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A Michel de l’Hay I

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The blood-red blossom of war with a hearth of fire,

(TENNYSON).

C’était après la déroute de Bourbaki dans l’Est. L’armée avait dû se jeter en Suisse, décimée, disloquée, épuisée, après cette épouvantable campagne dont la brièveté seule sauva cent cinquante mille hommes d’une mort certaine. La faim, le froid terrible, les étapes forcées sans souliers et dans la neige, par les affreux chemins de montagne, nous avaient plus particulièrement fait souffrir, nous autres francs-tireurs, qui allions en enfants perdus, sans tentes, sans distributions, toujours aux avant-postes quand on marchait vers Belfort, toujours à l’arrière-garde en revenant par le Jura. De notre petite troupe, forte de cent douze hommes au 1er janvier, il ne restait que vingt-deux malheureux, hâves, amaigris, déguenillés, quand nous pûmes enfin mettre le pied sur le territoire suisse.

Là, ce fut le salut, le repos. On sait quelle sympathique bonté fut témoignée à la pauvre armée française et de quels soins on nous entoura. Chacun se reprit à la vie, et ceux qui, avant la guerre, étaient des riches et des heureux, avouèrent que jamais bien-être ne leur avait paru plus doux que celui-ci. Songez donc! on mangeait maintenant tous les jours et on dormait toutes les nuits.

Cependant la guerre continuait en France, dans tout l’Est qui avait été excepté de l’armistice. Besançon tenait encore l’ennemi en respect, et celui-ci s’en vengeait eu ravageant la Franche-Comté. Parfois nous apprenions qu’il s’était approché tout près de la frontière, et nous voyions partir les troupes suisses qui devaient former entre lui et nous un cordon de surveillance.

A la longue, cela nous fit mal au cœur; et, comme la santé et la force nous revenaient, nous eûmes bientôt la nostalgie du combat. C’était honteux et irritant de savoir là, à trois lieues de nous, dans notre malheureux pays, les Prussiens vainqueurs et insolents, de nous voir protégés par notre captivité, et de nous sentir par elle impuissants contre eux.

Un jour, notre capitaine nous prit à part cinq ou six, et nous parla longtemps et furieusement de cela. C’était un fier gaillard que ce capitaine! Ancien sous-officier de zouaves, grand, sec, dur comme l’acier, fin comme l’ambre, il avait durant toute la campagne donné, comme on dit, du fil à retordre aux Prussiens. Il se rongeait dans le repos, et ne pouvait s’habituer à cette idée qu’il était prisonnier et qu’il n’avait plus rien à faire.

— Tonnerre de Dieu! nous dit-il, est-ce que cela ne vous fait rien à vous, d’entendre dire comme cela qu’il y a à deux heures d’ici des zurlans (il prononçait toujours ainsi le mot uhlans)? Cela ne vous remue rien dans le ventre, de savoir que ces gueux-là se promènent en maîtres dans nos montagnes, où cinq hommes bien déterminés pourraient en tuer une brochette tous les jours? Moi, je ne peux plus y tenir, il faut que j’y aille.

— Mais, capitaine, comment y aller?

— Comment? C’est si difficile! Comme si nous n’avions pas joué plus d’un bon tour depuis six mois! Comme si nous n’étions pas sortis de bien des bois autrement gardés que la Suisse? Le jour où vous voudrez passer en France, moi je m’en charge.

— Oui, passer peut-être; mais qu’est-ce que nous y ferons, en France, sans armes?

— Sans armes? Nous en prendrons là-bas, parbleu!

— Vous oubliez le traité, objecta un autre; nous risquons de faire arriver malheur aux Suisses, si Manteuffel apprend qu’ils ont laissé rentrer des prisonniers en France.

— Allons, dit le capitaine, tout cela c’est des mauvaises raisons. Moi je veux aller tuer des Prussiens, je ne vois que cela. Vous ne voulez pas faire comme moi, c’est bon! Dites-le tout de suite. J’irai bien tout seul; je n’ai besoin de personne.

Naturellement, on se récria, et comme il fut impossible de faire changer d’avis au capitaine, il fallut bien lui promettre d’aller avec lui. Nous l’aimions trop pour le quitter, lui qui ne nous avait jamais fait défaut, en quelque occasion que ce fût. L’expédition fut décidée.

Les morts bizarres

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