Читать книгу Les morts bizarres - Jean 1849-1926 Richepin - Страница 10

VI

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Deux jours après, je recevais la lettre suivante, qui était datée du lendemain de notre départ, et avait été écrite à l’auberge de la Grande-Route:

Mon ami,

Je vous écris selon ma promesse. Je suis pour le moment à l’auberge où je viens de remettre à un officier prussien ma prisonnière.

Il faut vous dire, mon ami, que cette pauvre femme laisse là-bas, en Allemagne, deux enfants. Elle avait suivi son mari, qu’elle adorait, ne voulant pas le savoir exposé seul aux hasards de la guerre, et les enfants étaient restés auprès des grands parents.

Voilà ce que je sais depuis hier, et ce qui a changé mes idées de vengeance en idées plus humaines.

Au moment où je me plaisais à insulter cette femme, à lui promettre d’affreux tourments, à lui rappeler Piédelot brûlé vif, et à lui préparer le même supplice, elle me regarda froidement et me dit:

— Qu’as-tu à me reprocher, femme française? tu crois bien faire en vengeant ton mari, n’est-ce pas?

— Oui, lui répondis-je.

— Eh bien! j’ai fait en le tuant ce que tu vas faire en me brûlant. J’ai vengé le mien. C’est ton mari qui l’avait tué.

— Alors, lui dis-je, puisque tu approuves cette vengeance, prépare-toi à la subir,

— Je ne la crains pas.

Et de fait, elle ne semblait pas avoir perdu courage. Sa figure était sereine, et c’est sans frémir qu’elle me regardait ramasser du bois, des feuilles sèches, et vider fiévreusement la poudre des cartouches qui devait servir à rendre plus cruel son bûcher.

J’hésitai un moment à poursuivre. Mais le capitaine était là, sanglant, la figure blême, qui me regardait de ses grands yeux vitreux. Je donnai un baiser à ses lèvres pâles, et je me remis à l’œuvre.

Soudain en relevant la tête, je vis que la uhlane pleurait. Cela m’étonna.

— Tu as donc peur? lui dis-je.

— Non; mais en te voyant embrasser ton mari, j’ai pensé au mien et à tous les êtres que j’aime.

Elle continuait à sangloter. Elle s’arrêta brusquement et me dit en mots entrecoupés, presque à voix basse:

— Est-ce que tu as des enfants, toi?

Un frisson me parcourut le corps. Je compris que la pauvre femme en avait. Elle me dit de regarder dans un portefeuille, qui se trouvait sur sa poitrine. Il y avait deux photographies de tout jeunes enfants, un garçon et une fille, avec ces bonnes et douces figures joufflues de bébés allemands. Il y avait aussi deux mèches de cheveux blonds. Il y avait encore une lettre écrite en gros caractères, d’une main peu exercée, et commençant par les mots allemands qui signifient «ma petite mère.»

Je ne pus retenir mes larmes, mon cher ami. Je la détachai, et, sans oser regarder la face de mon pauvre mort qui restait sans vengeance, je descendis avec elle jusqu’à l’auberge.

Elle est libre. Je viens de la quitter, et elle m’a embrassée en pleurant. Je remonte trouver mon mari. Venez au plus vite, mon cher ami, chercher nos deux cadavres.

Je partis en toute hâte. Quand j’arrivai, il y avait autour de la maisonnette du village, une patrouille prussienne. Je demandai des renseignements. On me dit que là-dedans étaient un capitaine de francs-tireurs, et sa femme, morts. Je déclinai leurs noms; on vit que je les connaissais; et je demandai alors à me charger de leur sépulture.

— Quelqu’un s’en est déjà chargé, me fut-il répondu. Entrez, si vous voulez, puisque vous les avez connus. Vous vous entendrez avec leur amie pour les funérailles.

J’entrai. Le capitaine et sa femme étaient couchés côte à côte, sur un lit, sous un drap. Je le soulevai et vis que la femme s’était fait au cou la même blessure que celle dont son mari était mort.

Au chevet du lit, veillant et pleurant, était la personne qu’on m’avait désignée comme leur amie. C’était la uhlane.

Les morts bizarres

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