Читать книгу De l'aristocratie considérée dans ses rapports avec les progrès de la civilisation - Hippolyte Passy - Страница 7
ОглавлениеCHAPITRE QUATRIÈME.
De l’influence des institutions destinées à perpétuer les fortunes aristocratiques, sur la composition du corps social.
IL existe entre les diverses parties de l’existence sociale des rapports si intimes et si directs, que, dans des chapitres destinés à traiter de l’influence qu’exercent sur chacune d’elles les privilèges de propriété, il est à peu près impossible de séparer nettement les considérations qui s’y rapportent. Comment parler des effets de la distribution des richesses sur la quantité de population, par exemple, sans rappeler quelques-uns des effets de cette même distribution sur l’industrie? Comment parler de l’industrie, sans aborder les causes morales dont elle éprouve si fortement l’influence? Aussi chercherai-je moins à mettre dans les idées que je vais présenter un ordre exclusif, qu’à les exposer avec tout le développement et la clarté nécessaires.
Commençons par l’examen de l’influence de l’inégalité factice en matière de richesse sur la composition du corps social; c’est-à-dire, sur les classifications qu’elle établit.
On a vu, dans le chapitre précédent, comment, en adjugeant à la minorité privilégiée la totalité ou seulement une portion du patrimoine social, les institutions nobiliaires accroissent la force des tendances favorables à l’inégalité des fortunes: plus elles resserrent le nombre des riches, plus elles augmentent celui des pauvres; et de là, des conséquences que nous fera apprécier l’examen des rapports subsistants entre les propriétaires et le reste de la communauté.
Dans tout pays, quiconque ne possède ni terres, ni capitaux, n’a d’autres moyens d’existence qu’un travail manuel, et, conséquemment, vit des salaires qu’il reçoit des riches. Ainsi, d’une part, il y a offre de services, et de l’autre, acceptation à un taux constamment réglé par la proportion existante entre la quantité de main d’oeuvre offerte et la quantité demandée. Se présente-t-il plus de journaliers que les riches n’en désirent? Les moins exigeants sont seuls employés, et les salaires sont médiocres. S’en présente-t-il moins? les salaires s’élèvent; mais, dans tous les cas, les prolétaires étant dans la nécessité absolue de travailler, tandis que les riches ont seulement intérêt à leur fournir de l’ouvrage, une telle disparité dans la situation des contractants met toujours dans la balance un poids défavorable à l’indigent affamé.
Parmi les causes dont l’influence se fait sentir sur le taux des salaires, il n’en est pas de plus active que le rapport de nombre entre les deux classes. Supposez, par exemple, qu’un même individu possède à la fois les terres, les usines, en un mot, tous les fonds productifs d’une contrée: de lui seul dépendrait le sort de la population. C’est à lui qu’elle s’adresserait pour obtenir du travail; et comme, à moins de circonstances d’exception, il inclinerait à ne lui faire que la moindre part possible, il est évident que, forcée par le besoin à subir les lois qu’il lui plairait d’imposer, cette même population se verrait réduite aux salaires les plus rigoureusement indispensables à sa conservation.
Supposez que les mêmes fonds productifs deviennent le partage de plusieurs, le peuple y gagnera beaucoup: indépendamment des avantages attachés au choix d’un maître, les salaires s’élèveront par l’effet de la concurrence des propriétaires; et si leur nombre croissait de plus en plus, la récompense du travail grossirait dans une proportion analogue.
Telles sont les conséquences des rapports de nombre qu’entretient entre les diverses portions de la communauté, une distribution plus ou moins inégale des fortunes. Aux effets matériels de la concurrence, se joignent encore des circonstances morales dont l’influence les étend et les fortifie. Quelques individus jouissent-ils d’une opulence exclusive, ils mettent peu d’ardeur à l’accroître, et contents d’un sort prospère, ils n’encouragent que faiblement une industrie dont ils possèdent seuls les éléments. Les propriétaires sont-ils au contraire moins riches et plus nombreux, la modicité des lots éveille le désir de les accroître; l’industrie prend son essor, l’espoir du gain engage à mieux rétribuer les classes laborieuses; on se dispute leur travail, et bientôt, l’élévation des salaires les appelle à l’aisance et au bonheur.
On le voit donc: de la concentration plus ou moins marquée des fortunes résulte et la composition du corps social, et le degré d’aisance dont jouit la multitude. Peu de riches, et beaucoup de pauvres, voilà le fruit du privilége. Tout ce qu’il donne au petit nombre étant pris sur les masses, tend à les retenir sous le joug de la misère et de l’ignorance, et, comme nous le montrerons ailleurs, met de puissants obstacles à leurs progrès vers le bien-être et la prospérité.