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ÉVIAN.

Nous arrivons de Genève; le pays que nous avons parcouru ce matin n’offre rien de remarquable; à une lieue de la ville près du village de Vesenas, la route s’éloigne du lac que l’on perd de vue, et qu’on ne retrouve dans le lointain que par intervalles; elle s’étend le plus souvent en ligne droite dans un terrain plat et mal cultivé, dominé successivement par les hautes Alpes, les Voirons, et le coteau de Boisy, A deux lieues et demie de Dovaine, premier village de la Savoye, on atteint la ville de Thonon, capitale du Chablais; quelques minutes après, on traverse un pont étroit et fort long sur la Dranse; cette rivière, dont le cours forme une ouverture dans les montagnes à la droite du chemin, s’étend près de son embouchure sur un grand espace qu’elle couvre de pierres. À l’extrémité du pont le pays prend un aspect différent, les montagnes se rapprochent, de vertes collines, couvertes de beaux arbres bornent le chemin.

Pour éviter une route monotone, j’ai fait à une autre époque, le trajet de Genève à Thonon par eau. Le vent ne nous favorisait point, et les bateliers ne quittèrent la rame que pour nous remorquer du rivage; suivant péniblement un sentier sur la grève, ils tiraient notre bateau qui côtoyait lentement toutes les sinuosités de la rive. Qu’il y a loin de cette manière de cheminer, qui laisse au passager l’impression de la fatigue de ses conducteurs, à la course d’une légère embarcation entraînée par les vents le long d’une côte qui fuit derrière elle; dans notre marche les objets vus de loin, long-tems attendus perdaient de leur coloris.

Nous dépassâmes le côteau de Cologny couvert de vignes et de maisons de campagnes, les côtes plus basses de Collonges et d’Anière, le village d’Hermance, le château de Beauregard, dont la façade blanche se détache du milieu des bois qui l’entourent, les maisons à fleur d’eau de Narnier, la vieille tour d’Ivoire derrière laquelle s’ouvre le golfe de Coudrée; là se forme le grand lac que l’on distingue du petit lac, nom donné à sa partie occidentale.

Au fond du golfe s’élève le château de Coudrée; sur le bord opposé, la ville de Thonon et son port. On découvre les collines qui dominent Évian, la chaîne des montagnes qui suivent les Voirons, les Alpes de Gruyère, les Dents d’Oche jusqu’à leurs pieds.

En allant de Thonon à Évian, nous avons passé devant l’allée qui sert de promenade à ceux qui viennent boire les eaux d’Amphion; le pavillon était fermé, les feuilles des peupliers commençaient à jaunir; le murmure de la fontaine, qui coule à l’extrémité de la terrasse, n’avait attiré personne. Que de fois je suis venu boire à cette source; que de fois je me suis mêlé à la petite troupe des buveurs qui comparaient tristement l’abandon où se trouvait Amphion, au mouvement, au bruit, à la gaiété, qui y régnaient autrefois.

«Vous n’avez pas connu Évian dans ses beaux jours, me disait-on; à pareille époque, on n’aurait pas trouvé un logement vide dans toute la ville, les auberges étaient pleines, les appartemens particuliers loués long-tems d’avance; les gens du pays arrivaient de toutes parts, des Suisses, des Anglais, etc.»

«Nous dansions tous les matins à la fontaine et quelquefois même le soir. On se rappelle encore les bals de la forêt de Blonay.»

«Notre roi, la reine, les princes venaient souvent à Évian, prendre les eaux; ils y attiraient les nobles de la contrée; alors la source suffisait à peine à la foule qui les suivait ici; quel brillant coup-d’œil, que de voitures, quel mouvement!»

Deux maigres chevaux attelés à des chars du pays, qui avaient suffi pour conduire tous les buveurs et qui, la tête baissée, attendaient patiemment que la cure du jour fut achevée, ajoutaient à l’énergie du tableau et peignaient le changement que le tems avait opéré.

La ville d’Évian s’est ressentie de cet abandon. Un grand nombre de maisons sont inhabitées, d’autres tombent en ruines, on ne s’occupe pas de les réparer, on y éprouve l’impression pénible d’un pays qui déchoit, une population découragée et sans émulation habite une contrée fertile, où les beautés de détail et d’imposans tableaux se présentent à chaque pas; oublions s’il est possible, les plaintes des habitans, sur le peu d’activité de leur commerce, et sur quelques-unes des lois qui les régissent; dans des lieux faits pour inspirer de douces sensations, on aimerait à trouver un peuple content de son sort; mais quel est celui qui peut réunir tous les biens à la fois? Un jour sans doute, la maison qui gouverne la Savoye depuis tant de siècles, accueillera des projets d’amélioration pour les aînés de sa famille, pour ceux qui dans un moment de crise lui ont donné le plus de preuves de fidélité.

Le Chablais, un des plus anciens apanages de la maison de Savoie, fut érigé en Duché en 1238, il comprenait alors le Chablais proprement dit, dont Thonon, Allinges, Hermance, Narnier et Yvoire étaient les chefs-lieux; le pays Gavot renfermé entre la Dranse et la Morge; la vallée de S.t Maurice, les Seigneuries de Nyon, Vevey, la Tour de Peilz, Chillon et Villeneuve: St. Maurice était alors la capitale de toute la province. On voit encore à Évian quelques tours ruinées et les murailles dont le comte Pierre de Savoye fit entourer la ville.

En 1536 les Bernois s’emparèrent du pays de Vaud et de la portion de la rive opposée qui s’étend de Genève à la rivière de la Dranse. Les Valaisans, à la même époque, occupèrent la vallée de St. Maurice et le pays Gavot; ils restituèrent en 1569 à Emmanuël Philibert, Évian et son territoire, les Bernois lui rendirent la partie au-delà de la Dranse; Thonon devint alors la capitale du Chablais, réduit à de plus étroites limites. Évian, sous la domination Valaisane, demeura catholique: mais les Bernois introduisirent la réformation dans les lieux qui leur étaient soumis. Ruchat donne quelques détails sur la manière dont elle s’établit à Thonon. Fabri, dit Lambertet, prêchait dans cette ville, il y était secondé par un religieux Augustin, qui avait adopté les nouvelles opinions. Un abbé s’avisa, au milieu du carême, de représenter une comédie avec ses moines, pour tourner en ridicule Farel et les prédications évangéliques; le clergé séculier en fut indigné et par représailles brûla en effigie l’auteur de cette farce déplacée, ce qui intimida tellement le prélat qu’il alla à Genève demander pardon à Farel, et le sollicita de venir à Thonon. Les réformateurs du Chablais furent exposés à de nouvelles traverses; Fabri prêchant le samedi 6 Mai dans l’après-midi, un bourgeois l’interrompit par des injures grossières: l’abbé qui, de zèlé catholique était devenu zèlé réformé, pria le baillif de punir une semblable insolence, et l’auteur du trouble fut mis en prison. Alors les catholiques montent au clocher et sonnent le tocsin; dans un instant la ville est en armes, ils attaquent le baillif et le poursuivent jusque dans sa maison dont ils cherchent à enfoncer les portes. Fabri n’a que le tems de se réfugier dans l’église. Instruits de cette émeute, les Seigneurs de Berne envoyent à Thonon six députés, pour prendre des informations et punir les coupables; ils abolissent le culte des images et tout exercice de la religion Romaine; ils confirment Fabri dans son ministère, qui y demeura dix ans, prêchant au milieu de beaucoup de traverses. Le gouvernement Bernois indiqua ensuite, pour le premier dimanche d’Octobre 1536, une dispute publique, sur les matières de controverse, à Lausanne, le clergé du Chablais eut ordre d’y assister; à la seconde séance, deux Augustins déclarèrent adhérer aux réformes proposées, les autres ecclésiastiques persistèrent dans leurs opinions. A la fin des conférences le culte réformé fut déclaré loi de l’état.

«Cependant, dit un prêtre savoysien, M.r Grillet, on n’exerça aucune vexation pendant trois ans contre les ecclésiastiques, les religieux et les religieuses qui restèrent dans le pays sans troubler le nouveau culte; les commissaires députés dans les campagnes, pour y organiser la réforme, agirent partout avec la plus grande modération, et afin de calmer l’effervescence, les vases sacrés, les livres, les ornemens d’église furent remis avec les bannières aux communes, qui les conservèrent jusqu’à la mission de François de Sales en 1594.»

Les plaines du Chablais sont fertiles en grains et en fruits de toutes espèces; les vignobles de Crespi, près Dovaine, produisent le meilleur vin du pays, les montagnes abondent en bois et en paturages, la vente des blés, des bestiaux et surtout des mulets et des porcs, forme la principale branche de commerce; les ravages de la guerre qui eut lieu à la fin du 16.e siècle se font encore sentir dans le pays, dont la population est restée inférieure aux besoins de l’agriculture; avant cette époque, on voyait beaucoup de forts et de châteaux, qui n’ont pas été rebâtis, de petites villes ne sont plus que de chétifs hameaux. Charles Emmanuël III, dans le but de ranimer le commerce de cette province, fit construire le long du lac, la route qui s’avançait jusqu’à la Tour ronde; il avait le projet de la continuer et d’ouvrir une communication avec l’Italie par le St. Bernard, mais il ne parvint pas à surmonter la répugnance des Valaisans. Un homme que les obstacles de la nature et les considérations particulières n’arrêtaient point, a suivi au plan du Duc, avec cette grandeur de conception et cette facilité d’exécution, qu’un souverain tout-puissant, peut seul porter dans ses ouvrages.

Le Tour du lac de Genève

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