Читать книгу Si les chevaux pouvaient parler... ou quelques vérités sur les courses - Jean Trarieux - Страница 7
ОглавлениеLES COLONNES DU TEMPLE
Vue de l’extérieur, l’institution des courses se présente sous l’aspect d’un imposant édifice, solidement construit et savamment distribué, à l’abri des vaines critiques, comme des injures du temps. Un examen plus approfondi ne modifie qu’insensiblement cette impression première. Il faut entrer dans le détail pour s’apercevoir qu’il manque, çà et là, quelques fenêtres ouvrant sur le dehors, et qu’il règne, en deux ou trois points, un peu d’herméticité. Dans l’ensemble, c’est du très bel ouvrage, et qui a fait ses preuves.
Cinq colonnes soutiennent le temple, dont quatre du style le plus pur: sur la façade, la Société d’Encouragement et la Société des Steeple-Chases, colonnes-mères; au centre, et non moins importante, bien que n’étant pas mère, la Société Sportive; légèrement en retrait, la Société de Sport de France; enfin, d’un style plus mêlé, et étayant une chapelle distincte, la Société du Demi-Sang.
Les deux Sociétés-mères, qui règnent plus particulièrement: la Société d’Encouragement sur les hippodromes de Longchamp, de Chantilly et de Deauville, et la Société des Steeple-Chases sur l’hippodrome d’Auteuil, sont les deux plus anciennes en date et les deux plus considérables en puissance. Elles sont l’Origine et le Code, à la fois législatrices et juridictions suprêmes. Mais la Société Sportive, qui détient Maisons-Laffitte, Saint-Cloud et Enghien, manifeste une vitalité telle qu’il ne sera bientôt plus possible de lui faire supporter la moindre tutelle, et qu’il serait sage de songer dès maintenant à sa complète émancipation. Relativement modeste encore, mais tenant déjà fort bien sa place, la Société de Sport en France, en son domaine du Tremblay, se venge élégamment du petit nombre de réunions qu’on lui accorde en parant son pesage des plus belles fleurs et son hippodrome de tous les perfectionnements. Ainsi vont les choses pour le pur-sang, du i5 février au i5 décembre, cependant qu’au souffle de l’hiver, la Société du Demi-Sang fait s’épanouir, à Vincennes, le rustique et honnête trotteur.
Ces cinq Sociétés dépendent, en principe, du ministre de l’Agriculture, mais, en fait, elles ne dépendent que d’elles-mêmes, l’Agriculture ayant ses exigences propres, qui n’autorisent guère son ministre à s’occuper des courses. N’étant pas commerciales, elles ne sont pas admises à faire des bénéfices, et, déduction faite de leurs frais généraux, elles doivent consacrer à l’élevage et aux courses tous les fonds qui leur passent entre les mains. Soumises à un contrôle officiel, mais pratiquement maîtresses de leur gestion, elles représentent une très belle forme de pouvoir, assez voisine de la souveraineté, ce dont il y a lieu, en nos temps démagogiques, de se féliciter grandement, — à condition, toutefois, que l’exercice du pouvoir souverain soit pleinement ce qu’il doit être.
Chaque Société a un Comité, un Président et trois Commissaires. Le Président préside le Comité, qui lui-même a le rôle d’un conseil d’administration, nommant ses bureaux et ses commissions, approuvant, entérinant, mais ne dirigeant pas. La direction effective appartient aux Commissaires, qui sont, de tous les administrateurs délégués, ceux qui ont les pouvoirs les plus étendus.
Notamment tout l’exécutif et tout le judiciaire. Maître de l’ordre, par conséquent responsable du désordre, le triumvirat consulaire dispose de toutes les initiatives, de toutes les décisions, de toutes les peines, de toutes les grâces. La sûreté ou l’erreur de son jugement font notre sécurité ou notre inquiétude. Ne perdons plus de vue cette vérité fondamentale: les courses sont ce que les Commissaires veulent bien qu’elles soient.
Il convient d’avoir la plus extrême considération pour l’œuvre des Sociétés de courses, qui est une œuvre admirable en tout ce qui touche les résultats matériels. Grâce à elles, l’élevage français est devenu un des premiers du monde, et les courses françaises continuent à avoir toutes les apparences de la prospérité. Il ne saurait donc être question de leur marchander l’éloge sur leur réussite. S’il nous arrive de n’être pas entièrement d’accord avec leur politique, la divergence ne portera que sur un point de doctrine, que nous ne croyons pas devoir sacrifier même au succès le plus éclatant.
Doit-il en être des Sociétés de courses comme des peuples, qui sont heureux lorsqu’il s n’ont pas d’histoire? «Pas d’histoires! » tel semble être, en effet, le mot d’ordre favori de nos dirigeants. Et, sans nul doute, c’est un mot d’ordre qui contient une part de sagesse gouvernementale, mais malheureusement il sous-entend aussi la nécessité de se borner à maintenir l’obéissance superficielle, strictement indispensable, et, par suite, d’éviter d’aller au fond des choses, où l’on pourrait être entraîné plus loin qu’on ne voudrait.
Nous n’irons pas jusqu’à dire, comme un polémiste sans respect: «Ainsi a pu naître un régime curieux: celui du bon-plaisir, tempéré par les relations.» Mais nous sommes, pour le moins, obligé de remarquer qu’ainsi est né un régime absolu, à base de préoccupations opportunistes, et que la première conséquence de l’opportunisme est un fléchissement du principe d’autorité.
A partir du moment où l’on estime politique une certaine tolérance, il est forcé que les règles inflexibles subissent des applications variables, et que les explications, trop rarement demandées, soient presque toujours jugées satisfaisantes. C’est avec la terre un accommodement.D’apparence,la vie de tous les jours en est rendue plus facile, mais, en profondeur, le mal, qu’on laisse subsister, s’aggrave, et, petit à petit l’institution perd en sécurité ce qu’elle pense gagner en équilibre.
«Pas d’histoires!» Soit!... Mais à une condition: c’est que ce résultat souhaitable marque le triomphe de l’ordre et non la crainte des complications.