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PARTIE 1 – L’ÉTRANGER LIÉ AU POTEAU
Chapitre 12
ОглавлениеDébut de l’été 1040 (431 de l’hégire), vallée à l’est de Tragina
De nombreux jours passèrent, peut-être une semaine ou plus, un temps où Conrad continua de fréquenter l’église rupestre. Il y dormit, y mangea, y pria et doucement il commença à échanger quelques paroles avec ceux qui y venaient, surtout avec les quelques moines du rite grec qui connaissaient la langue d’oïl, mais aussi avec certaines personnes de la servitude, et avec les soldats de la garde du camp. Conrad y passa tant d’heures que durant les quelques moments où il mit le nez dehors, ses yeux brûlèrent à cause de l’intense lumière du soleil. Il apprit qui étaient chaque personnage peint sur le mur, le nom de tous les saints et il éprouva beaucoup d’affection pour Saint André, priant à bouche ouverte et faisant le symbole de la trinité de la main ; ce saint en particulier, surmontait la sépulture de son père.
Roul et les autres avaient erré dans les campagnes pendant des jours en-tiers, et maintenant, de retour de la poursuite, ils rentraient au camp avec la grande armée. C’était les premières heures de l’après-midi, quand Conrad entendit une grande confusion qui provenait d’en bas et se jura à lui même que dans les tentes on fêtait certainement.
Peu de temps passa et son homme de confiance vint vers lui.
“ Mon fils, sort ! ”
Conrad alors sorti, mais il resta devant l’entrée.
“ L’entière armée revient. ”
“ C’est vous qui fêterez la victoire… moi, je souffre encore pour la perte de mon père. ”
“ Beaucoup de soldats ont perdu un parent dans la bataille, un frère et même un père… Il y a peu, ils ont enterré leur propres morts, et pas dans un beau mausolée comme celui-ci, mais au milieu d’un camp. Maintenant, cependant, il est juste de jouir de nos sacrifices… ils sont morts également pour cela. ”
“ Je ne veux pas abandonner mon père. ” dit Conrad.
“ Et un quelconque infidèle profanait ce lieu ? Il renforça sa thèse.
“ Dieu le punira, mais ils ne peuvent pas tuer ton père une seconde fois. Aujourd’hui nous fêterons ensemble, et puis, compensation en poche, nous retournerons à Syracuse pour aider ceux qui sont restés, afin de compléter l’assaut. Nous avons obtenu un grand butin de ces jours-ci… Dieu seul sait combien de villages ont été pris dans la poursuite et sur la route du retour ! Chacun aura sa part et toi tu auras celle de ton père. ”
“ Je ne l’ai pas gagnée. ”
“ Qu’as-tu gagné de tout cela que ton père n’ait fait pour toi ? Mon garçon, je commence à être fatigué de tes caprices ! Aujourd’hui, j’avais même des difficultés à croire que tu étais resté ici pendant plus d’une semaine. Mais je ne suis pas ton père, et si je ne pourrai pas honorer la pro-messe que je lui ai faite, alors il vaut mieux que je t’arrache la tête avec deux de mes doigts, plutôt que t’avoir dans les pieds ! ”
“ Qu’attendez-vous de moi ? ” demanda donc Conrad en haussant la voix.
“ Que tu comprennes que ton père est mort, et que tu arrêtes de pleurnicher. Que tu saches que j’étais un ami de Rabel, et non de toi, je n’aurais donc aucun scrupule à te pendre à la bannière, si tu ne fais pas ce que je te dis. ”
“ Prenez la part du butin de mon père et laissez moi en paix. ”
Quand après cette phrase Conrad se retourna pour aller se réfugier dans la grotte, Roul le prit par la nuque et le hissa à plus de deux mètres de hauteur. La main du guerrier embrassait presque tout le cou du jeune garçon, il la serra à tel point que les yeux du jeune homme semblèrent projetés vers l’extérieur.
“ On m’appelle Poing Dur et je devrais me faire insulter par toi, un sale gosse ? J’y mettrai bien peu à t’écraser sur ce rocher ! ” hurla t’il au point de ressembler au Diable.
Il le fit donc tomber brusquement en lâchant la prise.
“ Si quelqu’un voyait comment tu essaies de me mépriser, ma réputation serait mise à dure épreuve. J’ai tué des hommes pour bien moins que cela ! Remercie ton père et mon honneur si aujourd’hui je ne t’étrangle pas. Maintenant lèves-toi et viens au camp ! ”
Conrad était blessé, plus dans son corps que dans son âme, et il évitait de regarder l’autre dans les yeux, restant encore recroquevillé sur l’herbe sèche. Ni même son père n’était parvenu à le discipliner de la sorte.
A un certain point il vit la gigantesque main de Roul s’approcher de son visage ; il ferma donc très fort les yeux en imaginant cette menace qui se concrétisait.
“ Lève-toi et viens avec moi. Je te ferai voir comment vivait ton père, je te ferai connaître ses amis, je te ferai boire ce qu’il buvait et je te ferai connaître les femmes qu’il préférait. ” l’invita Roul d’ un ton anormale-ment gentil en lui tendant la main.
Conrad l’attrapa et se remit debout, il essuya les larmes qui baignaient ses tâches de rousseur et s’efforça d’avoir une expression de dureté.
“ C’est ainsi que tu me plais ” se complimenta l’énergumène avant de lui tourner le dos et commencer à descendre de la côte.
“ Roul ! ” au contraire appela Conrad.
“ Qu’il y a t’il d’autre ? ” répondit avec impatience l’adulte d’entre les deux.
“ Je veux que vous m’emmeniez avec vous dans la prochaine bataille. ” Roul se mit à rire, il était heureux que ses moyens donnaient des résultats, mais il rit de bon goût.
“ Sale gosse, qu’est ce que tu voudrais ? ”
“ Vous voulez m’enseigner à vivre comme vivait mon père… , emmenez-moi également au combat. Mon père m’a enseigné l’épée depuis que je marche. Je sais le faire ! ”
“ Tu m’en donneras une démonstration dès que cela sera possible. En ce qui concerne la guerre…. eh bien, mon fils, tu dois d’abord préparer ton cœur… tu dois apprendre à haïr ! ”
“ Je sais déjà haïr ! Mettez devant moi un infidèle et vous verrez comme je le réduirai en lambeaux. ”
“ cela ne suffit pas, tu n’es pas assez fort. ”
“ Donnez-moi votre hache et j’abattrai cet olivier en trois coups. ” Roul rit encore plus fort et répondit :
“ Tu ne saurais même pas soulever ma hache ! Tu viendras avec moi en bataille mais pas maintenant. L’armée régulière de Constantinople est composée d’hommes qui ont au moins dix-huit ans. Nous ne sommes certes pas à leur niveau, mais attends au moins que quelques poils te naissent au menton avant de venir. ”
“ L’année prochaine ? ” demanda naïvement Conrad.
“ L’année prochaine… c’est d’accord. ” dit Roul pour s’en libérer. ” Je vengerai mon père ! ”
Roul cette fois ne répondit pas, il posa plutôt une main sur l’épaule de l’autre et recommença à descendre.
Le camp était un essaim de personnes : avant ce moment, Conrad ne le voyait pas aussi grand. C’était un air de fête et tout autour, les soldats riaient et blaguaient, cette fois sans montrer cette méfiance qui circulait parmi les différentes lignées. Un type à côté de la rue, auprès des grandes tentes, avait une caisse pleine d’étranges objets métalliques avec des pointes sur différents côtés. Roul en pris un, le montra à Conrad et lui expliqua :
“ Vois-tu cet outil, mon garçon ? C’est ainsi que Abd-Allah entendait nous battre, en disposant des centaines de ces outils sur le terrain. Mais nos chevaux sont chaussés avec de larges plaques et les aiguillons ne leur ont rien fait. Commence par apprendre quelque chose sur la guerre. ”
Des chars chargés du butin continuaient à arriver, escortés par des soldats réguliers et ils convergeaient vers le grand espace près de la tente du commandant, celle de Georges Maniakès ; naturellement les chars et les bœufs aussi faisaient partie du butin. Sur certains de ces chars il y avait également des hommes et des femmes devenus prisonniers lors des raids : il s’agissait des malchanceux civils, morts qui n’étaient pas parvenus à se cacher. Beaucoup de ces femmes auraient fait partie de la fête comme acte initial de servitude, avant d’être envoyées sur la Terre ferme comme butin à envoyer aux familles des nouveaux patrons.
Les femmes auraient fait partie des cours dans les palais nobles et les hommes seraient devenus des servants de la glèbe, où, tant les hommes que les femmes auraient aboutis dans les mains des marchands d’esclaves juifs, qui les auraient répandus sur les marchés de toute la Méditerranée. Il était en effet théoriquement interdit aux chrétiens de faire du commerce directe d’être humains réduits en esclavage, mais la vérité était que le trafic des prisonniers rapportait beaucoup à tous, chrétiens ou pas.
Une délégation des habitants de Rametta arrivaient avec des chars de provisions à destiner aux troupes. Rametta, nichée dans une formidable position sur les Nébrodes, était tombée dans les mains des sarrasins seule-ment en 965, la dernière parmi toutes les villes de la Sicile, et elle était considérée le bastion du christianisme sicilien et de l’héroïsme montré pour la défense de la foi. Georges Maniakès l’avait récupérée peu après son passage outre le détroit, en engageant une sanglante bataille où les guerriers normands avaient payé le plus grand prix. Maintenant ses habitants soutenaient le reconquête chrétienne de toute leur force, en envoyant des hommes et des victuailles. Les citoyens faisaient de même de Rinacium49 – nom de la ville dans les actes officiels – à quelques miles à l’ouest, étant le centre habité d’une certaine consistance, le plus proche du camp.
Après peu de temps Tancred se présenta en portant une bouteille de vin.
“ Certains en ont déjà bu trois ! ” dirent-ils, en donnant à son compagnon d’armes l’objet auquel il faisait référence.
“ Tiens, bois-en une source ! ” l’invita Roul, en passant le vin à Conrad. Le jeune garçon le saisit et en but une gorgée, il fit la grimace et l’avala difficilement. Les autres deux rirent de bon goût en voyant la difficulté qu’avait le fils de Rabel à se comporter en adulte.
“ Je crois que pour les femmes il faudra encore du temps ! ” exclama Roul, en soulignant le fait que si Conrad avait encore des difficultés avec le vin, on pouvait imaginer avec les femmes.
“ Qu’attends-tu ? Il n’a que neuf ans. ” souligna Tancred.
“ Moi, à neuf ans j’avais ma première aventure ! ” répondit Roul, même si cela semblait absurde.
Ce fut la dernière phrase que Conrad écouta avec lucidité. A la seconde gorgée de vin il commença à voir moins clair, et à ne plus décerner les voix de l’énorme et bruyant fracas des milliers de bols parlants en langues différentes.
“ Poing Dur, je crois que nous avons perdu le jeune enfant… ” commenta Geuffroi, un de leur ami, noble normand.
“ C’est le fils de frère Rabel, pas le mien… le fils de Point Dur serait capable de boire le feu de cette montagne. ” se vanta Roul, en spéculant sur un héritier qu’il n’avait jamais eu et en indiquant Jebel.
“ Les femmes, les dés et le vin…. hors de la tente des gardes, passent de bons moments ! ” intervint un autre, en arrivant tout excité et essoufflé.
Ils partirent vers le lieu de leur intérêt, et, une fois arrivés sur la place de la tente du commandant, ils durent renoncer à tout. Conrad était encore abasourdi et suivait les vieux amis de son père sans rien comprendre. Des dizaines et dizaines de personnes, soldats de tout genre, religieux et même certaines femmes encore dénudées là où elles avaient bien voulu se laisser découvrir, étaient là au centre de la place, avec l’intention d’assister à quelque chose, Le silence régnait et l’appréhension était typique des moments où quelque chose de terrible doit arriver.
Même les hommes des différentes gardes, ceux qui auraient du se reposer, étaient attentifs et fixaient le centre de la scène. Roul, passa en déplaçant les hommes devant lui ; Tancred, Geuffroi et Conrad en profitèrent pour avancer.
Quatre hommes sortirent de la tente de Georges Maniakès, quatre stratiotes50 de Constantinople, on pouvait les reconnaître à leur armature et à leur aspect méditerranéen. Autour de la scène qui allait se concrétiser, d’autres soldats romioi51… calabrais, macédoniens et pouillais, se mirent en position de protection, craignant la réaction de quelqu’un parmi la foule.
A ce point Tancred adressa la parole à un proche compagnon d’armes, qui avait probablement assisté à la scène depuis le début.
“ mon ami, que se passe t’il ici ? ”
Et lui, à voix basse et en mettant une main sur sa bouche :
“ Maniakes52 et Arduin…. Il semble qu’une discussion est née entre eux. ”
“ Et pour quoi ? ”
“ Ils parlaient en grec, je n’ai rien compris… mais… ” ” Mais quoi ? ”
“ Il semble que la discussion est née à cause d’un cheval. ”
Les chars avec le butin avaient été vidés par les hommes de confiance et la marchandise avait été triée selon la typologie à laquelle elles appartenaient. Effectivement, un très beau pure sang arabe, noir comme le pétrole et au poil brillant, se trouvait devant les chars. A ce point les quatre soldats tirèrent rapidement la bête vers le lieu d’où ils étaient sortis. Quelques lombards53 avancèrent également mais les piques des soldats de la protection les firent renoncer à intervenir.
C’est alors que sorti Georges Maniakès, les mains aux hanches et d’un air furieux. Avec son bon œil il commença à fixer en regardant de travers chaque personne présente. Puis il hurla dans sa langue, mais tout le monde comprit :
“ Quelqu’un d’autre a t’il l’intention de défier le Strategos54 ? ” Cette question introduisait ce qui allait bientôt arriver.
Les quatre qui avaient mis le cheval à l’intérieur tiraient maintenant à l’extérieur et par la force, comme on l’aurait fait pour une bête, Arduin, chef du contingent lombard. Ils le prirent par la barbe afin qu’il se sou-mette à la volonté de Maniakès, et ils le lièrent au mât qui se trouvait à l’angle de la tente du commandement, celui au drapeau avec l’aigle bicéphale de Constantinople. Enfin Georges Maniakès arracha une sphère de cordes des mains d’un de ses domestiques, il l’a mit de côté et après avoir fait dénuder le dos et les reins du malchanceux, Arduin commença à le frapper personnellement. Naturellement celui-ci n’émit aucun son, dur et têtu comme il était.
Commander d’autres personnes n’a jamais été quelque chose de facile, on risque d’en contenter certains et d’en mécontenter d’autres, toutefois Georges Maniakès ne contentait personne, à l’exception des personnes du peuple qui le voyait comme un libérateur du christianisme, pour le reste, tout le monde le haïssait.
Ce qui était arrivé sous les yeux de l’armée toute entière, était quelque chose d’incroyable : un chef… un chef des troupes auxiliaires, avait été humilié au même rang qu’un esclave. Maniakès misait sur le poids le plus gros de l’armée, celui qui était sous son direct commandement, il lui était donc facile de faire valoir ce qu’il prétendait. Arduin contrôlait au contraire ses conscrits, des hommes armés de bouclier et lance recrutés par la force dans les Pouilles ; il était clair qu’à l’exception de quelques fidèles nobles lombards, personne ne l’aurait défendu.
Le nœud de la question était même absurde :
En résumé Arduin avait refusé de livrer ce beau pure sang arabe à son général, le Strategos, et une discussion était née où aucun des deux n’avait cédé. A l’énième refus de Arduin, Maniakès avait décidé que lui donner une leçon exemplaire aurait freiné son indiscipline.
Toutefois la force ne résout pas toujours les différends, et les conséquences dérivantes d’un abus de son utilisation, sont parfois plus désagréables que le motif pour lequel on a décidé de le mettre en œuvre. Même Maniakès ne pouvait imaginer ce que ce geste déchaîna, lui qui, il faut bien le dire, bien souvent, poussé par son mauvais caractère, agissait impulsivement sans tenir compte des possibles résultats de ses actions. En plus, pendant que l’armée attribuait de l’importance à la victoire sur le terrain et voulait se relaxer, lui, évaluait comme un défaite la fuite relative de Abd-Allah.
Tout est de la faute de la flotte qui avait permis à l’émir sarrasin de s’embarquer au delà des montagnes et rejoindre la capitale Balarm. Celui qui commandait la marine et aurait du supporter les troupes de Maniakès, était Stefano le Calfat, toutefois la capacité militaire de cet homme ne pouvait absolument pas être comparée à la capacité du général. Stefano commandait la flotte uniquement parce qu’il était le beau -frère de l’Empereur, et à cause de cette considération qui ne tenait pas compte du mérite, Georges Maniakès ne le supportait pas.
“ C’est ainsi que termine celui qui défie de Geórgios Maniákis! ” conclut le général, en regardant les passants et leur intéressement, et en leur tendant son bras avec le fouet.
A ce point, la foule commença à s’éparpiller mais il était clair que la fête se terminait là, dans la vision du dos ensanglanté de Arduin. Le lombard fut donc recueilli par ses fidèles et ramené sous sa tente. cela ne se serait pas terminé là et tout le monde le savait…
Roul et ses compagnons d’armes se retirèrent tristement vers la section du camp où ils s’étaient installés ; ce soir là, même le vin et les femmes perdirent leur prestige.
Une fois éloigné, c’était déjà le coucher du soleil, appuyé au poteau où son cheval était lié, Roul s’exclama :
“ Ce que nous avons vu aujourd’hui est absurde ! ”
“ Je pense que nous aurions du intervenir. ” s’exprima Tancred.
“ Nous répondons à Guaimar de Salerne, non à Arduin. ” répondit Roul.
“ Arduin aussi répond à Guaimar. Le même seigneur nous a engagé. ” ” Alors que ce seigneur lui rétablisse l’honneur ! Guaimar n’est-il pas également un lombard ? Fit remarquer Geuffroi , concordant avec Roul. ” Ça n’est pas une question de sang ou de fraternité, il s’agit du fait qu’aucun noble, pour le plus de bonne lignée, ne mérite de subir ce traitement. Ne serions-nous pas intervenus si à la place d’Arduin il aurait s’agit de Willaume de Hauteville ? ”
Willaume lui aurait arraché le cœur d’un coup ! Exclama Roul.
“ Mais Willaume se garde bien de contredire ce maudit macédoine, chien furieux ! Affirma quelqu’un…. Bien que l’on ne sache pas qui avait parlé.
Le fait que les trois soldats firent un geste de révérence, en dit long sur qui pouvait être celui qui venait d’arriver.
“ Willaume, nous parlions uniquement parce que le souffle fait partie de la compensation. ” justifia Tancred avec ironie, justement celui qui doutait du fait que personne n’était intervenu.
“ Tancred Longue Chevelure, un jour tu m’expliqueras pourquoi ils vous appellent ainsi. ” répondit Willaume, ou mieux William d’Haute-ville.
“ Longues Chevelure était mon grand-père… j’ai seulement hérité de son nom. ”
Il regarda ensuite le plus gros de tous et immédiatement après, Conrad juste à côté.
“ Roul Poing Dur, ce que vous faites pour ce jeune garçon est honorable. ”
“ Willaume, quelque chose de plus fort que le sang me lie à mon frère Rabel. ”
“ cela démontre que derrière cette hache il y a un cœur… ”
“ De toute façon je veux que vous sachiez que je proviens des tentes des gardes…. Et cela a déplu même à Harald. ”
“ Je crois que la chose n’a plu à personne. On ne peut pas humilier un capitaine de cette façon ” répéta Tancred.
“ Je suis sûr que si j’avais été à la place de Arduin vous ne seriez pas resté là à regarder. ”
“ Tu peux le dire bien fort, Willaume ! ” insista Geuffroi.
“ Mais ça aurait été un suicide ” Aujourd’hui, même Arduin le savait. ” ” Pour Arduin ça sera un suicide même s’il intervenais demain… ou après demain… ou dans un mois. ” renforça quelqu’un d’autre à peine arrivé.
Il s’agissait de Drogon, pour tous Dreu, frère cadet de William. Dans la pénombre du coucher du soleil, car il tournait les épaules à la lumière du crépuscule, ils le reconnurent immédiatement par le symbole de la maison des nobles normands du cours bas de la Seine, cousu sur sa tunique ; au moins cinquante le suivaient et cela commençait à ressembler au prélude d’une révolte.
Eh oui, les conscrits d’Arduin une fois morts, ne valent même pas l’engrais pour le champ. ” répondit William.
“ Mais ce qui est certain c’est que Guaimar ne restera pas immobile quand la nouvelle arrivera à Salerne. Je suis sûr qu’il décidera pour nous, la même chose que pour Arduin. Et donc, Maniakes ne devra pas faire front uniquement avec les conscrits d’Arduin et avec ses quelques fidèles, mais avec le terrible contingent normand… et Dieu seul sait combien ils nous craignent ! ” expliqua Drogon.
“ Et les gardes ? Les gardes du corps personnels de l’Empereur Michel de quel côté seront-ils ? ” demanda Geuffroi.
“ Harald Hardrada et ses hommes ne sont pas très différents de nous et des raisons qui nous poussent à la guerre. Et je ne le dis pas unique-ment parce que nous partageons les mêmes noëls parmi les landes du nord, je le dis parce que je les ai entendus parler. Que Dieu me punisse si je me trompe ! Si Harald sent que sa compensation est menacée, Maniakes devra également les affronter. ” expliqua William.
“ Que devons-nous donc faire ? ” demanda Geuffroi confus.
“ Pour l’instant, rien, Maniakes sera déjà informé de notre assemblée improvisée – ses informateurs sont partout dans l’armée, et même par-mi nous – il sera certainement en train d’évaluer la pire des hypothèses, ou le boycottage de cette guerre de la part de tous les contingents auxiliaires. Attendons prudemment ce qui arrivera. Attendons de voir la ré-action d’Arduin. Toutefois, nous ne pouvons pas risquer d’être pris de surprise par ce loup grec… donc, William exposa ses directives ; mes frères, n’enlevez pas votre armature et restez toujours unis parmi vous. Laissez tomber le vin durant cette nuit et que uniquement celui qui titube plus quand il est sobre, que quand il est ivre, ne s’attache à la cuve. Ne vous découvrez pas de vos vêtements pour aller avec les femmes. Dormez chacun à votre tour et soyez toujours à jour avec mes dispositions. ” cependant la manière dont il parlait semblait plus un conseil donné entre amis.
Puis, il reprit et dit :
“ Cette nuit sera longue, mais nous ne violerons pas les règles d’engagement jusqu’à ce que nous ne n’aurons l’assurance du même respect de la part des autres de l’autre côté. Certains d’entre nous ont déjà com-battus les romioi dans le passé… ils savent de quoi je parle, quand je dis qu’il ne faut rien sous évaluer, en temps de paix comme en temps de guerre. Chacun à sa tente, mes frères, mais ne dormez pas profondément ! ”
L’assemblée improvisée, comme elle était définie par William, se dissout après ses paroles. Ça devait être une longue nuit, une de celles qui portent à la prise de décisions, une de celles qui font partie des insomnies des guerriers toujours prêts à tout. Chacun pris son arme de guerre et la posa à côté de son propre coussin, ainsi que l’habituel poignard caché parmi les vêtements.
Dans tout cela, Conrad semblait être le plus préoccupé, et non pas, parce qu’il ne possédait pas d’arme, ou parce qu’à son jeune âge tout semblait plus grand et plus effrayant, mais parce qu’il craignait devoir partir en vitesse sans pouvoir saluer une dernière fois son père.
49
Rinacium: probable nom antique de la localité de Randazzo, dans la province de Catane.
50
Stratiote: soldat régulier de l’Empire byzantin.
51
Romioi; Rūm: sont tous deux les noms par lesquels étaient attribués à ceux qui étaient appelés byzantins au moyen âge; le second est en arabe. Littéralement ”romains”, l’Empire Romain d’Orient étant juste – ment Byzance. Le terme ”byzantin” fut inventé à une époque successive.
52
Maniakes: dans ce roman les noms propres sont comme ils étaient probablement prononcés dans chacune des langues. Le discours vaut surtout pour les langues parlées par des normands et des arabes. Au contraire, en ce qui concerne le latin parlé par le peuple, j’ai préféré le traduire dans la langue du récit, le français. Ainsi le français Maniakès devient Maniakes en langue d’oïl, Maniákes en grec et Maniakis en arabe. Naturellement il y a des exceptions, Mohammed reste tel quel même dans les langues différentes de l’arabe. Corrado, Conrad pour les normands, reste au contraire Corrado même pour les arabes, car ayant vécu parmi eux, il s’est fait connaître ainsi.
53
Lombards, (Longobardi): le terme indique au sens étroit les descendants du peuple germanique qui ont envahi la péninsule italienne au VI siècle, mais au sens large tous les habitants d’Italie qui, du nord au sud, furent soumis à ce peuple, et donc également ceux qui étaient d’origine italique (Campanie et Basilicate etc…). Au XI siècle les lombards parlaient officiellement le latin, même s’ils s’exprimaient dans les dialectes romancés des lieux où ils résidaient. Après la conquête normande du sud de l’Italie le terme ”lombards” commença à indiquer uniquement les habitants de l’Italie du nord.
54
Strategos: chef d’un régiment militaire de l’Empire byzantin et administrateur de la circonscription attribuée à ce régiment.