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CHAPITRE II

Table des matières

Sur la Dole

Ce sommet domine non seulement le lac de Genève et ses alentours, mais encore tout le Jura, dont il présenterait l’ensemble, si l’œil pouvait embrasser d’aussi grandes distances. On voit pourtant distinctement comment le Jura est composé de chaînes parallèles. On peut même nombrer ces chaînes; j’en ai compté sept: elles sont toutes plus basses que celle qui sert de base à la Dole; mais elles sont d’autant plus élevées qu’elles en sont plus voisines; les plus basses sont, comme je l’ai dit, celles qui s’en éloignent le plus au nord-ouest. On voit du haut de la Dole, les premières de ces chaînes tourner leurs escarpements contre le lac; niais celles qui sont au delà ne paraissent que comme des ondes bleuâtres qu’on peut bien compter, mais dont on ne démêle pas les formes.

On prétend qu’au lever du soleil, par un temps parfaitement clair, on peut, du sommet de la Dole, reconnaître sept différents lacs: le lac de Genève, celui d’Annecy, celui des Rousses, et ceux du Bourget, de Joux, de Morat et de Neufchâtel. Je crois bien effectivement que ces sept lacs sont tous, ou en tout ou en partie, à découvert pour le sommet de la Dole; mais je n’ai pourtant pu distinguer que les trois premiers; quoique pour les voir j’aie à diverses reprises affronté le froid, qui, même au gros de l’été, règne sur cette sommité, dans le moment où le soleil se lève: j’aperçevais bien quelques vapeurs un peu accumulées dans les places où je savais que ces lacs devaient être; mais je ne voyais pas distinctement leurs eaux.

Ce que l’on voit bien clairement, et qui forme un magnifique spectacle du haut de la Dole, c’est la chaîne des Alpes. On en découvre une étendue de près de cent lieues; car on les voit depuis le Dauphiné jusqu’au Saint-Gothard. Au centre de cette chaîne s’élève le Mont-Blanc, dont les cimes neigeuses surpassent toutes les autres cimes, et qui, même à cette distance d’environ vingt-trois lieues, paraissent d’une hauteur étonnante. La courbure de la terre et la perspective concourent à déprimer les montagnes éloignées; et comme elles diminuent réellement de hauteur aux deux extrémités de la chaîne, on voit les hautes sommités des Alpes s’abaisser sensiblement à droite et à gauche du Mont-Blanc, à mesure qu’elles s’éloignent de leur majestueux souverain.

Vue de Chamonix.


Pour jouir de ce spectacle dans tout son éclat, il faudrait le voir comme le hasard me l’offrit un jour. Un nuage épais couvrait le lac, les collines qui le bordent, et même toutes les basses montagnes; le sommet de la Dole et les hautes Alpes étaient les seules cimes qui élevassent leurs têtes au-dessus de cet immense voile: un soleil brillant illuminait toute la surface de ce nuage, et les Alpes éclairées parles rayons directs du soleil et par la lumière que ce nuage réverbérait sur elles, paraissaient avec le plus grand éclat, et se voyaient à des distances prodigieuses. Mais cette situation avait quelque chose d’étrange et de terrible: il me semblait que j’étais seul sur un rocher au Milieu d’une mer agitée, à une grande distance d’un continent bordé par un long récif de rochers inaccessibles.

Peu à peu ce nuage s’éleva, m’enveloppa d’abord dans son obscurité, puis, montant au-dessus de ma tête, il me découvrit tout à coup la superbe vue du lac et de ses bords riants, cultivés, couverts de petites villes et de beaux villages.

On trouve au sommet de la Dole un terre-plein assez étendu, qui forme une belle terrasse, couverte d’un tapis de gazon.

Cette terrasse est depuis un temps immémorial, aux deux premiers dimanches d’août, le rendez-vous de toute la jeunesse de l’un et de l’autre sexe des villages du Pays-de-Vaud, qui sont situés au pied de la Dole. Les bergers des chalets voisins réservent pour ces deux jours du lait, de la crême, et préparent toutes sortes de mets délicats, qu’ils savent composer avec le simple laitage.

On goûte là mille plaisirs variés: les uns jouent à des jeux d’exercice, d’autres dansent sur le gazon serré et élastique, qui repousse avec force les pieds robustes et pesants de ces bons Helvétiens; d’autres vont se reposer et se rafraîchir sur le bord du rocher, jouir du beau spectacle qu’il présente. L’un montre du doigt le clocher de son village; il reconnaît les vergers et les prairies qui l’entourent, et ces objets lui retracent les évènements les plus intéressants de sa vie. Un autre qui a voyagé nomme toutes les villes du pays; il indique le passage du Mont-Cenis, le chemin qui conduit à Rome, cette ville célèbre, même pour ceux qui n’en tirent ni pardons, ni dispenses. Les plus hardis font preuve de courage en marchant sur le bord du précipice situé de ce côté de la montagne. D’autres, moins vains et plus galants, n’emploient leur adresse qu’à ramasser les fleurs qui croissent sur ces rochers escarpés; ils cueillent le leontopodium, remarquable par le duvet cotonneux qui le recouvre; le senecio alpinus, bordé de grands rayons dorés; l’œillet des Alpes qui a l’odeur du lis; le satyrium nigrum, qui exhale le parfum de la vanille: et les échos des montagnes voisines retentissent des éclats de cette joie vive et sans contrainte, compagne fidèle des plaisirs simples et innocents.

Mais un jour cette joie fut troublée par un évènement funeste: deux jeunes époux, mariés du même jour, étaient venus à cette. fête avec toute leur noce; ils voulurent, pour s’entretenir un moment avec plus de liberté, s’approcher du bord de la montagne; le pied glissa à la jeune mariée, son époux voulut la retenir, mais elle l’entraîna dans le précipice, et ils terminèrent ensemble leur vie dans son plus beau jour. On montre un rocher rougeâtre qu’on dit avoir été teint de leur sang.

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