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LES ALLINGES.

Table des matières

LES ruines des Allinges occupent la crête de deux collines boisées, à une lieue de Thonon; on les distingue de la grande route.

Ce château, le plus ancien de tout le Chablais, joua autrefois un grand rôle dans l’histoire de la contrée. Au commencement du 10. e siècle, le terrain et le fief attenant, ayant été donnés à un des barons de Rodolphe II, roi de Bourgogne, ce seigneur profitant des débris d’une ancienne ville qui avait existé au pied de la colline, y fit construire un château fort. Rodolphe y habitait quelques mois, pour y prendre le plaisir de la chasse; le pays à cette époque, était couvert d’épaisses forêts. Au commencement du 11.e siècle, lorsque le Chablais fut cédé par l’Empereur Conrad à Humbert aux blanches mains, le château des Allinges devint une maison de chasse de ce prince; il le donna ensuite au seigneur de Coudrée, un de ses généraux, comme fief relevant de ses états. Ce fort fut un sujet de guerre entre les barons de Faucigny et les comtes de Savoye, qui s’en disputèrent la possession. Les barons de Faucigny le fortifièrent; un prince de leur famille y commandait avec le titre de Sénéchal. Guigues, Dauphin du Viennois, battu près de Monthoux, se retira sous la protection de cette place; près de là se donna en 1323 une bataille entre ce prince et Édouard comte de Savoye. Guigues fut contraint de se retirer après avoir perdu beaucoup d’hommes et le bagage de son armée. Le fort des Allinges fut le boulevard du Chablais pendant les guerres du 16.e siècle, entre les Suisses et le Duc de Savoye.

Emmanuël Philibert, qui dut à sa brillante valeur la restitution des provinces de ses pères, trouva le culte protestant établi dans le Chablais; il s’était engagé par un traité à ne point gêner la conscience de ses sujets, mais l’intérêt de la cour était trop évident à les ramener à l’église catholique, pour qu’elle n’en cherchât pas tous les moyens. Le successeur de Philibert, Charles Emmanuël, voulut d’abord employer les voies de la persuasion; la guerre qu’il soutenait alors contre les habitans de Genève secondés par le Canton de Berne, lui fournissait un prétexte de ne pas respecter le traité qui le liait; c’était une circonstance favorable pour interrompre les communications entre ses états et les peuples qui y avaient porté la réforme. François de Sales, Prevôt, de l’église de Genève, s’offrit pour une entreprise, qui demandait des talens et de la persévérance. D’une naissance illustre il avait embrassé très-jeune l’état ecclésiastique, il joignait à un zèle ardent une charité douce qui le rendait propre à convaincre et à gagner les coeurs; le jeune missionnaire se rendit sans suite au château des Allinges, d’où le baron d’Hermance, à la tête d’une forte garnison, et muni d’une bonne artillerie, tenait tout le Chablais dans l’obéissance du Duc.

Le peuple et les magistrats de Thonon, paraissaient fort attachés au culte protestant qui était encore célébré dans trois paroisses hors de la ville, Tully, Narnier et Bons; l’arrivée d’un prêtre, envoyé par le Souverain, inspira des inquiétudes. François de Sales sortait chaque jour des Allinges, suivi seulement d’un ecclésiastique et d’un domestique pour travailler à la tâche qu’il avait entreprise, il rentrait le soir dans le château, ne se croyant pas en sûreté de nuit dans le pays.

Quoiqu’entouré de cette faveur qui doit toujours accompagner les désirs du maître dans la contrée qui lui est soumise, François de Sales rencontra des difficultés, et il eut, au commencement surtout, beaucoup d’obstacles à surmonter; sa persévérance, sa douceur l’en firent triompher, il voulut tout devoir à la conviction et il refusa les forces dont le commandant de la province lui proposait d’appuyer ses prédications. Ses succès lui donnaient de grands droits à la reconnaissance de son Souverain et des zèlés catholiques, mais un panégyriste maladroit, l’abbé de Marsollier, qui a écrit l’histoire de sa vie, en voulant trouver partout des sujets de gloire pour le Prélat, dépasse son but en l’exagérant. Suivant lui, le missionnaire jeté dans des pays éloignés, parmi des peuples idolâtres et barbares, ne court pas de plus grands dangers que François de Sales, dans la ville de Thonon, ou sur la route de cette place aux Allinges. Menaces des ministres protestans, tumulte du peuple, embûches des magistrats, tentatives d’assassinat, sont avancés sans preuves;. pluies, orages, froids excessifs, nuits désastreuses, approche des bêtes féroces qui descendent des montagnes pour intimider le Prélat, tout est prodigué sans discernement par l’historien, qui ne fait nulle attention aux localités et à la nature du pays. Les lettres qui nous restent de François de Sales, et qui trouvent leur place à côté de celles de Fénélon, nous le font mieux connaître; on y voit la charité et la douceur qui l’inspiraient; sa sollicitude à soulager les consciences timorées, à venir au secours des cœurs froissés, qu’il sait si bien calmer par une religion douce et par le sentiment de la confiance en Dieu. Cependant de nouvelles missions furent établies à Bellevaux, à Bons, à Dovaine, à Yvoire et à St. Cergues, bientôt on obtint du conseil de la ville de Thonon que le culte serait alternativement célébré dans l’église de St. Hypolite par les catholiques et par les réformés; ces derniers, dont le nombre diminuait, furent ensuite obligés de se contenter d’un temple qu’ils construisirent en planches sur la place de Cret. Jean Clerc et Louis Viret continuèrent à y prêcher jusqu’en Septembre 1598, époque à laquelle ils furent obligés de quitter le pays.

Il était tems de recourir à des mesures plus énergiques pour achever l’ouvrage commencé par le Prévôt de Genève. L’arrivée d’un régiment à Thonon, celle du Duc, accompagné d’un Cardinal Légat, donnèrent encore plus de force à l’éloquence des missionnaires; les places furent ôtées aux protestans et réservées à ceux qui avaient embrassé la religion catholique; ceux qui résistèrent aux caresses et aux menaces du Duc furent exilés et dépouillés de leurs biens. On se hâta de rendre aux anciennes corporations les fonds ecclésiastiques dont on n’avait pas disposé, et les zèlés furent amplement dédommagés de la privation où ils avaient été de moines et de couvens; en peu d’années on vit s’établir à Thonon, des Jésuites, des Barnabites et des Capucins. Plus tard on y institua les Visitandines, les Minimes, les Annonciades et les Ursulines. Si la contrée fût restée protestante sous la domination Bernoise, les sommes consacrées à l’érection et à l’entretien de ces maisons religieuses, auraient été appliquées à des dépenses d’utilité publique et le Chablais rivaliserait de prospérité avec le Canton de Vaud. Les édifices les plus remarquables de la ville de Thonon sont d’anciens couvens, l’un est devenu un hospice, d’autres sont consacrés à des manufactures.

Le château des Allinges étant devenu inutile à la maison de Savoye on l’a laissé tomber en ruines. En le parcourant on distingue outre les restes de deux forts placés à peu de distance l’un de l’autre, quelques débris de fortifications sur un troisième rocher; on reconnait la porte d’entrée du château principal, les passages qui conduisaient dans l’intérieur. La voûte d’une vieille chapelle, une tour, de grands pans de murailles subsistent encore, les murs suivent les escarpemens des rocs et se confondent souvent avec les blocs qui leur servent de fondement.

De ces sommités on découvre une vue très-étendue, d’un côté les rivages de la Suisse, le lac dans sa plus grande largeur, les côtes de la Savoye, la ville de Thonon, le golfe de Coudrée: de l’autre, des montagnes couvertes de sapins d’un aspect sombre, le château de Larynge, dans l’éloignement les collines boisées qui dominent Évian et plusieurs ruines. Ces murs dégradés couverts de lierre, ces arbrisseaux qui croissent au milieu des pierres, encadrent cette brillante perspective; à travers une embrasure, au-dessus des créneaux neaux on découvre le lac bleu couvert de vagues, une succession de montagnes, la pointe d’un clocher dans le vallon. Au pied du coteau on voit les toits de deux villages s’élever au-dessus des têtes arrondies des châtaigniers; les moindres bruits partis de ces habitations parviennent à la colline; on entend l’aboiement des chiens, le chant du coq, la cloche de la chèvre, les voix des laboureurs; tandis que tout est animé dans la plaine, ces vieilles constructions qui occupent un espace considérable, sont abandonnées; leur solitude contraste avec le mouvement du pays qui les entoure, leur silence avec ces bruits de village qui ont tant de charmes dans le paysage. Il faut donc se reporter au tems où elles furent habitées, il faut y placer les personnages qui les occupèrent, dont on semble avoir respecté le souvenir.

Le château des Allinges fut une maison de chasse dans les 10.e, 11.e et 12.e siècles, elle appartint successivement aux rois de Bourgogne, aux comtes de Savoye, aux seigneurs de la maison de Coudrée; que de fois ces environs ont retenti des jeux bruyants d’une noblesse qui consacrait à de tumultueux exercices, aux tournois, à la chasse les momens qui n’étaient pas donnés aux combats.

A la porte de l’édifice se rassemblent les coursiers couverts de housses éclatantes, les haquenées destinées aux dames; les piqueurs retiennent en lesse des lévriers, des écuyers portent sur le poing des faucons chaperonnés et ornés de sonnettes; la troupe joyeuse s’élance à cheval; les chiens sont découplés, ils cherchent la trace de la bête. Le signal est donné, la meute s’ébranle, le brillant escadron la suit, il parcourt au galop les vallons et les coteaux; une course rapide l’entraîne bien loin dans la plaine, les chevaux paraissent et disparaissent à travers les arbres des forêts; bientôt ils sont hors de vue; les fanfares indiquent encore la marche des chasseurs; les cris des chiens s’affaiblissent et se perdent dans l’éloignement. Le soir ramène au château la troupe fatiguée; une longue table dans la salle où pétille sous une immense cheminée le sapin des montagnes, réunit tous les convives: de bruyants récits, les éclats d’une joie tumultueuse terminent la journée.

Mais les hautes murailles des Allinges, les créneaux, les meurtrières dont elles sont percées annoncent dans leur construction un but militaire; il est impossible de ne pas voir le long de ces murs des soldats armés de piques, des chevaliers couverts de fer. On place sur cette tour ruinée où croît maintenant l’églantier, et où se repose le pinçon solitaire, la bannière du Prince de la contrée. De combien d’assauts, de combien de sorties ces lieux furent les témoins; la garde qui veille dans la partie la plus élevée donne le cri d’alarme, elle a vu les feux qui se répètent de distance en distance; les coups précipités des cloches des hameaux répandent l’effroi dans le pays, les habitans suivis de leurs troupeaux viennent chercher un asile sous les murailles de la forteresse. Du haut de la plate-forme on voit sur la route s’élever un nuage de poussière qui indique la marche de l’ennemi; les cuirasses étincellent, on reconnaît la bannière, on distingue les chefs, on entend le pas des chevaux, le cliquetis des armes, le murmure d’une troupe indisciplinée.

Des scènes si variées ne se présentent plus; ces tableaux que l’imagination seule des voyageurs se retrace, ont passé avec ceux qui habitèrent ici; tout y est calme et tranquille, et le pays n’a plus à souffrir des jeux et des guerres de son souverain; mais au milieu d’une contrée riante et couverte d’habitations, ces lieux sont restés incultes et déserts, comme si un respect involontaire, le souvenir d’une grandeur passée ne permettaient pas aux paysans d’y établir leurs demeures; l’abandon, le silence de ces constructions, frappent l’habitant des villages voisins; ne sachant comment expliquer l’impression qu’elles font naître chez lui, il les considère avec un sentiment d’effroi et y attache des idées superstitieuses; à de certaines heures, à de certains jours, il les croit peuplées de fantômes menaçans. Le pâtre qui y conduit son troupeau de chèvres s’étonne de se trouver seul, le bruit du vent qui agite les broussailles et qui gémit dans les ruines, le remplit de crainte.

Le Tour du lac de Genève

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