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III
ОглавлениеEn même temps que M. Gramidon insinue beaucoup de choses et en confond un certain nombre, il en supprime quelques-unes qu’il serait cependant utile au lecteur de connaître, telles que les Brefs des Souverains Pontifes, qui ont jugé le différend dans un sens absolument contraire au sien, puisqu’ils ont donné raison à M. de Bérulle. J’y reviendrai. Je me borne ici à signaler au lecteur attentif quelques-unes de ces suppressions.
Lorsque les Carmes vinrent s’établir en France, M. de Marillac, on se le rappelle, se rendit auprès d’eux pour leur demander de la part des Religieuses du monastère de l’Incarnation s’ils prétendaient avoir la charge de leur monastère. Ils répondirent verbalement que non, et le P. Denis de la Mère de Dieu en écrivit même de sa main la déclaration. Le texte nous en est connu par M. de Marillac. M. Gramidon passe sous silence la réponse verbale du P. Denis, et quant à sa déclaration écrite, on va voir ce qu’il en fait.
Ainsi M. Gramidon passe absolument sous silence la défense faite par le Général des Carmes à ses Religieux de s’ingérer dans la conduite des Carmélites! Fort de ce texte tronqué, l’auteur des Notes m’accable de l’air le plus triomphant du monde: «Ce sont les supérieurs
» français qui oublient toutes les convenances et toutes
» leurs paroles. Ce sont eux qui envoient le garde des
» sceaux imposer aux Religieux de signer un acte de
» renonciation aux droits réservés dans la bulle de Clé-
» ment VIII et reconnus par M. de Bérulle...» Tout cela
ne signifie plus rien du moment où l’on rétablit la phrase supprimée par M. Gramidon. Mais de plus, autant de mots, autant d’inexactitudes: 1° M. de Marillac ne fut nommé garde des sceaux que le 1er juin 1626. Nous en sommes loin en 1611, et il n’avait point alors l’autorité que lui prête, avant le temps et pour le besoin de la cause, M. Gramidon. 2° La bulle de Clément VIII ne donnait aux Religieux italiens — et les Carmes dont il s’agit aptenaient à la Congrégation de Saint-Élie — aucun des droits dont parle M. Gramidon. 3° M. de Marillac n’imposa rien. Ce fut seulement après que les Religieux lui eurent protesté qu’ils avaient défense de réciter même un Pater et un Ave dans les églises des Carmélites, qu’il leur demanda s’ils voulaient lui donner cette déclaration par écrit. M. Gramidon tronque le récit aussi bien que la déclaration. Puis il ajoute: «J’ai peine à » croire que le P. Denys, comme le dit M. Houssaye, ne » parut en aucune sorte blessé de cette démarche et de » cette demande ». Je le pense bien, si l’on juge ces
choses d’après le texte deux fois altéré de M. Gramidon. Mais tout se comprend si l’on recourt au texte original. Les Religieux ne purentêtre blessés qu’on leur demandât d’écrire ce qu’ils venaient de dire librement; et il ne dut pas leur en coûter de déclarer qu’ils ne se proposaient pas de gouverner les Carmélites, puisqu’ils avaient défense de leur Général de se mêler de leur conduite. Mais tout cela embarrassait M. Gramidon, il l’a supprimé.
Autre suppression. Il s’agit d’un usage importé en France par les Mères espagnoles et que M. de Bérulle interdit. M. Gramidon me cite: «Selon l’usage d’Es-
» pagne, les Mères chantaient tout en filant. Souvent
» elles s’interrompaient, et, apostrophant Notre-Seigneur,
» elles lui adressaient à haute voix, dans le langage le
» plus naïf et le plus tendre, les protestations de leur
» amour. M. de Bérulle, dont la charité était réglée dans
» ses manifestations par un bon sens tout français, n’ap-
» prouva pas cet usage, et le supprima. Il respectait la
» liberté, mais il voulait qu’elle eût des bornes ... Il
» respecta la liberté en la supprimant», continue spirituellement M. Gramidon. Ainsi présentée, la conduite de M. de Bérulle est inexplicable en effet. Mais ici encore M. Gramidon a fait en plein bois une coupe qui lui ouvre un chemin commode. Voici le récit tel que je l’ai donné d’après les Chroniques. «Jésus-Christ au tabernacle
» attirait si puissamment les saintes Religieuses, qu’elles
» passaient la plus grande partie de leur vie à ses pieds,
» et comme, en dehors des heures de communauté, le
» travail est de rigueur, elles croyaient tout concilier en
» apportant leur quenouille au chœur ou dans leur ora-
» toire. Là, assises sur leurs talons, elles chantaient tout
» en filant », et le reste cité par M. Gramidon. Dans le récit tronqué tel que le donne cet auteur, M. de Bérulle interdit aux Carmélites de parler à Notre-Seigneur de leur amour, à haute voix, et tout en filant! Dans le récit vrai, M. de Bérulle interdit aux Carmélites de parler tout haut dans le chœur et dans l’oratoire, et de s’y installer pour filer. Je ne sais si cela se pratique à Meaux, mais à coup sûr, ce n’est pas nécessaire pour être fidèle à l’esprit de sainte Thérèse. Que dire cependant d’un auteur qui supprime avec un tel arbitraire la moitié d’un récit, et en change aussi complétement le sens! Après cela, je n’ai pas le courage de relever les conséquences tirées par M. Gramidon d’un passage tronqué. J’en appelle à la conscience du lecteur.