Читать книгу Un voyage à Paris - Joseph Asti - Страница 7

Visite de la Turinaise — Son histoire.

Оглавление

Table des matières

Ma Turinaise n’a pas trompé mes espérances. Elle vint voir son parent; mais après une conversation de quelque tems avec lui, auquel elle ne manqua pas de parler de moi, elle voulut s’assurer elle-même si j’étais bien logé. Je lui témoignai un extrême plaisir de la voir, et elle eut la complaisance de rester dans ma chambre plus long tems que je n’aurais osé l’espérer. Cette visite fut suivie d’une seconde, pendant laquelle elle m’a paru encore plus aimable qu’elle ne l’avait été dans sa première. Ses discours et ses manières, qui n’ont rien que de très-honnête, m’ont enchanté. Avec un bon sens que j’admire, elle me prouva dans les longs entretiens que nous eûmes ensemble, qu’elle ne manque pas d’esprit, et que son cœur excellent et religieux est capable des passions les plus fortes. Dès la première visite je lui rappelai la promesse qu’elle m’avait faite du récit de son histoire, mais il me parut qu’elle n’avait plus autant d’envie de me la raconter, que j’en avais de l’entendre, peut-être parce qu’elle lui paraissait trop longue. Cependant, cédant à mes prières, elle contenta ma curiosité à peu près dans ces termes.

«J’étais enfant unique et, concentrant sur moi seule toute l’affection de mes pareils, j’étais heureuse, lorsqu’à l’âge de 15 ans j’eus le malheur de perdre ma mère, ma mère chérie, qui n’avait eu jusqu’au dernier moment de sa vie d’autre intérêt plus cher que l’éducation de sa fille. Je sentais toute l’étendue de ma perte, et ma douleur s’augmentait encore quand je venais à considérer que, par un nouveau mariage de mon père, qui n’était pas vieux, une autre aurait pu remplacer cette chère amie. — Mes craintes ne tardèrent pas à se réaliser; au bout de deux ans, mon père, fatigué de son veuvage, me fit sentir la nécessité d’avoir à mon âge une personne, qui pût me conduire dans le monde, et, sans mettre d’autre délai à l’exécution de ses projets, il se lia à une femme, qui à la vérité ne manquait pas de qualités, mais qui était malheureusement trop jeune pour lui. — Ma nouvelle mère me montra d’abord beaucoup d’amitié : on aurait dit qu’il y avait conformité de caractère entre nous deux, et que les goûts de la mère étaient ceux de la fille. Je ne sais pas si tout cela était bien sincère de sa part, mais tout ce que je puis vous dire, M.r, c’est, que peu à peu je sentis naître dans mon cœur tant d’amitié pour elle, que je finis par me consoler entièrement de la perte de ma véritable mère. Les choses se passèrent ainsi pour bien des mois: mon père qui aimait éperdument sa femme, voyait notre intelligence avec une satisfaction et une joie, qu’il ne pouvait pas cacher. — Un jour qu’il rentra plus tard qu’à l’ordinaire pour dîner, il amena avec lui un homme d’assez bonne mine, de l’âge de 42, 44 ans environ, qu’il appelait Achille, et qu’il nous présenta comme son plus cher ami. Cet homme, après avoir voyagé pendant 12 ans au moins, disait-il, revenait à Turin pour s’y fixer. On le retint à dîner: il fut bien fêté, par mon père sur-tout, qui nous pria d’avoir pour lui tous les égards possibles. Il parla long tems de ses voyages, il raconta quelques unes de ses aventures, trouvant ainsi moyen de se rendre intéressant à toute la famille, et particulièrement à ma mère, qui prenait un plaisir extrême à l’entendre parler. Dès lors, il ne cessa plus de venir nous voir: ses visites devenaient toujours plus fréquentes, et tellement fréquentes, que l’on finit par le considérer comme de la famille. On n’aurait pas dit: «Nous y sommes tous» quand il n’aurait pas été là. Si par hasard mon père, en rentrant le soir, ne le voyait pas, il marquait aussitôt de l’humeur, et sa femme se montrait inquiète. — Quelque tems après je crus remarquer que ma mère n’était plus la même à mon égard: elle me traitait avec moins d’amitié, elle sortait souvent seule, ce qui ne lui était jamais arrivé auparavant; quelquefois même elle me brusquait d’une manière étrange et me maltraitait sans raison. J’aurais trouvé ses manières insupportables, si mon père, à qui je me plaignait souvent, n’eût pas trouvé moyen de m’en consoler, et si ( ce qui ne doit pas être compté pour rien ) une occupation de cœur ne fût pas venue ces jours-là me distraire. Un jeune-homme de mon goût, de 25 à 26 ans environ, commis dans une des premières maisons de commerce à Turin, me suivait par tout et me rendait des soins dont j’étais enchantée. Il ne tarda pas à me faire parvenir une lettre, que j’eus la faiblesse d’accepter; il me peignait toute la passion qu’il disait avoir conçue pour moi, il me parlait de la pureté de ses désirs; ses expressions étaient délicates, tendres, et plus tendres encore qu’il ne le fallait, pour qu’une fille, jeune et sans expérience s’y laissât prendre. Je le crus et, dans la réponse que je ne pus me défendre de lui faire, je lui laissai entrevoir, que s’il soupirait, ce n’était pas pour une ingrate. Il devint si hardi, que dans une seconde lettre qu’il m’écrivit, il me demanda une entrevue. — L’emploi de mon père, les absences assez fréquentes de ma mère, qui parfois se prolongeaient jusqu’à trois ou quatre heures, me laissaient toute la commodité de le voir en secret, cependant je refusai; je tremblais à la seule idée de recevoir un jeune-homme chez moi sans l’aveu de mon père; mais, que ne fait la passion? J’eus le malheur de lui accorder à la quatrième lettre, ce que je lui avais refusé aux premières. — Je ne vous dirai pas les transports de joie et d’amour qu’il laissa éclater, quand il parut devant moi: il me disait que je lui étais devenue nécessaire, qu’il lui aurait été impossible de vivre sans moi, enfin, qu’il n’attendait que l’avancement, dont son maître l’avait assuré, pour me demander à mon père. J’aurais dû, je l’avoue, me défier de lui quand il me fit jurer de garder le secret de nos amours, et surtout d’en cacher la connaissance à mon père; mais j’étais trop jeune alors pour me défier de celui qui le premier avait fait battre mon cœur. D’ailleurs, dois-je le dire? J’aimais ces mystérieuses amours. Je commis une faute qu’une honnête fille ne devrait jamais commettre, une faute dont je ne cesserai jamais de me repentir, et que j’ai payée bien cher après. Une première entrevue fut suivie d’une seconde, puis d’une troisième et enfin, profiter de toutes les occasions qui se présentaient pour nous voir et nous entretenir en secret, c’était une chose convenue. Amoureuse, enchantée du présent, confiante dans l’avenir, j’étais parvenue à me croire heureuse. — L’état de ces choses durait depuis bien des mois, et il aurait continué encore davantage, si un accident, qui fut long tems un mystère pour moi, ne fût venu troubler l’ordre, ou pour mieux dire, le désordre qui régnait dans la maison de mon père. Un soir, comme je m’occupais à répondre à un billet d’Auguste, car c’est ainsi que s’appelait mon amant, et que ma mère s’entretenait dans son cabinet avec M.r Achille, mon père rentra plus tôt que de côutume. Je m’empressai de serrer mes papiers pour aller le réjoindre au salon, où ils avaient l’habitude de se rassembler, lui, sa femme et son ami. Ils s’y étaient rendus en effet, mais personne ne parlait, et telle était la consternation qui régnait sur leurs visages, que, quelque envie que j’eusse de les questionner, je n’eus jamais le courage de rompre le silence. Mon père, après s’être tourné et retourné sur son fauteuil, nous quitta le premier, sans prononcer un seul mot; M.r Achille prit son chapeau quelques minutes après, et, adressant des paroles d’adieu presque indistinctes à ma mère, il se retira. Pendant une semaine je vis mon père triste et inquiet: il ne parlait presque plus à sa femme, il allait et revenait, contre son ordinaire, de la maison à son bureau et du bureau à la maison; ma mère était boudeuse et presque insupportable; et M.r Achille ne venait nous voir que bien rarement. Durant ses visites il s’entretenait avec ma mère à voix basse, et d’un air, que l’on aurait dit qu’il craignait d’être surpris par mon père, dont il paraissait toujours avoir calculé l’absence. — Au bout de cette triste semaine, la scène changea de nouveau: la joie et la bonne humeur reparurent sur tous les visages, et chacun reprit ses habitudes. Je ne pouvais m’expliquer ces changemens, et, quelques questions que j’adressasse à mes parens, je n’en pouvais tirer que des réponses vagues qui ne m’apprenaient rien. Enfin mon père me prit un jour dans sa chambre et me dit: — «Je sais, ma fille, que les manières peu complaisantes de ma femme à ton égard, doivent te faire souhaiter depuis long tems le moment de la quitter: tu n’as pas tort, mon enfant; ainsi remercie avec moi le Ciel qui m’accorde enfin le moyen de te satisfaire, en confiant ton sort à un homme qui, par son expérience et par ses belles qualités, ne laissera pas de te rendre heureuse. Après ce petit discours préparatoire, qui marquait plus d’adresse que je n’en supposais à mon père, il me dit tout bonnement que son ami Achille lui avait fait l’honneur de lui demander ma main. Cette proposition m’étonna, d’autant plus que je ne m’étais jamais aperçue que M.r Achille eût pour moi plus d’attentions et plus de soins qu’il n’en fallait pour la fille de son ami; et j’en aurais été même affligée, si je n’avais pas connu mon père incapable de faire violence à ma volonté. J’aurais pu lui faire remarquer la disproportion de nos âges et le peu de penchant que j’avais pour son ami, mais je me bornai à lui dire, que j’étais encore bien jeune, et que je ne me sentais pas encore disposée au mariage. Il eut beau me représenter que je n’étais pas riche, qu’un parti aussi avantageux que celui de son ami ne se serait pas si facilement présenté plus tard: je refusai constamment, et il eut la bonté de cesser pour alors de m’en parler. — Plusieurs jours s’étaient déjà écoulés, sans que je pusse entretenir Auguste, et pendant tout ce tems-là il ne m’avait écrit qu’une seule fois. J’aurais voulu l’instruire moi même des projets que l’on avait formés sur moi, mais voyant pour alors l’impossibilité d’exécuter mon dessein, attendu que ma mère ne sortait plus que très-rarement, je pris la résolution de lui écrire. C’était le moyen de lui donner plus tôt de mes nouvelles et d’avoir des siennes, dont je n’avais jamais éprouvé un plus grand besoin; car, voyant qu’il ne cherchait plus les occasions de me voir, ou de m’écrire, avec cet empressement qui faisait autrefois mon délice, je croyais remarquer en lui un changement qui ne me présageait rien de bon. Il ne répondit à ma lettre que quelques jours après, et au lieu de se montrer touché de ce que je venais de lui dire, il ne me parlait que d’un avancement que son maître lui avait proposé, à condition qu’il irait s’établir à Lyon. Il me disait qu’il n’avait pu se défendre d’accepter cette proposition, parce que c’était le seul moyen de pouvoir effectuer plus tôt nos projets de mariage; mais, tout en s’efforçant de me persuader qu’il faisait ce sacrifice pour moi, ses expressions étaient si froides, qu’il me fut impossible de ne pas deviner le coup qu’il me préparait. Je ne sais pas si ce fut ma passion qui me fit pressentir aussitôt mon malheur, mais ce qui est certain, c’est que je ne me trompais pas. Après la lecture de cette lettre fatale, que je ne pus achever qu’avec beaucoup de peine, je me laissai tomber sur mon lit dans un état de désespoir difficile à peindre. «— Peut-il, me disais-je, oublier ainsi ces promesses, dont il prenait si hardiment le ciel à témoin? Oh non! c’est impossible! Mon Auguste n’est pas si perfide. Mais d’ailleurs, s’il m’aimait encore, comment pourrait-il se disposer à partir sans témoigner la moindre envie de me voir avant son départ? — Ces réflexions me firent fondre en larmes, et je sanglotais si fort, que mon père, qui venait de rentrer, m’entendit. Il vint à moi, et, tout étonné de me voir si désolée, il me pressa de lui en découvrir la cause; je m’en défendis: il pria, il s’attendrit, il pleura avec moi, et fit si bien,. qu’enfin je lui avouai le tout, en le priant de me pardonner. Il ne me reprocha que mon peu de confiance en lui; plus, il m’assura qu’il allait travailler pour découvrir les intentions d’Auguste, prêt à faire tous les sacrifices qui dépendraient de lui pour arranger notre mariage, s’il était possible. A tant de bonté je me jetai à son cou, en redoublant mes larmes, et en protestant que je me voulais bien du mal d’avoir mené cette intrigue à son insu. Il essuya mes pleurs, et, après m’avoir fait promettre que cette affaire aurait été un mystère pour tout le monde, il m’engagea à entrer dans le salon, et à faire semblant de rien. Les paroles de mon père avaient fait renaìtre l’espérance dans mon cœur, et ramené le calme dans mon esprit. J’allai voir ma mère et M.r Achille: je fis si bien avec eux, qu’ils n’eurent pas le moindre soupçon de ce qui s’était passé entre moi et mon père. — Deux jours après, de fort bon matin, comme je me disposais à me lever, mon père entra dans ma chambre. Sa visite à pareille heure, qui me laissa deviner aussitôt le motif qui l’amenait, me fit tressaillir. J’attachai un regard attentif sur lui, et je lus à l’instant sur son visage triste et abattu tout ce que sa bouche allait m’apprendre. Je sentais que mon courage allait me quitter, mais, voyant que mon père hésitait à parler, je fis un effort sur moi même, et je dis d’un ton de voix le plus ferme qu’il me fut possible: — «Quelles nouvelles m’apportez-vous, mon père? Parlez; ne craignez pas de m’affliger: je suis prête à tout entendre. — Je suis charmé, répondit-il, de te voir dans cette courageuse disposition, parce que les nouvelles que j’ai apprises ne sont pas des plus consolantes, — et il s’arrêta comme pour voir l’effet que ses paroles produiraient sur mon esprit. — Parlez, continuai-je; ne vous ai-je pas dit que je suis déjà préparée au coup que vous allez me porter? — Puisqu’il le faut, reprit-il, je n’hésiterai plus à dire, qu’il est indigne de toi, et qu’il faut à jamais oublier une personne qui ne mérite plus que ton mépris — », Malgré tous mes pressenti-mens, ce fut un coup terrible pour moi que ces paroles, et si je n’y avais pas été préparée, si les réflexions, que j’avais faites les deux jours qui le précédèrent, n’avaient pas servi à en diminuer la force, et à me prémunir de tout le courage dont j’avais besoin pour le soutenir, je pense que j’en aurais été accablée. Je m’enveloppai le plus que possible dans les couvertures de mon lit, pour dérober ainsi à mon père la vue de mon visage, qui devait être bien pâle; affectant ensuite plus de fermeté que je n’en avais, j’encourageai le bon homme à m’apprendre tous les détails, qui devaient servir encore à augmenter à mes yeux la perfidie de mon amant. — Je sus qu’Auguste, avant de me connaître, avait donné sa foi à une jeune-fille, dont la famille, qui demeurait à Turin, était distinguée; que les parens de la demoiselle, ayant soupçonné ses nouvelles amours, avaient pris leurs mesures pour qu’il fût éloigné de la ville, et que son mariage avec leur fille se serait fait à Lyon au bout de quelque tems. Ce ne fut plus de la peine que je ressentis alors, ce fut de l’indignation, et mon amour, fesant place à cette fierté qui est propre à mon sexe, laissa savourer à mon cœur tout le plaisir que lui apportaient les différons projets de vengeance que je roulais dans ma tête. — Mais, mon Dieu! Quelle vengeance aurais-je pu faire? — Le tems me rendit plus raisonnable; je me bornai à travailler pour éteindre en moi même tout souvenir qui eût rapport à lui: c’était assurément le parti le plus sage.

Quelque tems après, mon père, voyant que je paraissais tranquille, osa me parler encore de son ami Achille. Je n’aimais pas plus cet homme alors qu’auparavant, malgré quelques douceurs qu’il me disait, quand par hasard je me trouvais tête à tête avec lui. Je dirai même plus, son intimité avec ma mère, qui ne fut plus la même pour moi, depuis son entrée chez nous; la cour qu’il faisait à mon père, qui ne m’avait pas l’air d’être sincère, quoique je n’eusse pas encore assez d’expérience pour l’interpréter, tout cela contribuait à entretenir dans mon cœur une certaine aversion pour lui, qui y était née, je ne sais pas comment, et que rien n’avait jamais pu vaincre. Cependant, que vous dira-je? Il me vint l’idée, que mon mariage, dont on n’aurait pu cacher la connaissance à Auguste, aurait été un moyen de me venger de son infidélité. — «Il verra, me disais-je, que s’il a eu le courage de me tromper, j’ai eu celui de l’oublier, et que s’il m’a quittée, un autre bien plus riche que lui m’a offert aussitôt sa main — ». Tout ce que ce mariage avait de désagréable pour mes projets de vengeance, c’était que M.r Achille ne fût pas aussi jeune qu’Auguste. Cependant le plaisir de lui prouver au moins, que je l’avais oublié, l’emporta sur toute autre réflexion, et je cédai aux instances de mon père. J’accomplis ma vengeance, si pourtant c’en était une; mais j’en fus la victime. — Malheureuse la femme qui paie ainsi au prix de son repos la satisfaction d’un vain sentiment d’orgueil! — On fit les préparatifs de notre mariage, et l’on en accomplit la cérémonie avec tant d’indifférence de part et d’autre, qu’elle aurait dû glacer le cœur de mon père, s’il n’eût pas tout espéré du tems. Si je n’épousais pas M.r Achille par inclination, ce n’était pas non plus de l’amour qu’il m’apportait en s’unissant à moi.

Nous allâmes demeurer dans une maison peu loin du domicile de mon père, où je souffris tout ce que j’aurais bien pu imaginer d’avance, si la passion n’eût pas troublé ma raison. Toutefois, comme en récompense des peines que j’endurais, et des plaisirs que l’amour m’avait autrefois promis, je jouissais de quelque liberté. Je sortais quand bon me plaisait: mon mari était fort indulgent là-dessus, et même il m’en offrait souvent lui même les occasions, en me chargeant de commissions, qui me paraissaient parfois bien frivoles. Ma position n’était pas assurément des plus heureuses, mais le tems aurait fini par la rendre supportable, en m’y accoûtumant, si l’événement inattendu que je vais vous expliquer, ne l’eût rendue affreuse. — Un jour que j’étais sortie pour faire des emplettes, dont mon mari lui-même m’avait chargée, et qui exigeaient un tems de deux ou trois heures au moins, je m’apperçus, vingt minutes après que j’étais sortie, que je n’avais pas assez d’argent sur moi. Je reviens à la maison pour en chercher, je pénètre inaperçue jusqu’à ma chambre, et je crois entendre le son d’une voix qui ne m’était pas inconnue: j’écoute; c’est la voix de ma mère. Une idée horrible vient aussitôt troubler mon esprit: je pousse avec précipitation la porte, et j’entre brusquement dans la chambre...............

Alors seulement je m’aperçus que j’avais été jouée, horriblement jouée par une machination infernale; alors je m’expliquai la crise qui avait eu lieu chez mon père, et la demande de mariage pour endormir l’esprit crédule du bon homme. L’abyme creusé par l’enfer, dans lequel je m’étais précipitée, était devant mon esprit; j’en mesurais la profondeur et j’en gémissais. J’avais envie d’aller tout découvrir à mon pauvre père, mais qu’aurais-je fait? J’aurais poignardé son coeur sans changer celui de ma mère. Il suffisait bien d’une victime, pourquoi en aurais-je fait deux? Je pris le parti de tout souffrir et de me taire,

J’étais malheureuse, mon mari me faisait horreur; quand je me trouvais seule avec lui, j’avais presque peur. Cependant lui, il n’était pas plus heureux que moi: il était devenu triste et pensif, il ne me parlait que rarement, et encore n’était-ce que par nécessité. Je n’étais plus en butte, il est vrai, à ces peines d’esprit, qui avaient jusqu’alors contribué à rendre ma position encore plus malheureuse, mais mon cœur, troublé sans cesse par la vue de cet homme, était bien loin de goûter ce calme apparent, qui régnait chez moi. Je passais ainsi tristement mes jours, insouciante de l’avenir, lorsque je m’aperçus que la santé de mon mari s’était considérablement altérée. Etait-ce l’effet immédiat des remords? était-ce une maladie qui circulait déja dans son sang, et dont l’apparition n’avait été qu’accélérée par les événemens? Je ne saurais pas le dire; tout ce que je sais, c’est qu’il était devenu pâle, maigre et qu’il avait souvent des accès qui, en lui ôtant presque la respiration, le privaient entièrement de ses forces. Il tombait alors comme un cadavre, et ce n’était qu’un râle hideux, qui augmentait encore l’horreur de son état, qui nous empêchait de le croire mort. Les médecins, ayant inutilement essayé le pouvoir de leur art, l’avaient conseillé d’aller prendre les bains de mer à Gènes. La saison était favorable, et il me pria de l’accompagner. J’aurais volontiers refusé la charge qu’il voulait m’imposer, mais, outre que mon refus aurait été blâmé par le monde qui ne connaissait pas la plaie de mon cœur, l’air de soumission dont il accompagna ses prières, et son état pitoyable, firent taire pour un instant tout autre sentiment: je consentis à être sa compagne de voyage. Nous fîmes nos apprêts, et partîmes deux jours après dans une voiture de Louage. Il souffrit beaucoup dans la journée, toutefois, après une nuit assez tranquille dans une auberge, où nous eûmes le bonheur de trouver tout ce dont il pouvait avoir besoin, il parut le lendemain en état de continuer le voyage. Nous reprîmes donc notre route, toujours prêts à nous arrêter, dès que nous l’eussions cru nécessaire. Le matin il se plaignit beaucoup, mais il parut plus calme l’après-dìnér; je crus même qu’il s’était endormi le soir. Nous arrivâmes à Gènes à nuit close: quand la voiture s’arrêta, je descendis en lui criant: «— Achille nous y sommes — ». Il ne répondit rien; je criai une seconde fois; même silence. Je montai alors sur le marchepied, et je lui saisis la main pour le secouer, croyant qu’il dormait encore...... Cette main, M.r...... cette main, je la sens encore sous la mienne, cette main était glacée. — Je ne fis qu’un cri: je tombai entre les bras du voiturier qui était derrière moi.

Je fus quelques jours malade, je revins après à Turin dans la maison de mon père, qui me reçut avec toute la bonté qui est propre à son caractère, et j’y suis encore.

Un voyage à Paris

Подняться наверх