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LETTRE LXXXI

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À M. HARNESS

15 décembre 1811.

«J'ai fait à votre dernière une réponse dont, par réflexion, je ne suis pas plus content que vous ne l'aurez probablement été vous-même. Je n'attendrai donc pas une nouvelle de vous pour vous dire que je viens d'avoir l'avantage d'une épître de ***, pleine de toutes ses petites doléances; et cela au moment où, par suite de circonstances qu'il serait trop long de raconter, je luttais contre le souvenir de douleurs auprès desquelles ses souffrances imaginaires sont comme une égratignure en comparaison d'un cancer. Tout cela combiné m'avait mis de mauvaise humeur contre lui et contre le genre humain. La dernière partie de ma vie s'est passée dans une lutte continuelle contre les affections qui ont empoisonné la première. Quoique je me flatte d'être parvenu à les dompter, il y a cependant de certains momens, et celui-là en était un, où je suis aussi fou qu'autrefois. Je n'en ai jamais tant dit, et je ne vous en eusse pas parlé ici, si je ne craignais d'avoir été un peu trop sauvage dans ma dernière, et si je ne désirais vous en offrir cette espèce d'excuse. Vous savez du reste que je ne suis pas de vos troubadours langoureux; ainsi tâchons de rire maintenant.

»Hier j'allai avec Moore à Sydenham, faire une visite à Campbell 9. Il n'était pas visible; et nous nous en revînmes assez gaîment. Demain je dîne avec Rogers; et nous irons entendre Coleridge, qui fait presque fureur dans ce moment-ci. Hier soir j'ai vu Kemble dans Coriolan; il était superbe, et a joué magnifiquement. Par bonheur, j'ai eu une excellente place dans la meilleure partie de la salle, qui était plus que pleine. Clare et Delaware, qui y étaient aussi, ne furent pas si heureux. Je les ai vus par hasard: nous n'étions pas ensemble. J'aurais voulu que vous fussiez là; avec votre amour pour Shakspeare et la tragédie bien jouée, cette soirée vous eût fait éprouver de bien vives jouissances. La semaine dernière j'éprouvai tout le contraire à Haymarket, en voyant M. Coates jouer Lothario; il fut sifflé à outrance, et le méritait.

Note 9: (retour) Cette promenade me fit connaître d'une manière assez peu rassurante l'une des singularités de Lord Byron. Au moment où nous quittions son logement de Saint-James's-street, vers le midi, il demanda au domestique qui fermait la portière du vis-à-vis: «Avez-vous mis les pistolets dans la voiture?» La réponse fut affirmative. Il était impossible de ne pas sourire de cette précaution prise en plein midi; surtout en égard aux auspices sous lesquels notre liaison avait commencé.(Note de Moore.)

»Je vous ai parlé dans ma dernière lettre du sort de B** et de H**; c'est bien ce que méritent ces sentimentalistes, qui vont se consoler dans des maisons de prostitution de la perte, l'irréparable perte, désespoir d'un attachement si noble, la perte de deux courtisanes! Vous censurez ma manière de vivre, Harness; quand je me compare à ces hommes plus âgés, que moi et dans une position plus brillante, en vérité, je commence à me regarder comme un monument de prudence, une statue ambulante, incapable de sentimens et de faiblesses; et cependant le monde en général m'attribue sur ces hommes-là une orgueilleuse supériorité dans la carrière du vice. Au bout du compte j'aime assez B** et H**; et il ne m'appartient pas, Dieu le sait, de condamner leurs erreurs. Mais j'avoue que je ne puis souffrir de les voir honorer de telles liaisons du nom d'amour… attachemens romantiques pour des choses qu'on peut acheter un écu!

16 décembre.

»Je viens de recevoir votre lettre; je suis pénétré de l'affection que vous me témoignez. La première partie de ma lettre d'hier vous aura parti, j'espère, une explication de la précédente, quoiqu'elle ne suffise pas pour l'excuser. J'aime à recevoir de vos nouvelles… j'aime… le mot n'est pas assez fort. Après le plaisir de vous voir, je n'en connais pas de plus grand. Mais vous avez d'autres devoirs, d'autres amusemens; et je ne voudrais pas vous enlever un moment aux uns ou aux autres. Hogdson devait venir aujourd'hui, mais je ne l'ai point vu. Les faits dont vous parlez à la fin de votre lettre sont de nouvelles preuves à l'appui de mon opinion sur les hommes. Tels vous les trouverez toujours, égoïstes et défians; je n'en excepte aucun. La cause en est dans l'état de la société. Dans le monde, chacun ne doit compter que sur soi; il est inutile et peut-être égoïste d'attendre rien des autres. Mais je ne crois pas que nous naissions ainsi; car il y a de l'amitié au collége, et assez d'amour avant l'âgé de vingt ans.

»Je suis allé voir ***; il me retient en ville, où je ne voudrais pas être actuellement. C'est un homme bon, mais tout-à-fait sans conduite. Maintenant, mon cher William, il faut que je vous dise adieu.

»Croyez-moi pour toujours votre bien affectionné, etc.»

Dès le moment de notre première entrevue, à peine laissâmes-nous passer un jour sans nous trouver ensemble, Lord Byron et moi; et notre connaissance se changea en intimité et en amitié avec une promptitude dont j'ai vu peu d'exemples. Je fus très-heureux dans toutes les circonstances qui marquèrent nos premiers rapports. Pour un cœur aussi généreux que le sien, le plaisir de réparer une injustice aida peut-être beaucoup l'impression favorable que je pouvais avoir faite sur son esprit, tandis que la manière dont j'en demandais réparation, exempte de colère ou de rien qui ressemblât à un défi, ne lui laissa aucun souvenir fâcheux de ce qui s'était passé entre nous. Point de compromis ou de concessions qui pussent blesser son amour-propre, ou diminuer la grâce de cette franche amitié à laquelle il m'admit si cordialement tout d'abord. Ce fut encore un bonheur pour moi que ma liaison avec lui se formât avant qu'il ne fût arrivé à l'apogée de ses succès, avant que les triomphes qui l'attendaient n'eussent mis le monde à ses pieds, et donné à d'autres hommes illustres qui recherchèrent son amitié, des chances bien plus sûres de fixer son estime. Quoi qu'il en soit, la nouvelle carrière que lui ouvrirent ses succès, loin de nous détacher l'un de l'autre, ne fit que nous mettre plus souvent ensemble, et par conséquent rendre notre liaison plus intime. Certaines circonstances m'avaient fait admettre dans cette haute société où l'appelait son rang; et quand, après avoir publié Childe-Harold, il commença à voir le monde, ceux qui étaient depuis long-tems mes amis intimes devinrent les siens. Nous allions généralement dans les mêmes maisons; et dans la saison toujours si gaie d'un printems à Londres, nous nous trouvions, comme il le dit lui-même dans une de ses lettres, embarqués ensemble dans le même vaisseau de fous.

Mais au moment où nous nous vîmes pour la première fois, il était, pour ainsi dire, seul dans le monde. Même ses connaissances de cafés, qui, avant son départ d'Angleterre, lui avaient tenu lieu d'une meilleure société, étaient ou abandonnées ou dispersées. À l'exception de trois ou quatre camarades de collége, auxquels il paraissait fortement attaché, M. Dallas et son avoué semblaient les seules personnes qu'il pût appeler ses amis, et quels amis! Trop fier pour se plaindre de son isolement, qui lui était évidemment pénible, l'état d'abandon dans lequel il se trouva arrivé à l'âge d'homme fut une des sources principales de ce dédain vengeur qu'il affectait pour le genre humain, et que les hommages tardifs qu'il en reçut ne purent parvenir à éteindre. L'effet que produisit sur son caractère adouci le commerce si court qu'il entretint dans la suite avec la société, prouve que son cœur se fût rempli des sentimens les plus doux si le monde lui eût souri plus tôt.

Toutefois, en recherchant ce qu'eût pu être son caractère dans des circonstances plus favorables, n'oublions pas que ses défauts mêmes furent les élémens de sa grandeur; que c'est de la lutte de ce qu'il y avait de bon et de mauvais dans son naturel que son génie tire sa force et son éclat. Un accueil plus flatteur dans le monde eût sans doute adouci et fléchi son caractère acerbe; mais peut-être aussi lui eût-il ôté quelque chose de sa vigueur: la même influence qui aurait répandu plus de charmes et de bonheur sur sa vie aurait pu être fatale à sa gloire. Dans un petit poème qu'il paraît avoir composé à Athènes, en 1811, et que l'on trouve écrit de sa main sur le manuscrit original de Childe-Harold, il y a deux vers qui, à peine intelligibles si on les joint à ceux qui précèdent, peuvent, pris isolément, s'interpréter comme l'expression d'un sentiment prophétique, et de la conviction que de la ruine et du naufrage de toutes ses espérances naîtrait l'immortalité de son nom.

Cher objet d'un attachement malheureux! quoique privé maintenant et d'amour et de toi, il me reste ton souvenir et mes larmes pour me réconcilier avec la vie. On dit que le tems peut détruire la douleur, je sens qu'il n'en est rien; car ma mémoire devient immortelle par le coup même qui tue toutes mes espérances.

Pendant les premiers mois de notre liaison, nous dînions souvent tous les deux ensemble, n'ayant pas de société commune où nous pussions nous trouver. Il n'appartenait alors qu'à l'Alfred, et je ne faisais partie que du Wattier. Nous prenions généralement nos dîners chez Saint-Alban ou chez Steven, dont il était une ancienne pratique. Quoique de tems en tems il bût du vin de Bordeaux assez largement, il persistait dans son système d'abstinence quant aux mets. Il paraît qu'il s'était fait l'idée qu'une nourriture animale avait quelqu'influence sur le caractère. Je me rappelle qu'un jour, étant assis en face de lui, il me regarda quelques secondes manger avec appétit un beefsteak, puis me demanda du ton le plus sérieux: «Moore, ne pensez-vous pas que ces beefsteaks doivent finir par vous rendre féroce?»

Ayant cru que je désirais faire partie de l'Alfred-club, il se hâta de me proposer pour candidat; toutefois, la résolution que j'avais prise, dans l'intervalle, de vivre à la campagne, rendait inutile la souscription à un nouveau club. J'écrivis donc à Lord Byron pour le prier de rayer mon nom; et j'éprouve un plaisir que l'on me pardonnera sans doute, à insérer ici sa réponse, quoique peu intéressante du reste, parce que c'est la première épître familière dont il m'ait honoré.

Œuvres complètes de lord Byron, Tome 10

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