Читать книгу Si les chevaux pouvaient parler... ou quelques vérités sur les courses - Jean Trarieux - Страница 8
ОглавлениеLE PROPRIÉTAIRE
Pénétrons plus avant, et maintenant que nous avons un aperçu de ceux qui tout à la fois font les lois et les appliquent, approchons-nous de ceux pour qui sont faites ces lois. Cela va nous valoir de nous familiariser successivement avec les propriétaires, les entraîneurs, les jockeys et le public. Nous pourrons alors, avec tous les éléments d’appréciation voulus, aborder le fond de la question.
On naît ou l’on devient propriétaire de chevaux de courses pour des motifs très divers. C’est une vocation que l’on peut avoir par atavisme, par goût naturel, ou que vous impose soudain la réussite de vos affaires. On distingue ainsi celui qui a la connaissance innée du cheval, celui qui en a la connaissance acquise, et celui qui n’y connaît rien. Qu’importe, d’ailleurs, le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse? Aux prix actuels des chevaux, les courses ont moins besoin de capacités personnelles que de capacité d’achat.
Au surplus, que l’on s’y connaisse ou que l’on ne s’y connaisse pas, le résultat est sensiblement le même: un propriétaire de chevaux de courses ne possède jamais qu’à fonds perdus.
Une écurie n’est ni un immeuble, ni un champ; elle doit rapporter des honneurs, des satisfactions d’amour-propre, quelques éblouissants plaisirs, mais non des revenus. Le but est atteint, sitôt que votre nom figure sur les programmes, vos couleurs sur les pistes, et votre personne dans les enceintes et les tribunes réservées. Il est presque dépassé, s’il arrive à vos couleurs d’être victorieuses. Vous êtes considéré, en ce cas, comme avant atteint une des cimes de la félicité humaine.
C’est ainsi que jamais un propriétaire, même s’il est, sur d’autres terrains, un homme intéressé, ne se permettra, en ce qui regarde ses chevaux de courses, la moindre allusion à ses sacrifices pécuniaires.
Dévorés par l’appétit du gain, le propriétaire d’un immeuble manifeste la rapacité du vautour, et le propriétaire d’un champ l’avarice de la fourmi. Libéré de toute contingence, le propriétaire de chevaux de courses, qu’il soit prince ou roturier, ne connaît que le sourire. Son représentant fait-il une course détestable, alors qu’il le croyait sûr de vaincre, son jockey s’élance-t-il en tête dès le départ, alors qu’il lui a recommandé de faire une course d’attente, ou lui annonce-t-on qu’un accident d’entraînement va immobiliser pendant de longs mois son plus cher espoir?... le sourire! toujours le sourire! L’élégance est de règle dans un jeu de grands seigneurs, et moins on fait ses frais, plus on est élégant. Faire courir n’est pas un métier. Savons-nous vivre oui ou non P Quand on se mêle de prendre rang sur une liste qui débute par un comte d’Artois et se continue par un Seymour, un Montgomery, un Hastings, un Lagrange, un Castries, on se doit d’avoir la manière et d’être somptueux sans effort. Noblesse oblige! — s’appelât-on Blum ou Dupont.