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Rencontre de la Turinaise à la poste.

Table des matières

Pour peu que tu aies pris intérêt à ma Turinaise, en lisant son histoire, je suppose que tu ne seras pas fâché d’apprendre de ses nouvelles, malgré la prétention que tu auras sans doute de les deviner. — Quand on est en train on marche, tu diras. — A la bonne heure! mais il n’est pas dit que l’on marchera toujours droit; bien souvent on marche de côté, et quelquefois même on recule: voila ce qui reste à savoir. La conduite de cette dame à mon égard a pris maintenant un caractère si original, que tous les vieux routiers, malgré leur finesse, ne sauraient s’en faire une idée. Je me souviens d’avoir dit, que, pendant sa dernière visite, elle fut avec moi plus aimable que jamais. En effet elle me donna des marques d’amitié, qu’elle ne m’avait pas encore données jusqu’alors, et me parlait quelquefois avec tant de tendresse, que l’on aurait pu prendre son amitié presque pour de la passion. Il est aisé d’imaginer que nous ne nous quittâmes pas avant d’avoir réglé un troisième tête à tête: il devait avoir lieu deux jours après, même laps de tems qu’elle avait mis entre sa première et sa seconde visite, afin que le vieux parent, qui la voyait venir chez moi, ne soupçonnât pas sa vertu. Je l’attendais donc chez moi hier, comme nous en étions convenus, à deux heures et demi; elle ne vint pas. Cela me déconcerta un peu, mais, jugeant qu’un accident imprévu l’eût retenue à la maison, je ne doutais nullement qu’elle ne serait venue aujourd’hui à la même heure. En attendant l’heure du rendez-vous, ce matin j’allai vers les neuf heures à la poste pour y affranchir une lettre que j’écrivais à ma mère; en montant les marches de l’espèce de parlier qui se trouve devant le bureau, j’y vis ma mie avec une autre dame, qui s’y trouvaient apparamment pour la même cause que moi. Elle se retourne par hasard, et me voit; je lui souris, et tu penses peut-être qu’elle n’aura pas manqué d’en faire autant; point du tout, elle tourna la tête, et avec tant de précipitation, que je n’eus pas le tems de m’apercevoir si ma vue lui eût fait plaisir ou peine: je ne fus portant pas long tems à le deviner. Je pris d’abord ce procédé pour une précaution, en me disant que la dame qui l’accompagnait l’exigeait peut-être. Je n’osai donc l’aborder, je m’éloignai même de quelques pas, et je me disposai à les suivre, quand elles se seraient mises en marche. Mon aimable Turinaise, qui s’en aperçut, se baissa vers sa compagne, lui chuchota quelques mots à l’oreille, et descendit ensuite l’escalier toute seule. — Elle est bien charmante cette dame, me dis-je; elle a trouvé moyen de se défaire de sa compagne, pour me ménager l’occasion de lui parler tout à mon aise. — Je gage que tu en aurais dit autant en pareille circonstance. Eh bien! tu te serais trompé comme moi. Dès qu’elle eut descendu les degrés, elle se mit à marcher à pas précipité, et moi de la suivre, un peu loin, bien entendu, car je ne voulais pas que sa compagne, qui était restée derrière nous, s’en aperçût: il faut toujours ménager les dames qui ont de la délicatesse. Cependant quand nous eûmes tourné le coin, voyant qu’il n’y avait plus personne qui pût nous observer, et d’ailleurs voyant qu’elle s’éloignait, je doublai le pas; je n’en étais plus qu’à une très-petite distance, lorsque, entendant le bruit de mes talons à ses trousses, et prévoyant qu’il lui aurait été impossible de se soustraire à ma poursuite, comme un enfant qui apercevrait un fantôme dans la nuit, elle se sauva à toutes jambes. Ce n’était plus une femme qui cherchait à me parler, c’était une femme qui me fuyait, la chose était claire. — Quand une femme s’en va, il faut la laisser aller, je le sais; et c’est précisément ce que j’aurais fait, mais quand on s’en va d’une manière si étrange, on ne peut pas se défendre d’en chercher la cause. Faisant en conséquence taire en moi tout autre sentiment, et piqué par celui seul de la curiosité, je me crus en devoir d’imiter sa course; alors la friponne s’enfonça dans les détours de l’hôtel voisin, qui est comme un petit labyrinthe, et disparut. J’eus beau courir, je n’avais pas l’usage de ces détours; je n’aboutis sous les portiques que quand elle n’y était plus. Je demeurai la, droit comme un poteau, regardant de toute. part, et ne pouvant revenir de ma surprise. — Qu’une femme après avoir eu de la passion pour un homme, le quitte brutalement quand la passion s’en est allée, sans lui dire, que c’est parce qu’il ne lui sert plus à rien, et qu’elle n’a jamais aimé en lui que son propre plaisir; qu’une femme, dis-je, nous quitte en pareille occasion, sans nullement s’embarrasser de ce qu’il en coûtera au malheureux qu’elle délaisse, je le conçois fort bien; mais, qu’elle nous quitte si brusquement, d’une manière si extravagante, quand le sentiment qui nous liait n’était que celui d’une amitié pure, c’est ce que je ne sais pas encore m’expliquer. — Mais, puisqu’il n’y a pas d’apparence que j’en obtienne une explication, car l’hôte lui même me paraît décidé à garder un mystère sur tout ce qui regarde cette femme singulière, voyons nous mêmes, si, en réduisant la question aux termes les plus simples, il nous est possible d’en faciliter la décision. Aurait-elle découvert en moi quelque défaut qui l’eût effarouchée? mais la dernière fois encore, quand elle vint me voir, elle trouva moyen de dire quelque chose qui flatta beaucoup mon amour propre, de sorte que je ne pense pas me tromper, en croyant qu’elle trouvait mes manières et ma personne, telle qu’elle est, fort à son gré. Serais-je donc assez beau, assez redoutable, pour que l’on puisse dire de moi, comme on dit de certains pêchés, que l’on ne peut y résister qu’en se sauvant? Si le problème est là, je t’en laisse toute la gloire de la solution. Adieu.

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