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AU R. DON PHILIPPE CATENAZZI

PRÊTRE DE MENDRISIO (SUISSE)

Bologne, 1er avril 1868.

MONSIEUR L’ABBÉ,

On était au commencement de l’été 1866, et les rives du Pô, comme celles du Weser et de l’Elbe, retentissaient de l’horrible fracas des armes et des armées. La révolution italienne avait donné la main à la Prusse contre l’Autriche, et les deux alliés se proposaient: l’un de réduire sous sa domination les petits Etats de l’Allemagne, l’autre de compléter l’œuvre de l’indépendance nationale. Mais si l’exaltation politique était grande, en Italie, contre l’ennemi du dehors, celle des factions révolutionnaires qui dirigeaient le mouvement se déchaînaient avec plus de fureur encore à l’intérieur, contre des prêtres inoffensifs et des laïques paisibles auxquels on ne pouvait reprocher qu’un seul tort: leur attachement à leur foi religieuse.

Ce tort était surtout celui de l’Association catholique pour la défense de la liberté de l’Église en Italie, fondée à Bologne peu de mois auparavant et qui, bénie par l’immortel Pie IX, s’étendait rapidement sur toute la Péninsule.

Comme il avait paru douteux, dès le principe, qu’une institution semblable pût vivre et se consolider au milieu de nous, vu la toute-puissance des passions irréligieuses, les promoteurs de l’association n’avaient rien négligé pour lui assurer, je ne dirai point la bienveillance du gouvernement, —nos prétentions ne s’élevaient pas si haut, — mais le bénéfice du droit commun, qui déclare libres et légitimes toutes les associations qui n’offensent point les lois. On s’efforça donc de faire connaître, par tous les moyens possibles, qu’elle avait bien réellement le but qu’indiquait son titre; qu’elle n’en avait point d’autre et que, ce but, elle se proposait de l’atteindre par les moyens de la plus stricte légalité. On publia au grand jour, à cet effet, non-seulement les statuts constitutifs, les réglements organiques et institutions pratiques de l’œuvre, mais encore les noms des fondateurs, et ceux des membres des directions locales qui, peu à peu, se constituaient dans les diverses villes d’Italie. Cependant, comme les débuts d’une grande guerre parurent à plusieurs une coïncidence peu favorable pour ceux d’une association nouvelle, on poussa la prudence jusqu’à interrompre l’entreprise commencée, en attendant qu’on pût la reprendre au sein de la paix et d’une sécurité plus grande. On déclara l’association sus pendue, et tous les rapports cessèrent spontanément entre les membres de la direction centrale, comme entre cette dernière et les comités locaux.

Mais ni cet excès de discrétion, ni la publicité ingénuement cherchée, ni l’incontestable honorabilité des adhérents de Bologne et d’ailleurs, ne devaient sauver l’entreprise. Le ministère venait jnstement d’obtenir du Parlement, pour assurer le succès de la lutte commencée, des pouvoirs discrétionnaires; il s’empressa de les tourner contre l’Association catholique. Il n’osa pas sévir, à la vérité, contre tous ceux qui avaient donné leurs noms; il se contenta de la poursuivre dans la personne de son président; et ce fut pour moi, qui avais l’honneur de ce titre, que je n’avais certainement ni ambitionné, ni recherché, ce fut, dis-je, pour moi, un sujet de grande consolation et de sincère gratitude envers Dieu.

Non pas que les perquisitions faites par deux fois à mon domicile, et la détention que j’eus à subir, fussent les avant-coureurs d’un procès régulier. De procès, ou même de l’intention et de la possibilité de m’en intenter un, je n’ai jamais vu le moindre indice. Je n’ai pas même été l’objet, que je sache, d’une accusation quelconque. Mais que mes fonctions de président fussent le seul motif de mon arrestation, c’est ce dont ne purent douter aucun de ceux qui, directement ou indirectement, eurent à s’entretenir de moi avec les autorités politiques.

Vous, Monsieur l’Abbé, qui me connaissez moi et les miens, vous pouvez vous imaginer combien il m’en coûta de me séparer de ma famille pour aller en prison... Toutefois, j’étais soutenu, au milieu de notre commune affliction, par le témoignage de ma conscience, par les encouragements des gens de bien, qui dans cette circonstance me montrèrent une touchante et universelle sollicitude, et même par les sympathies de nombre de personnes dont les opinions politiques et religieuses ne sont point les nôtres, mais qu’un sentiment naturel de justice met au-dessus des passions de parti. Enfin, grâce à ces personnes, j’obtins non-seulement d’être transféré, comme je l’ai dit, de la prison Saint-Louis à mon domicile, mais encore, quelque temps après, de voir commuer mes arrêts forcés en un exil temporaire du sol italien. Que ceux aux bons offices desquels je dus cet adoucissement reçoivent ici le témoignage public de ma reconnaissance!

Tels furent les incidents qui m’amenèrent, en juillet 1866, en compagnie de ma femme et de mes enfants à demander asile à la République tessinoise, et à chercher sur le territoire hospitalier de la Suisse la paix et la sécurité qu’on devrait trouver sous tous les gouvernements civilisés, mais dont une liberté men songère, laquelle n’est autre chose qu’un despotisme masqué, ne me permettait plus de jouir dans mon pays. Et voilà comment nous nous établîmes à Mendrisio, où nous reçûmes de vous et de votre excellent frère un accueil si cordial que le souvenir ne s’en éteindra chez moi qu’avec la vie.

Il y avait bien longtemps, Monsieur l’Abbé, que mon cœur n’avait connu une aussi pleine confiance et des émotions aussi douces, aussi suaves, que celles que j’ai éprouvées, durant quatre mois, au milieu des bons Mendrisiens. Outre les charmes naturels d’un paysage admirable, j’ai trouvé tant de charité et d’urbanité chez les habitants que je ne saurais dire ce que j’admire le plus en eux, de leur foi, ou de leur honnêteté, ou de leur courtoisie.

Mon esprit fatigué se sentait alors peu disposé aux méditations sérieuses. Il fallait cependant s’occuper; l’idée me vint d’écrire ce récit, qui s’imprime aujourd’hui pour la deuxième fois et que, après l’avoir revu et corrigé démon mieux, j’ose dédier à Votre Révérence.

Je suis bien loin de prétendre, par cet hommage, m’acquitter envers vous et envers tous ceux qui nons ont rendu si agréable le séjour de Mendrisio. Je souhaiterais que l’ouvrage fût plus digne de vous être offert; il a du moins le mérite de nous rappeler à vous ma gratitude, à moi votre bienveillance et l’heureuse hospitalité au sein de laquelle il a été composé.

Je viens de parler de moi plus peut-être qu’il ne convenait à une modeste réserve. Ce n’est pas, veuillez le croire, par désir de tirer vanité de la persécution dont j’ai été l’objet. Que sont mes petites tribulations, en comparaison de ce qu’ont souffert pour l’Eglise tant de prélats, de religieux, de saints prêtres, et même de laïques pieux? Ne croyez pas non plus à aucun ressentiment de ma part envers ceux dont j’ai eu à me plaindre. Dans ce déchaînement général des passions révolutionnaires dont gémit la malheureuse Italie, j’aime mieux accuser la perversité des principes que celle des intentions.

Pour ce qui est des défauts de mon travail, j’invoque votre indulgence, Monsieur l’Abbé ; elle m’excusera et me fera excuser de ceux qui y seraient moins disposés qu’elle-même. Dans cet espoir, je vous baise respectueusement les mains, et suis, avec le plus profond dévouement,

De Votre Révérence,

Le très-humble et obéissant serviteur,

Jules-César FANGAREZZI,

Avocat, de Bologne.

Élisa de Montfort

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