Читать книгу Les morts bizarres - Jean 1849-1926 Richepin - Страница 7

III

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Table des matières

La première nuit de son arrivée, il l’entama lui-même. Sous prétexte d’aller tâter le terrain, il descendit à la grande route.

Il faut vous dire que le village, qui nous servait de forteresse, était un petit amas de maisons mal bâties, pauvres, et depuis longtemps abandonnées. En temps ordinaire, il n’y habite guère que quelques bûcherons, et il n’y vient jamais personne. C’est sur un escarpement raide qui se termine en plateau boisé. Les gens du pays débitent ce bois, et le font glisser par gros quartiers le long des ravines en pente droite qu’on nomme coulées et qui mènent à la plaine; là ils en forment des tas qu’ils vendent à des entrepreneurs deux fois l’an. Le lieu du marché est marqué par deux maisonnettes qui donnent sur la grande route et qui servent d’auberges. C’est là qu’était descendu le capitaine par une des coulées.

Il était parti depuis une demi-heure environ, et nous étions aux aguets en haut de la ravine, quand nous entendîmes un coup de feu. Le capitaine nous avait donné l’ordre de ne point bouger, et de venir seulement au son de sa trompe. Cette sorte de corne à bouquin, qu’on entendait d’une lieue, ne sonna pas, et malgré notre cruelle inquiétude, nous dûmes attendre en silence, l’arme au pied.

Descendre une coulée n’est rien; on n’a qu’à se laisser glisser. La remonter est plus dur; il faut grimper en s’accrochant aux branches d’arbres traînantes, à quatre pattes, comme qui dirait à la force des poignets. Une heure mortelle se passa; il n’arrivait pas; rien ne remuait sous les taillis. La femme du capitaine commençait à s’impatienter. Que pouvait-il faire? Pourquoi n’appelait-il pas? Le coup de feu entendu venait-il d’un ennemi, et avait-il tué ou blessé notre chef, son mari? On ne savait que supposer.

A part moi, je pensais ou qu’il était mort ou que son affaire allait bien. J’étais seulement anxieux et curieux de savoir ce qu’il avait fait.

Tout à coup un son de trompe nous arriva, vibrant et sec. Mais nous restâmes surpris. Au lieu de venir d’en bas, comme nous l’attendions, il venait du village derrière nous. Que signifiait ceci? Mystère! Nous eûmes tous la même idée; c’est que le capitaine avait été tué, et que les Prussiens sonnaient ainsi avec sa trompe pour nous attirer dans un piège.

Nous revînmes donc vers les maisons pas à pas, l’œil au guet, le doigt sur la gâchette, en nous cachant sous les branches.

Seule, la femme du capitaine, malgré nos prières, s’élança en avant comme une tigresse, en bondissant. Elle croyait avoir son mari à venger, et avait mis la baïonnette au bout du canon. Nous la perdîmes de vue au moment où un second appel retentissait.

Quelques minutes après, nous l’entendîmes nous crier:

— Arrivez! arrivez! il est vivant! c’est lui!

Nous pressâmes le pas, et nous vîmes en effet, à l’entrée du village, le capitaine qui fumait sa pipe; mais ce qui nous sembla étrange, il était à cheval.

— Eh! eh! nous dit-il, vous voyez bien qu’il y a quelque chose à faire par ici. Me voici déjà monté, j’ai dégoté là bas un zurlan, et j’ai pu prendre son cheval. Figurez-vous qu’il y en avait dans l’auberge toute une petite bande. Ils gardent probablement la grande route, mais c’est en buvant et godaillant à gogo. Je me suis approché au son de leur voix. L’un d’eux, de sentinelle à la porte, n’eut pas le temps de me voir, que je lui flanquai un berlingot dans la paillasse; puis, avant que les autres fussent là, je sautais à cheval et filais comme un dard. Ils ont voulu me suivre à huit ou dix, que je crois; mais j’ai attrapé les chemins de traverse, sous le fourré ; je me suis un peu déchiré, et me voici. Je suis venu par le tournant de la Croix-Verte, vous savez/bien, en prenant le village à revers. Maintenant, mes lapins, attention et gare! Ces brigands là n’auront plus de cesse qu’ils ne nous aient trouvés, il faut les recevoir à bons coups de fusil. Allons! à nos postes!

Nous voilà en observation. Un de nous s’installe seul, en sentinelle perdue, en grand’garde pour ainsi dire, au tournant de la Croix-Verte; c’est encore loin du village. Je suis placé à l’entrée même de la grande rue, du côté où le chemin du plat pays arrive aux maisons. Les deux autres, le capitaine et sa femme étaient au milieu du village, près de l’église, dont le petit clocher servait d’observatoire et de citadelle.

Nous n’étions pas là depuis longtemps, quand nous entendons un coup de feu, suivi d’un, puis deux, puis trois. Le premier est évidement un chassepot; cela s’entend au crachement sec de la détonation qui ressemble à un coup de fouet. Les trois autres viennent des pistolets-carabines dont se servent les uhlans.

Le capitaine est furieux. Il avait donné l’ordre au poste avancé de la Croix-Verte de laisser passer l’ennemi, de le suivre seulement de loin s’il marchait vers le village, et de venir me rejoindre quand la petite troupe serait bien engagée dans les maisons. Alors, on devait se montrer tout à coup, prendre la patrouille entre deux feus et n’en pas laisser échapper un seul homme. A six, nous faisions une sorte de mouvement tournant et aurions entouré même dix Prussiens au besoin.

— Sacré Piédelot, disait le capitaine, ce bougre là vient de leur donner l’éveil, et ils n’oseront plus s’avancer à l’aveuglette. Et puis lui, je suis sûr qu’il s’est fait mettre une prune dans quelque membre; on ne l’entend ni appeler, ni riposter. C’est bien fait, il n’avait qu’à obéir.

Puis, après un moment, il grommelait dans sa barbe: — Ce pauvre garçon tout de même, il est si brave! et il tire si bien!

Le capitaine avait raison dans ses prévisions. Nous attendîmes jusqu’au soir, sans voir les uhlans. Ils s’étaient retirés à la première attaque. Malheureusement, nous n’avions pas vu non plus Piédelot. Était-il prisonnier? ou mort? La nuit venue, le capitaine proposa d’aller à la découverte. Nous partîmes à trois. Au tournant de la Croix-Verte il y avait du sang, un fusil brisé ; le sol était piétiné ; on s’était rudement battu là. Mais il n’y avait ni blessé ni cadavre. Nous nous mîmes à battre tous les buissons d’alentour. Rien encore!

A minuit nous revenions sans aucun renseignement sur notre malheureux camarade.

— C’est tout de même fort, grondait le capitaine. Ils doivent l’avoir tué et jeté dans quelque broussaille. Il n’est pas possible qu’ils l’aient pris. Il aurait appelé. Je n’y comprends rien.

Comme il disait ces mots, une belle flamme rouge s’éleva dans la direction de l’auberge sur la grande route, et illumina le ciel.

— Gredins! lâches! hurla-t-il. Je parie que pour se venger, ils mettent le feu aux deux maisons du marché. Et puis ils ficheront le camp sans rien dire. Avec un homme tué et deux masures qui flambent, ils sont contents. Eh bien! cela ne se passera pas comme cà. Il faut y aller, cela les embêtera de quitter leur feu de joie pour se battre.

— Si nous pouvions en même temps délivrer Piédelot, dit quelqu’un, quelle chance!

Et on partit tous les cinq, pleins de colère et d’espoir. En vingt minutes, nous avions glissé dans la coulée jusqu’en bas; et nous étions à cent pas de l’auberge que nons n’avions encore vu personne. Le feu était derrière la maison, et le reflet seul, au-dessus du toit, était visible pour nous. Cependant nous marchions assez lentement, craignant un piège, quand nous entendîmes la voix bien connue de Piédelot. Mais elle était étrange, à la fois sourde et vibrante, étouffée et claire, comme s’il criait de son plus haut avec des chiffons dans la bouche. Il avait l’air de râler et de siffler, et le malheureux disait: Au secours! au secours!

Au diable la prudence! En deux bonds nous étions derrière l’auberge. Un épouvantable spectacle nous y attendait.

Les morts bizarres

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