Читать книгу Les morts bizarres - Jean 1849-1926 Richepin - Страница 6

II

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Le capitaine avait son plan, qu’il ruminait depuis quelque temps déjà. Un homme du pays, qu’il connaissait, lui prêta une voiture et cinq vêtements de paysan. Dans les deux coffres du véhicule, deux de nous se blottirent, on mit par dessus de la paille, et on chargea le tout de fromage de Gruyères qu’on était censé aller vendre en France. Le capitaine dit aux sentinelles qu’il emmenait avec lui deux amis pour protéger sa marchandise en cas de vol, et cette précaution ne parut pas extraordinaire. Un officier suisse eut l’air de regarder la voiture d’un air malin. C’était pour en imposer à ses soldats. En somme, officier et soldats n’y virent que du feu.

— Hue! Dia! criait le capitaine en faisant claquer son fouet. Puis nos trois hommes parlaient en patois, fumant tranquillement leur pipe. Moi j’étouffais dans mon coffre où l’air n’entrait que par des trous sur le devant, et en même temps j’y gelais, car il faisait un rude froid.

— Hue! Dia! criait le capitaine, et la voiture de gruyères entra en France.

Les lignes prussiennes étaient fort mal gardées, l’ennemi se fiant à la surveillance des Suisses. Le sergent prussien parlait l’allemand du Nord. Notre capitaine parlait l’allemand corrompu des quatre cantons. Ils ne se comprenaient pas. Le sergent fit l’entendu, et pour faire croire qu’il comprenait, nous laissa continuer notre route.

Après sept heures de ce voyage bizarre, nous arrivions de nuit dans un petit village ruiné du Jura.

Qu’allions-nous faire? Nous n’avions pour armes que le fouet du capitaine, pour vêtement que nos vareuses de paysans, pour nourriture que nos fromages de Gruyères. Notre seule richesse consistait en munitions, en paquets de cartouches que nous avions. fourrés dans le ventre de quelques grosses meules de fromage. Nous possédions environ mille coups à tirer, soit deux cents chacun; mais il nous fallait des fusils, et même des chassepots.

Heureusement, le capitaine était inventif et hardi. Voici ce qu’il imagina.

Tandis que nous restions à trois, cachés dans une cave du village abandonné, il continua son chemin avec la voiture vide et un homme jusqu’à Besançon. La ville était investie; mais on peut toujours entrer dans une ville de montagne, en suivant les plateaux jusqu’à environ cinq lieues des murs, et en prenant alors à pied les sentiers et les ravins. Ils laissèrent la voiture à Ornans, au milieu des Prussiens, et en détalèrent la nuit, pour aller prendre les hauteurs qui bordent le Doubs. Ils entrèrent le lendemain à Besançon.

Là les chassepots ne manquaient point. Il y en avait encore 40,000 à l’arsenal, et le général Roland, un brave marin, souriant au projet téméraire du capitaine, lui fit donner six fusils et lui souhaita bonne chance. Le capitaine avait aussi trouvé là sa femme qui avait, avant la campagne de l’Est, fait toute la guerre avec nous, et que la maladie seule avait empêchée de continuer avec l’armée de Bourbaki. Elle était remise de ses fatigues, et, malgré le froid de plus en plus cruel, malgré les privations sans nombre qui l’attendaient, elle voulut à toute force repartir avec son mari. Il dut lui céder, et ils se mirent tous trois en route, lui, sa femme et notre camarade.

L’aller n’avait rien été comparativement au retour; il fallait voyager la nuit, et éviter toute rencontre, maintenant que la possession de six fusils les rendait suspects. Et pourtant, huit jours seulement après nous avoir quittés, le capitaine et ses deux hommes étaient auprès de nous. Notre campagne commença.

Les morts bizarres

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