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AVANT-PROPOS.

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Depuis un an, le cardinal de Bérulle compte deux ennemis de plus. L’homme auquel les Souverains Pontifes accordèrent toute leur confiance, et qu’ils honorèrent de la pourpre romaine; que François de Sales et Vincent de Paul, M. Boudon et le P. Surin, la Bienheureuse Marie de l’Incarnation et la Vénérable Madeleine de Saint-Joseph vénéraient comme un Sainte, ne semble digne de tant de respect ni à la Révérende Mère Prieure des Carmélites de Meaux, ni à M. l’abbé Gramidon . Avec certains ménagements de parole, une ironie couverte, des habiletés propres à tromper le lecteur, les deux nouveaux écrivains (M. Gramidon surtout) travaillent, d’un cœur léger, à ruiner une grande mémoire. Quel mal M. de Bérulle a-t-il fait à la vénérable Société de Saint-Sulpice, pour que M. Gramidon, qui appartient à cette Compagnie, se jette avec tant d’ardeur dans la mêlée? Aucun, que je sache. Mais M. Gramidon se fait ici l’avocat d’une cause qui n’est pas la sienne, celle de la Révérende Mère Élisabeth de la Croix, prieure de Meaux. Son livre n’est point une histoire, c’est un plaidoyer. Tel est le jugement que vient d’en porter Mgr l’évêque de Poitiers: «Le but avoué de

» ce livre», dit-il dans une lettre adressée aux Religieuses carmélites de son diocèse, «est de persuader au monde,

» et d’abord à vous toutes, mes filles, que votre situation

» en France n’a pas cessé d’être irrégulière et qu’elle

» l’est aujourd’hui plus que jamais, que vous n’avez

» point l’esprit de sainte Thérèse, et que vos devancières

» dans la Religion ne l’ont pas eu non plus, ni pu

» l’avoir, attendu qu’elles n’ont jamais été gouvernées

» par les Carmes, seuls dépositaires de cet esprit, que,

» par suite, votre devoir comme votre intérêt est de

» quitter votre observance pour vous réunir à l’Ordre

» dont vous êtes séparées, et devenir enfin, par là, filles

» de sainte Thérèse .»

Dans quelles circonstances se sont produites contre le Carmel de France les attaques dont parle Mgr l’évêque de Poitiers? Quel en est le but, quel en est le prétexte? Voilà ce que tout lecteur initié — fort inexactement, du reste, — par M. l’abbé Gramidon au secret de ces luttes domestiques, se demande avec étonnement, peut-être avec scandale. Je me vois donc contraint de raconter ici en deux mots cette triste histoire.

Les Carmélites de la réforme de Sainte-Thérèse sont, comme l’on sait, divisées en trois Congrégations, celle d’Espagne, celle d’Italie ou de Saint-Élie, et celle de France. Toutes trois ont, avec la même règle, leurs constitutions propres, et quelques usages particuliers.

Les Carmélites d’Espagne et celles de la Congrégation de Saint-Élie sont gouvernées par les Carmes. Les Carmélites de France ont un gouvernement qui a été réglé par les Souverains Pontifes eux-mêmes. Leur situation est donc parfaitement légitime. Elles étaient dans cette possession depuis deux cent soixante-dix ans, lorsque fut fondé à Meaux un nouveau monastère. La Révérende Mère Élisabeth de la Croix voulant demander à Rome l’érection canonique de cette maison, crut, d’après le conseil de «personnages éminents, qu’elle n’obtien-

» drait ni l’érection canonique, ni aucune espèce de

» privilége, si elle ne se présentait pas avec les règles,

» constitution, liturgie et cérémonial en usage dans la

» Congrégation de Saint-Élie à Rome.» Elle rédigea sa

supplique dans ce sens, et le Saint-Père daigna accéder a sa demande. Jusque-là, rien qui ne soit parfaitemeut conforme aux règles.

Mais la joie la plus légitime doit avoir ses limites; celle de la Mère Élisabeth les dépassa. Par une circulaire datée du 16 mai 1868, elle annonça à tout le Carmel la faveur qui lui était accordée, le bonheur qu’elle venait d’éprouver en renouvelant ses vœux, selon la règle et la formule primitives; et elle ajoutait ces paroles: «Nous

» bénissons Dieu de nous avoir aussi, par cette grâce, fait

» filles de l’Église, reconnues par elle, et nous osons le

» dire, par notre séraphique Mère sainte Thérèse de

» Jésus, qui l’aimait tant, qu’à sa mort son cri d’amour

» fut: Enfin, je meurs fille de l’Église! Ainsi, rattachées

» au principe de l’unité du corps mystique de Notre-

» Seigneur et de notre saint Ordre, nous avons la satis-

» faction d’être maintenues, comme de droit, sous la

» juridiction de l’Ordinaire.»

A la réception de cette circulaire, l’étonnement fut grand dans le Carmel. Depuis deux cent soixante-dix ans, les Carmélites de France n’avaient donc point fait de vœux selon la règle et la formule primitives, elles n’étaient «point rattachées au principe de l’unité du

» corps mystique de Jésus-Christ et du saint Ordre du

» Carmel: elles n’étaient ni filles de sainte Thérèse, ni

» même filles de l’Église, du moins elles n’étaient point

» reconnues par elle!»

La prieure du monastère de l’Incarnation répondit aussitôt à cette étrange lettre; elle le fit avec autant de modération que de sens et de clarté. Nouvelle circulaire de Meaux, et fort peu respectueuse pour les supérieurs, en date du 20 septembre 1868.

Cette même année pourtant, le Carmel de France, si dédaigneusement traité par la Révérende Mère Prieure de Meaux, voyait le Propre des Carmélites et leur Manuel imprimés à Poitiers, autorisés parla sacrée Congrégation des rites, non-seulement pour les monastères de ce diocèse, mais pour tous ceux de France qui solliciteraient cette grâce de leurs évêques, autorisés à la leur accorder. Bientôt le Saint-Siége faisait plus encore. Par un bref du 23 mars 1869, il accordait à tous les monastères de France, sans distinction ni condition, la participation aux priviléges attachés aux vœux solennels . C’était détruire jusqu’au prétexte de cette déplorable agitation, et l’on devait espérer que la Révérende Mère Élisabeth de la Croix jugerait enfin opportun de déposer les armes. Elle n’en fit rien. Dans une lettre en date du 14 novembre 1869, non contente de représenter comme des grâces particulières au monastère de Poitiers les dernières faveurs accordées par le Saint-Siége à tout le Carmel de France, elle organisait la lutte. Aux lettres, aux mémoires, aux voyages à Rome succédèrent bientôt les nouvelles éditions, puis les notes envoyées aux évêques, puis les copies passées à M. Gramidon. M. Gramidon, peu au courant de ces choses, a cru ce qu’on lui disait, et il vient maintenant affirmer avec une autorité singulière qu’il n’y a de salut pour le Carmel de France que dans le changement d’observance dont le monastère de Meaux a donné l’exemple.

Il faut lire, dans la lettre éloquente de Mgr Pie, la réfutation victorieuse des prétentions de la Mère Élisabeth de la Croix et de M. Gramidon. Mais, pour arriver à démontrer que les Carmélites de France n’ont à peu près du Carmel que le nom, il était nécessaire de donner à cette thèse une base historique en prouvant que leur origine avait été viciée et que le P. de Bérulle, principal auteur de leur établissement en France, avait forfait à sa mission. C’est ce que se sont efforcés de faire les deux écrivains et ce qui explique leur animosité, celle de l’auteur des Notes en particulier, contre le visiteur des Carmélites. «Il ne nous ap-

«partient pas», continue Mgr de Poitiers, parlant de M. Gramidon, «d’apprécier ici l’historique tracé

» par lui de l’établissement des Carmélites en France,

» non plus que les jugements sur les personnes qui

» y ont concouru. Nous aurions à ce sujet plus d’une

» erreur à relever, plus d’une lacune à combler, et

» toutes sortes d’observations à faire. On ne manquera

» sans doute pas de répondre à plusieurs de ces allé-

» gations dans des livres où ces sortes de débats peuvent

» être à leur place. L’attaque nouvelle rend cette dé-

» fense légitime ou plutôt nécessaire.»

Cette défense légitime et nécessaire, je l’entreprends aujourd’hui.

Je dirai d’abord quelques mots des sources auxquelles a puisé M. Gramidon. J’examinerai ensuite ses procédés de discussion. J’arriverai enfin à sa thèse elle-même; elle peut se formuler ainsi: démontrer comment le cardinal de Bérulle a déformé le Carmel, que la Révérende Mère Élisabeth de la Croix est appelée à réformer.

Les Carmélites de France et le cardinal de Bérulle

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