entrer ici, seule et surtout avec de la lumière! Je ne suis pas peureuse, mais je ne voulais pourtant pas y venir à tâtons.

Tout en parlant, elle alla ouvrir une petite armoire pratiquée dans l’épaisseur de la muraille, et dans laquelle on renfermait les plantes qui n’avaient pas été triées encore et que Mlle Anne et ses nièces allaient elles-mêmes cueillir dans les champs et dans les bois. Lisette n’était ni grande ni épaisse; elle se fit, s’il était possible, plus petite et plus mince encore, pour se blottir entre le bas de l’armoire et la première étagère, et elle colla son oreille contre le fond qui n’était qu’une mince cloison..

— Rien! dit-elle, décidément il dort. Bah! j’entendrais le bruit de sa respiration. Non! non! il n’est pas là!… Il est sorti aussitôt après m’avoir remis le flambeau et avant même le départ de nos maîtres. Où est-il allé?… Peut-être à Machecoul. peut-être chez cet homme, ce sabotier, ce Grégoire qui a si mauvaise mine et que je n’ai jamais pu souffrir… J’ai vu Rémy entrer deux fois dans sa vilaine cahute, il n’allait certainement pas lui commander des sabots. Et même il se cachait, car avec quelles précautions il se glissait dans le sentier aux Morilles et comme il regardait derrière lui pour s’assurer que personne ne le voyait ni ne le suivait! J’étais si bien cachée qu’il ne m’a pas vue, et je me suis bien vite sauvée au château pour qu’il ne pût pas, à son retour, me rencontrer sur son chemin… Ici, tout le monde a confiance en lui, tout le monde raffole de lui; quant à moi…

Lisette termina sa phrase par une grimace des plus expressives: elle appliqua de nouveau son oreille contre la cloison, aucun bruit, pas le moindre souffle ne trahit la présence d’un être quelconque dans la chambre voisine.

– Rien, toujours rien, dit-elle. Et nos pauvres demoiselles qui s’imaginent bonnement qu’il est à s’attrister de n’être pas parti avec les autres!… Avec cela que, s’il en avait eu bonne envie, il se serait gêné pour demander à M. Olivier la permission de l’accompagner! allons donc!

Lisette fit, en sortant de sa cachette un haussement d’épaules significatif.

–Hum! dit-elle en fermant la porte de l’armoire, tous ces gens qui viennent on ne sait pas d’où, ce n’est jamais franc du collier. Je ne mettrais pas mon petit doigt dans le feu pour affirmer que Rémy ne s’entend pas avec les patauds.

Elle sortit sans bruit du laboratoire, reprit sa lanterne, se glissa de son même pas léger et mystérieux à travers les différentes pièces composant l’appartement de Mlle Anne, et se retrouva dans le corridor. A peine y avait-elle fait quelques pas qu’elle tressaillit en apercevant une ombre se mouvoir à l’extrémité.

— C’est lui! pensa-t-elle, il n’a pas eu le temps d’aller jusqu’à Machecoul et d’en revenir. Il se sera contenté de parler au sabotier et… Oh!serait-il donc possible qu’il trahît ses maîtres? Serait-il donc possible que celui qui a été comblé de tant de bienfaits jouât ici le rôle d’espion?

A la vue de la lumière apparaissant inopinément devant lui, le personnage reconnu par Lisette eut un moment d’hésitation; peut-être allait-il rebrousser chemin, il n’en fit rien; prenant bravement son parti, il poursuivit sa marche, affectant un calme, une tranquillité que la rougeur de son front, la contraction de ses traits, le feu sombre de son regard eussent démenti, s’il eût fait plus jour ou si la lueur de la lanterne de Lisette eût été plus vive.

En passant à côté de lui, la malicieuse soubrette le toisa d’un regard moqueur, en s’écriant:

– Tiens! Rémy, où donc avez-vous laissé vos sabots neufs? Est-ce qu’ils n’étaient pas prêts?… Quel contre-temps! Vous en étiez bien pressé pourtant, puisque vous avez laissé votre service pour courir les chercher.

– Que chantes-tu là? dit Rémy avec hauteur, je ne sais, en vérité, ce que tu veux dire, et ne m’arrêterai même pas à écouter tes sornettes, s’il ne me plaisait de te dire que je n’entends aucunement que tu te mêles de mes affaires, ni de mes actes.

– Oh! ma foi, je vous assure bien que je ne m’occupe pas ordinairement de vous, répliqua la jeune fille sans se déconcerter. Et si tout le monde faisait comme moi, si chacun ne se mêlait que de ce qui le regarde, il y a bien des choses et bien des gens qui iraient plus droit.

Sur ces mots elle partit d’un irrévérencieux éclat de rire, fit un salut ironique et tourna lestement les talons, se dirigeant vers la chapelle où elle avait promis de rejoindre ses maîtresses.

– Petit serpent! murmura Rémy quand elle eut disparu, ah! tu te permets d’espionner les autres!… eh bien! sois tranquille, va, on te surveillera toi aussi.. Elle n’avait pas tant de caquet, tantôt, quand elle se croyait près d’adresser au beau Michel des adieux à peu près éternels. Et pourtant, en ce moment, qui sait si le bien-aimé de son cœur est encore de ce monde?… Ah! Lisette, ma belle, les larmes sont bien souvent peu éloignées du rire. Et ces sabots qu’elle est venue me lancer à la tête, au figuré, s’entend, car autrement elle aurait été très-bien reçue,–qu’a-t-elle voulu dire par là?… Soupçonnerait-elle donc, car elle ne peut pas savoir!… Ohh! elle est si endiablée, que je ne voudrais pas dire qu’elle ne m’a pas suivi. Enfin elle n’est pas entrée toujours, à moins qu’elle n’ait le privilège de se changer en souris, en mouche ou en grain de poussière. Donc, tranquillisons-nous, elle ne sait rien. Mais, je te le répète, on te surveillera, ma commère, et malheur à toi si.

Il s’interrompit croyant entendre un léger bruit; cette fois, c’était sans doute quelque rat se glissant sournoisement entre les boiseries, car personne ne parut. Rémy, tout en poursuivant sa route, put continuer en paix son monologue. Toutefois il ne parlait pas assez haut désormais pour qu’il fût possible de distinguer ses paroles; quelques mots seulement, vibrant sur ses lèvres avec plus de force, pouvaient être recueillis et permettaient de supposer que le jeune domestique, gagné au courant des idées nouvelles, n’était pas éloigné de donner raison aux soupçons de Lisette.

A peine eut-il pénétré dans la chambre propre et gentille occupée par lui seul au château, qu’il en ferma soigneusement la porte et alla ouvrir la fenêtre pour s’y accouder. L’air était vif, pénétrant, presque glacial; mais Rémy avait du feu dans les veines et les tempes mouillées d’une sueur brûlante; cet air-là lui faisait du bien. Quand il eut donné pendant quelques instants cours aux pensées tumultueuses qui se pressaient dans son âme, il quitta la fenêtre, se procura de la lumière et se jeta sur un siège avec une sorte d’accablement. Son visage, que nous n’avons fait qu’entrevoir dans une demi-obscurité, nous apparaît maitenant en pleine lumière. C’est un visage jeune,–Rémy a à peine vingt-cinq ans,– un visage intelligent, d’une beauté peu commune et singulièrement énergique. Pourquoi faut-il qu’un triste pli vienne s’imprimer sur ce front, haut et fier, si admirablement couronné par les masses brillantes d’une onduleuse chevelure noire et qui paraît si bien fait pour abriter de grandes pensées! Pourquoi faut-il que cet œil, largement fendu, limpide et expressif, soit traversé par des éclairs qui le rendent dur et farouche! Pourquoi faut-il enfin que ces lèvres aux contours fermes et corrects distillent l’ironie et le fiel! le charmant sourire de la jeunesse leur irait si bien! Rémy est beau et par moment il semble laid: la physionomie est si parfaitement le miroir de l’âme!

Rémy n’était pas au château de la Forlière un serviteur ordinaire; il y avait été élevé et il était presque considéré comme membre de la famille; à ce titre, il semblait que son attachement pour les Bois-Morand dût être aussi vrai que profond; il n’en était rien. Rémy avait contre eux deux griefs qu’il ne pouvait ni oublier ni pardonner: ils étaient les maîtres, et lui le serviteur.

Qu’il nous soit permis de retourner un peu en arrière pour dire au lecteur de quelle façon avait été introduit à la Forlière ce personnage qui doit jouer un rôle important dans notre histoire et lui apprendre dans quelle situation il s’y trouvait.

Les colombes de La Forlière

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