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Le lendemain matin nous tombions à l’improviste sur un poste perdu de uhlans à quatre lieues de là. Surpris par notre brusque attaque, ils ne purent ni monter à cheval, ni même se défendre. En deux temps et trois mouvements, nous avions cinq prisonniers, autant que nous étions d’hommes.

Le capitaine les interrogea. Sur leurs réponses, on fut certain que c’étaient ceux de la veille. Alors eut lieu une bizarre opération. L’un de nous s’assura des sexes. Rien ne peut peindre notre joie féroce quand on découvrit parmi eux ce que nous cherchions, la femme-bourreau qui avait torturé notre ami.

Les quatre autres furent fusillés sur-le-champ, le dos tourné, à bout portant.

Puis on s’occupa de la uhlane!... qu’en ferait-on?

Je dois l’avouer, nous étions tous pour la fusillade. La haine, le désir de venger Piédelot, avaient éteint en nous toute pitié. Nous avions oublié que nous allions tuer une femme. Ce fut une femme qui nous le rappela: celle du capitaine. On se décida, sur ses instances, à garder la uhlane prisonnière.

Pauvre femme du capitaine! Elle devait être bien punie de cette clémence.

Le lendemain, nous apprenions que l’armistice était étendu à la région de l’Est, et nous dûmes mettre un terme à notre petite campagne, que nous voulions continuer sur de nouveaux frais. Deux d’entre nous, qui étaient des environs, retournèrent chez eux. Nous ne restâmes plus que quatre en tout: le capitaine, sa femme et deux hommes. Nous étions de Besançon, qui restait investi malgré l’armistice.

— Demeurons ici, avait dit le capitaine. Je ne peux m’imaginer qu’on va comme cela finir la guerre. Que diable, il y a encore des hommes en France, et voici le printemps qui arrive. L’armistice n’est qu’un piège tendu aux Prussiens. On refait une armée pendant ce temps-là, et on va un beau matin leur retomber sur le poil. Nous serons prêts, et nous avons un otage, restons.

Nous établîmes là nos quartiers. Il faisait un froid terrible, et nous sortions peu; il fallait que quelqu’un gardât toujours à vue la uhlane.

Elle était sombre, ne disait jamais rien, ou parlait de son mari que le capitaine avait tué. Elle regardait toujours celui-ci avec des yeux féroces, et nous sentions qu’un cruel besoin de vengeance la tourmentait. Cela nous semblait la meilleure punition des affreux tourments qu’elle avait fait subir à Piédelot. La vengeance impuissante est une si grande douleur!

Hélas! nous qui avions su venger notre camarade, nous aurions dû penser que cette femme saurait venger son mari, et nous tenir toujours sur nos gardes.

Il est vrai que chaque nuit un d’entre nous veillait, et que les premiers jours on liait tous les soirs la uhlane par une corde assez longue, au gros banc de vieux chêne qui était scellé dans le mur. Mais peu à peu, comme malgré sa haine sourde elle n’avait jamais essayé de fuir, on se relâcha de cette excessive prudence. On la laissa coucher ailleurs que sur le banc, et sans liens. Qu’y avait-il à craindre? Elle était au fond de la salle, un homme veillait à la porte, et entre elle et cette sentinelle étaient couchés la femme du capitaine et les deux autres hommes. Elle était seule contre quatre, et sans armes. Il n’y avait pas de danger.

Une nuit, nous dormions, le capitaine était de garde, la uhlane s’était tranquillement blottie dans son coin, plus calme même qu’à l’ordinaire; elle avait souri ce soir-là pour la première fois depuis sa captivité.

Tout à coup, au milieu de la nuit, nous sommes brusquement réveillés par un cri épouvantable. On se lève, à tâtons, et à peine a-t-on le temps de se lever, qu’on se heurte à un couple furieux qui roulait par terre, dans la salle, en se débattant. C’était le capitaine et la uhlane.

Nous nous jetons sur eux, nous les séparons en un moment. La uhlane hurlait et ricanait; le capitaine avait l’air de râler. Tout cela dans l’ombre. Deux d’entre nous la contiennent. On allume, on regarde. Horreur! Le capitaine était affaissé par terre, dans une mare de sang, avec une énorme blessure au cou, Son sabre-baïonnette, arraché de son fusil, était planté dans la plaie béante et rouge.

Quelques minutes après, sans avoir eu le temps de dire un mot, il mourut.

Sa femme ne pleurait pas. Elle avait l’œil sec, la gorge contractée, et fixait la uhlane avec une férocité calme qui faisait peur.

— Cette femme m’appartient, nous dit-elle tout à coup. Vous m’avez juré, il n’y a pas huit jours, de me la laisser tuer à mon gré si elle tuait mon mari. Il faut tenir votre serment. Vous allez l’attacher solidement dans l’âtre, debout contre le fond de la cheminée, puis vous vous en irez où vous voudrez, mais loin d’ici. Je me charge de ma vengeance. Laissez le corps du capitaine. Nous resterons ici tous les trois, lui, elle et moi.

Nous obéîmes, et nous nous en allâmes. Elle nous avait promis de nous écrire à Genève, où nous retournions.

Les morts bizarres

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