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1. Diversité religieuse des Grecs

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Le rapport au sacré dans le monde grec ou gréco-romain, comme chacun sait, est sensiblement distinct de celui qui se développera dans les trois religions monothéistes ultérieures qui nous sont bien connues : judaïsme, christianisme et islam. L’idée de religion s’y révèle différente, le terme de « religion » lui-même est du reste tardif et bien sûr d’origine latine, les Grecs parlant plutôt des « choses sacrées, ta hiera ». La différence terminologique est ici indicative de quelque chose, je veux dire qu’on ne trouve pas dans l’hellénisme la « religion », au sens d’un corps organisé et véritablement unifié de croyances et de doctrines dont un clergé officiel aurait pour charge de transmettre les enseignements et d’orchestrer les rituels. Le rapport aux dieux, en Grèce ancienne, est marqué surtout par la diversité et la fluidité. Il n’y a pas une croyance mais une diversité de croyances, une multiplicité de récits variables et modulables sur les dieux selon les lieux et les auteurs ou les poètes concernés, récits dont aucun ne fait autorité à la manière d’un texte sacré ou révélé. Du fait, par ailleurs, de la diversité des dieux et des réalités divines elles-mêmes – l’idée, on le sait, que le divin relève plutôt là-bas d’un Prädikatsbegriff que d’un Substanzbegriff –, la religion n’endossa jamais ou de manière seulement très marginale ce caractère tranchant et impératif qu’elle prend souvent en contexte monothéiste. En bref, on peut y reconnaître une sorte de tolérance native ou naturelle, une latitude ou une indulgence d’avant l’instauration dans l’histoire d’une tolérance qu’on pourrait dire corrective, opposée à l’intolérance ou à l’intransigeance institutionnalisée. Bref, sans doute n’existait-il pas de concept de tolérance religieuse à proprement parler chez les Grecs, mais cela pour la simple raison qu’ils n’en avaient guère besoin, le polythéisme antique se trouvant prémuni, pour ainsi dire d’avance, de l’exclusivisme et du fanatisme religieux. La variabilité des points de vue apparaît ainsi coextensive au polythéisme antique, comme plusieurs spécialistes l’ont déjà fait remarquer. Il y a surtout, comme l’observait notamment Christian Meier, la dimension politique de l’affaire :

Politiquement, ce qui est le plus frappant avec la religion grecque est ce qu’elle n’était pas. Les aristocraties grecques ne l’utilisèrent pas comme un instrument de pouvoir. Pour être plus précis, les aristocrates grecs n’ont pas organisé et contrôlé l’accès aux dieux, et plus spécifiquement la découverte et l’interprétation du vouloir divin, de telle manière qu’il aurait été possible, sur cette base, de développer une autorité cléricale et ultimement politique1.

On trouve d’ailleurs une explication similaire chez Josiah Ober, qui notait :

Mais, à la grande différence des autres sociétés prémodernes, les prêtres des cultes grecs n’ont pas réussi à s’appuyer sur leur pouvoir religieux pour obtenir une position sociale privilégiée ou un quelconque pouvoir politique2.

Ainsi, le caractère ouvert, non autoritaire et relativement apolitique du sacré polythéiste – même si des cultes civiques existaient bel et bien en Grèce antique – a été relevé par nombre de spécialistes, ainsi encore par George Kerferd, qui rappelait :

La religion grecque n’a jamais été, en aucune façon, une entité unitaire […] ; rien ne ressembla jamais, ni de près ni de loin, à ce que nous pourrions qualifier de système ecclésiastique organisé, pas même à l’intérieur de l’une ou l’autre des cités États. Aucun texte ne fit jamais autorité, à la manière de la Bible ou du Coran, de même qu’il n’y eut jamais un credo unique, ou même plusieurs3.

La religion grecque relève donc davantage d’une orthopraxie, à savoir d’une pratique codifiée des cultes, que d’une orthodoxie, soit d’une croyance juste. C’est aussi la conclusion à laquelle deux spécialistes récents parviennent, Pierre Bonnechere et Vinciane Pirenne-Delforge, quand ils écrivent : « Parler de croyances en Grèce risque par anachronisme d’altérer l’appréhension du polythéisme grec et toute la plasticité qui le caractérise4 ».

Bref, par des moyens différents, on peut dire que la tolérance religieuse moderne renoue – après une longue histoire de conflits religieux violents – avec le faible niveau de contrainte constatable au sein du polythéisme grec et romain, c’est là le point à retenir. Je préviens tout de suite l’objection qui pourrait fuser : mais que faites-vous des procès pour impiété, des procès en asebeia, illustrés notamment par l’affaire Socrate ? L’intransigeance religieuse n’est-elle pas de tout temps et de tout pays ? En réalité, le procès de Socrate représenterait une exception dans l’histoire grecque, « l’unique cas dans l’histoire athénienne d’une action intentée contre un intellectuel pour délit d’opinion5 ».

Politik – Kirche – politische Kirche (1919–2019)

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