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Les insinuations. On en trouve à chaque page. M. Gramidon sent bien qu’il ne pourrait dire franchement tout ce qu’il pense de M. de Bérulle, sans s’exposer à voir nombre de lecteurs fermer aussitôt le livre. Pour les retenir, il se contente d’insinuer. Veut-on des exemples? Citons d’abord le petit portrait que M. Gramidon trace de M. de Bérulle. C’est le chef-d’œuvre du genre. Rien de plus inoffensif en apparence. Tout y est si habilement ménagé ! Mais l’impression qu’on en retire, — et elle est voulue du peintre, — c’est que les éloges décernés à l’enfance de M. de Bérulle sont de pieuses imaginations; qu’en définitive ce fut un jeune homme qu’aucun Ordre religieux ne consentit à recevoir; qui était incapable, — probablement faute de jugement, — de rien comprendre à l’étude du droit, et se montrait déjà fort enclin à la dissimulation. Après avoir raconté comment, pour légitimer ses fréquentes visites à mademoiselle Dabra de Raconis, qu’il travaillait à convertir, M. de Bérulle se faisait passer pour son parent: «L’impression

» qu’on éprouve en voyant ce pieux jeune homme re-

» courir à cette feinte», conclut suavement M. Gramidon, «ne doit pas faire oublier qu’il ne s’y portait que

» par un motif de zèle .»

Quelle indulgence! Le trait final est tellement dans la manière du peintre, qu’achevant plus loin le portrait de M. de Bérulle, et cette fois d’un pinceau moins caressant, après avoir rappelé ses habiletés, ses réticences, ses paroles violentes, ses abstentions calculées, ses plaintes amères, il ne peut se décider à finir sans avoir parlé des intentions toujours bonnes du visiteur des Carmélites . Vraiment le miel abonde dans ce livre,

Et jusqu’à Je vous hais, tout s’y dit tendrement.

Malgré ses intentions toujours bonnes, M. de Bérulle avait encore un autre défaut, et M. Gramidon n’aurait garde de l’oublier. Il était gallican, et même janséniste. Je ne puis avoir la prétention de convaincre M. Gramidon du contraire. Après l’échec de mon premier volume, qu’augurer du second? Mais ce qu’il faut examiner ici, c’est la forme que revêt l’accusation. A propos d’une citation de Tabaraud : «Il est triste de voir les jansé-

» nistes entourer toujours de leur faveur compromettante

» M. de Bérulle et le grand couvent», remarque l’auteur des Notes. Dans sa préoccupation, il oublie que du vivant de M. de Bérulle, le grand couvent était gouverné soit par la Mère Madeleine de Saint-Joseph, soit par des Religieuses remplies du même esprit qu’elle. Pour insinuer que M. de Bérulle est janséniste, M. Gramidon en est donc réduit à insinuer que la Mère Madeleine de Saint-Joseph l’était aussi: la Mère Madeleine, dont la cause de béatification se poursuit à Rome! Ici l’habileté se prend dans ses propres filets.

Mais, si émoussée que soit l’arme, elle ne laisse pas que de pouvoir faire des blessures. M. Gramidon le sait. Aussi, pour mettre hors de combat ceux qui ne reconnaissent pas la nouvelle réformatrice du Carmel, ne manque-t-il pas d’insinuer que si on ne suit pas le mouvement imprimé par Meaux, on se montre vraiment par trop fidèle «à cette école de libertés séparées et de

» doctrines séparées qui déjà (du temps de M. de Bérulle)

» jetait dans les esprits le germe des divisions funestes

» dont l’Église de France a si longtemps souffert» Les Carmes autrefois accusaient le nonce Bentivoglio, coupable de soutenir M. de Bérulle, d’être un gallican; le même reproche se reproduit de nos jours. M. Gramidon, il est vrai, n’emploie pas un si gros mot. Sa plume affectionne des expressions moins anguleuses: libertés séparées, doctrines séparées, Carmel séparé. Le mot séparé à son oreille est doux. Au fond, l’on sait ce que cela veut dire. La Mère Élisabeth ignore ces détours. Elle célèbre dans je ne sais quelle lettre la ruine du gallicanisme, auquel sa réforme portera sans doute le coup suprême. Elle le prend sur un ton fort haut avec la Prieure du premier couvent, qui a employé l’expression «près la Cour de Rome, expression exhumée du tombeau des parlements, et qui sonne mal», remarque-t-elle gravement. Vraiment, quand on songe que ces solennels avertissements, qu’ils sortent de Saint-Sulpice ou de Meaux, sont surtout à l’adresse du diocèse de Poitiers, n’était le sérieux du sujet et la tristesse d’une telle lutte, on n’y répondrait que par le sourire du dédain.

On pense bien que celui qui écrit ces lignes n’est point ménagé, quoique les formes extérieures soient toujours respectées. A propos de la Révérende Mère Anne de Jésus et du portrait que j’en ai tracé, — portrait que des hommes dont M. Gramidon ne répudierait pas l’autorité ont trouvé très-respectueux, — l’auteur des Notes veut bien, avec une douceur protectrice, déplorer mes insinuations. Il se trompe, l’insinuation est un art que j’ignore absolument; mais je me permettrai d’ajouter, — et tous ceux qui ont lu son livre seront de mon avis, — qu’il y excelle...

Les Carmélites de France et le cardinal de Bérulle

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