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IV

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Piédelot brûlait vif. Au centre d’un de ces tas de bois fait par les bûcherons, il se tordait, attaché à un pieu, et la flamme le mordait de ses langues aiguës. Quand il nous vit, sa voix lui resta au gosier, il baissa la tête et sembla mourir.

Renverser le foyer, éparpiller les tisons, couper les liens, fut l’affaire d’un moment.

Pauvre ami! dans quel état nous le retrouvions. Il avait eu la veille l’avant-bras gauche brisé, et depuis il semblait qu’on l’eût bâtonné, moulu de coups, tant son malheureux corps était bouffi et couvert de cicatrices, de bleus, de sang. La flamme avait commencé aussi son œuvre sur lui, et il avait particulièrement deux énormes brûlures, l’une au bas du dos, sur le gras des reins, l’autre à la cuisse droite. Sa barbe et ses cheveux étaient roussis. Pauvre Piédelot!

Oh! quelle rage nous empoigna alors! Comme nous nous serions jetés tête baissée au millieu de cent mille Prussiens! Comme nous avions soif de vengeance! Mais les lâches s’étaient enfuis, laissant leur crime derrière eux. Où les trouver maintenant?

En attendant, la femme du capitaine soignait et pansait de son mieux Piédelot, dont le capitaine serrait fiévreusement la main. Au bout de quelques minutes il revint à lui.

— Bonjour, capitaine, dit-il, bonjour les amis! Ah! les coquins! les gueux! Dire qu’ils sont venus à vingt pour nous surprendre?

— Vingt, dis-tu?

— Oui, toute une bande! c’est pour cela que j’ai désobéi, mon capitaine, et que j’ai tiré sur eux. Ils vous auraient massacrés tous en arrivant. J’ai mieux aimé les arrêter. Cela leur a fait peur, et ils n’ont pas osé aller plus loin que la Croix-verte. Ils sont si lâches! Ils m’ont tiré à quatre, comme à la cible à vingt pas; puis, ils me sont tombés dessus à coups de sabres. J’avais le bras cassé, je ne pouvais me servir de ma baïonnette que d’une seule main.

— Mais pourquoi n’as-tu pas appelé au secours?

— Je m’en serais bien gardé. Vous seriez venus, et n’auriez pu me défendre, ni vous défendre vous mêmes, à cinq contre vingt.

— Tu sais bien que nous ne t’aurions pas laissé prendre, mon pauvre vieux.

— J’ai mieux aimé mourir seul, voyez-vous! Je ne voulais pas vous attirer là. Ç’aurait été un guet-apens.

— Allons! ne parlons plus de cela. Te sens-tu un peu mieux?

— Non! non! j’étouffe. Je sais bien que je n’en ai plus pour longtemps. Les gueux! ils m’ont attaché à un arbre, et m’ont battu tant que je me suis trouvé mal; ils secouaient mon bras cassé. Mais je ne criais pas. J’aurais mieux aimé me manger la langue, que de crier devant eux... Maintenant, je peux dire ce que je souffre, je peux pleurer. Cela me fait du bien. Merci, mes bons amis!

— Pauvre Piédelot! nous te vengerons, va!

— Oh! oui! cela, je le veux. Il y a surtout parmi eux une femme, celle du pante que le capitaine a tué hier. Elle est habillée en uhlan; c’est elle qui m’a le plus martyrisé. C’est elle qui a proposé de me faire brûler. C’est elle qui a mis le feu au bois. Coquine! brute!... Oh! comme je souffre! mes reins! mon bras!

Et il retomba épuisé, pantelant, se tordant sous l’agonie épouvantable qui le torturait. La femme du capitaine lui essuyait le front. Nous pleurions tous comme des enfants, de douleur et de rage.

Je ne vous raconterai point la fin. Il mourut une demi-heure après. Avant de passer, il nous avait dit vers quel point avait détalé la bande. Nous prîmes le temps de l’enterrer, et nous nous lançâmes à leur poursuite, furieux.

— Nous nous jetterons au cœur de l’armée prussienne, s’il le faut, avait dit le capitaine; mais nous vengerons Piédelot. Il nous faut ces gredins-là. Jurons de mourir plutôt que de ne pas les trouver. Et si je suis tué avant vous, voici mes ordres: tous les prisonniers faits par nous seront fusillés immédiatement. Quant à la uhlane, on la violera avant de la passer par les armes.

— Il ne faut pas la fusiller, dit la femme du capitaine. C’est une femme. Si tu vis, tu ne voudras pas fusiller une femme, l’outrager suffira. Mais si tu meurs dans cette pousuite, je veux une chose, moi; c’est me battre avec elle. Je la tuerai de ma main. On en fera ce qu’on voudra, si elle me tue.

— Nous la violerons! nous la brûlerons! nous la déchirerons en morceaux! Piédelot sera vengé, œil pour œil, dent pour dent.

Et nous partîmes.

Les morts bizarres

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