Читать книгу Si les chevaux pouvaient parler... ou quelques vérités sur les courses - Jean Trarieux - Страница 5
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Il s’agit des chevaux de courses, — de peu de chose, par conséquent, au milieu de tant d’autres préoccupations plus graves. Toutefois, il reste permis, même en des heures critiques, de faire des suppositions plaisantes. Dans notre domaine restreint, il est difficile d’imaginer sans gaîté ce qu’il adviendrait des courses, si, tout à coup, un beau jour, les chevaux pouvaient parler...
Ce serait terrible. Ce serait un des plus grands bouleversements qu’auraient jamais subi nos habitudes, l’achèvement inattendu et brutal de cette «noble conquête» de tout repos, que le cheval a jusqu’ici représentée pour l’homme. On assisterait à un foudroyant renversement des rôles: le conquis deviendrait le conquérant.
Du moins, la pièce que nous faisons jouer, chaque jour, sur ces charmants théâtres de verdure qu’on appelle des hippodromes, y gagnerait-elle beaucoup en clarté. Car, il faut bien l’avouer, c’est, dans une pièce, un formidable paradoxe que ceux des personnages dont le rôle importe le plus à l’action, soient des personnages muets. Quelque prestigieux que soit l’art des metteurs en scène, il est impossible que n’en souffre pas la logique et qu’il n’en résulte pas de fréquentes obscurités.
Dans l’état actuel des choses, bien des détails nous échappent, bien des erreurs sont commises, précisément parce que les chevaux ne parlent pas. S’ils pouvaient nous renseigner sur eux-mêmes, il en irait tout autrement. D’abord nous ne ferions plus courir, sans nous en douter, des chevaux qui souffrent ou qui sont simplement mal disposés. Avertis par eux qu’ils ne se sentent pas en possession de tous leurs moyens, nous nous épargnerions bien des petits ennuis, en sachant les jours où il vaudrait mieux les laisser à l’écurie. Et puis, surtout, si nos compagnons avaient voix au chapitre, il nous deviendrait très difficile de décider seuls de leur emploi. Nous ne pourrions plus leur faire dire exactement ce que nous voulons, sans risquer un démenti toujours fâcheux. Selon toute vraisemblance, des chevaux en pleine santé seraient des morts récalcitrants.
Mais, par bonheur pour l’humaine quiétude, les chevaux ne parlent pas, et les choses restent ce qu’elles sont, — matériellement fort agréables et prospères. De cet agrément et de cette prospérité, également certains, se contentent beaucoup de bons esprits, qui, ou bien ne veulent voir, dans les courses, que leur côté récréatif, ou bien n’y font intervenir d’autres intérêts que ceux de l’élevage. Les résultats en eux-mêmes leur sont assez indifférents; pourvu que tout se passe paisiblement, et que soit assurée, en fin de compte, la sélection de nos étalons et de nos poulinières de demain. On ne demanderait qu’à penser comme eux. Malheureusement l’expérience et le Pari Mutuel s’y opposent. Aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, il est impossible de séparer des courses la question de jeu.
Autrefois les courses étaient une belle distraction. Aujourd’hui elles sont une grande industrie. Le plaisir de quelques-uns est devenu la passion de tous et, tandis que, sur l’hippodrome, l’argent, en vagues pressées, afflue aux guichets du Mutuel, il déferle à travers la ville par mille canaux clandestins. Rares sont ceux qui, au moins une fois dans leur vie, n’ont pas consacré une obole à l’amélioration de la race chevaline. On peut le regretter ou s’en réjouir, suivant le point de vue auquel on se place, mais on ne peut le contester. C’est un fait nouveau, qui appelle la révision de toutes les idées anciennes. Les courses ont cessé d’être un apanage, et sont entrées dans le domaine public.
Il importe donc d’autant plus de les défendre contre elles-mêmes. Du moment où l’élégant passe-temps de jadis s’est changé en une vaste et complexe entreprise, dont l’irrésistible attrait augmente le risque, la diversité des intérêts en cause condamne le relativisme et recommande l’application stricte de règles absolues.
Que les courses n’aient pas, dans tous les milieux, la meilleure réputation n’est pas ce qui nous émeut. Il entre tellement d’exagération ou d’inexactitude dans les préventions superficielles de leurs détracteurs, que nous n’en saurions être atteints. Encore n’est-ce pas une raison pour ne pas nous-mêmes faire bonne garde, et sous prétexte que l’organisme est sain, pour ne pas le préserver de toute contamination. Il serait ridicule de prendre les choses au tragique, mais il est imprudent de ne pas les prendre au sérieux.
Au surplus, qu’on se rassure. Rien de ce que nous dirons n’offusquera la pudeur. On en entendrait bien davantage, si les chevaux pouvaient parler...