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24 Avril

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Pendant toute la semaine qui suivit notre course au Longet le temps fut splendide, j’en profitais pour franchir l’à-pic de Cuguret par une voie particulièrement directe et nouvelle..... au moins pour moi: le grand couloir au-dessus de Guégnier. En outre je parcourus avec Louis Cuzin le sentier Pouradier-Duteil, ce qui est une promenade en montagne véritablement charmante à recommander aux amateurs.

Ce n’était d’ailleurs là qu’enfantillages en attendant une course à skis, en haute-montagne, qu’avec mon ami Deschamps nous avions décidée, au retour de notre dernière excursion.

Le mercredi 23 Avril, Deschamps vient me prendre. Il est accompagné des lieutenants Barnola et de Parscau Duplessis du 15e Bataillon de chasseurs alpins.

Nous montons à La Barge avec l’intention de faire le lendemain le Marinet, montée par Mary, descente par Chillol.

Le temps est beau mais en route nous faisons quelques remarques ennuyeuses. Le vent tourne du Nord au Nord-Ouest, il pousse de légers nuages. Le Brec est accroché. Le coucher de soleil est vaguement rouge-brique.

Je suis pessimiste, Deschamps reste enthousiaste, les lieutenants sont pleins de circonspection. Quant aux paysans je n’en peux tirer que cette réponse par trop prudente: «Pour avoir changé, c’est sur que le temps a changé. P’t-êt’ ben que c’est pas mauvais mais ça se pourrait bien qu’il pleuve.»

A Maurin, avant souper, nous allons faire un tour jusqu’à l’Eglise d’où nous saluons le Brec de l’Homme et l’Aiguille Pierre André.

Après souper, avec Deschamps, j’accompagne les lieutenants à leur logis. Les nuages sont très bas, tout est accroché, nous entendons descendre de la Tête de Miéjour une formidable avalanche de rochers.

Au milieu de la nuit, un bruit significatif me réveille: la pluie tambourine contre les vitres et sur les ardoises. Notre course est ratée, je suis furieux.

Néanmoins, comme convenu, à trois heures et demie je me lève. Il ne pleut plus mais le ciel est menaçant, cette fois pas un seul morceau de bleu. Cependant la Haute-Ubaye est tant soit peu dégagée, le Rubren se laisse voir. Devant cette situation météorologique déplorable, avec mes camarades qui m’ont rejoint, nous tenons conseil.

Barnola, ayant pris son air des grands jours, proclame, sentencieux: «Si mon peloton était là, il ne partirait pas.»

Deschamps le prend en riant, il développe toutes sortes de considérations: «L’homogénéité de la caravane la rend bien supérieure au peloton. (?)..... Le temps n’est en somme pas si mauvais que ça. (!!!)..... Nous serons toujours à temps de revenir, quitte à n’aller qu’au col de Mary voire qu’à la carrière de marbre........ etc.. etc..»

J’applaudis ces sophismes car je ne demande qu’à partir.

Bref, nous partons au petit bonheur.

Sur le chemin de la carrière, nous trouvons un peu de neige. De Parscau chausse, on dirait qu’il a hâte de skier.

Ses ébats au départ me font penser à ceux d’un jeune lévrier rencontrant, par temps sec, un clair ruisseau.

Seul de la caravane je connais le vallon de Mary, aussi je suis en tête. Ça va très bien, la neige est bonne, la pente est douce mais il est impossible de ne pas la couper. Vers huit heures, sans avoir reçu ni pluie ni neige, nous atteignons le col de Mary.

Le soleil levant avait bien dissipé quelques nuages, éclairé quelques sommets, nous avions bien vu, sur un morceau de ciel bleu, se détacher les pointes de Mary mais la chaîne de l’Aiguille ne s’était pas encore montrée et le temps se maintenait aussi menaçant qu’au départ.

A nos pieds s’ouvrait le profond sillon de la vallée de la Maira mais l’état du ciel ne nous permettait d’identifier aucune cime importante.

Du col de Mary, pour passer dans le Marinet, nous suivons la crête frontière jusqu’au point coté 2806. De là, par une neige mauvaise et sous la menace des avalanches, nous descendons au seuil du vallon. Alors se présente, barrant notre route, le Pas de Chillol.

Sa pente assez raide s’offre à nous de front, quel air rébarbatif!

Barnola, plein d’ardeur et craignant le mauvais temps, l’attaque avec entrain. Sa force dépasse les nôtres qui sont d’ailleurs inégales, aussi nous voilà bien vite égrenés le long de la pente. Tout en haut Barnola, marchant et ramant, monte allégrement. De temps en temps il s’arrête pour examiner son «peloton», prendre le vent, scruter l’horizon. Ses skis et ses bâtons prolongeant ses membres, on dirait une araignée géante grimpant le long d’un mur immense.

Deschamps le suit, il me semble qu’il s’efforce de lui tenir pied mais il a des déboires, il recule, s’enfonce et n’aboutit qu’à des situations aussi comiques qu’enchevêtrées. Je marche derrière lui, travaillant consciencieusement, m’appliquant à bien appuyer mes skis, à pousser sur mes bâtons mais je perds du terrain et je peste de bon cœur contre Barnola qui, là-haut, mène un train d’enfer.

Ah! si nous étions à pied, sur le rocher!

Je rage, je souffle, je bave.

De Parscau ferme la marche à quelque distance de moi.

Enfin, voilà le col!

Nous y arrivons successivement en inclinant un peu sur sa droite pour éviter une corniche qui déborde sa partie la plus basse.

Vue nulle, hélas!

La pluie est imminente. Nous descendons sur une neige excessivement molle et collante. A onze heures trente, en même temps que tombent les premières gouttes, nous atteignons la cabane de Chillol à demi enfouie dans la neige.

Avec nos skis nous en débloquons la porte mais, pour l’ouvrir, quel travail! Elle est prise dans la glace. A force de coups de pied et d’épaule nous finissons pourtant par obtenir un peu de jeu à la faveur duquel le plus maigre déblaye, autant qu’il peut, la neige qui s’est accumulée derrière elle, puis, se mettant en boule dans l’excavation creusée devant elle, le dos au bois, les pieds contre la neige, il se détend lentement et finit par l’ouvrir suffisamment pour pénétrer, en rampant, dans le refuge. Il peut alors la débloquer complètement. Bientôt nous sommes tous installés sur le lit de paille du berger.

Malgré le mauvais temps, malgré le froid, sans doute parce que nous en avions fini avec les difficultés,ce qui maintenait notre bonne humeur, le repas que nous fîmes dans ce gîte, fut un des plus gais dont je me rappelle.

Chacun de nous, soucieux de se décharger, offre instamment tout son avoir: les conserves, les confitures, le fromage, la charcuterie sortent des sacs pêle-mêle avec le fart, les bandes à pansement, les lacets de soulier et les courroies de rechange. Sans ordre, on avale ce qui passe, le gruyère avant le jambon.

Puis, l’estomac plein, la gorge humide, on échange de joyeux propos, on sort son répertoire.

Chose curieuse, soit qu’il y ait de nouveaux camarades, soit qu’il surgisse des histoires inédites, soit qu’en prenant de l’altitude on devienne plus enfant, ces fins de repas sont toujours très gaies.

Malgré la pluie, l’heure du départ finit par sonner.

Je garde un très mauvais souvenir de notre retour: pentes raides coupées de clapiers, neige exécrable que nous vîmes cependant trop tôt disparaître car notre randonnée se termina sous une pluie diluvienne, à pied, par des sentiers et des chemins boueux..... horreur!

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