Читать книгу Expéditions autour de ma tente: Boutades militaires - Joseph Damase Chartrand - Страница 13
LE KÉPI
ОглавлениеDu soulier passer au képi, sans transition aucune, est quelque peu illogique, et je laisse la responsabilité de ce fait aux événements qui permirent à mon képi de s'accoler à mes godillots.
En voyageant autour de ma tente, le sort a voulu qu'un rapprochement aussi baroque qu'un soulier fraternisant avec un képi se produisit.
En effet, presque à l'est de l'auteur, repose son képi, recouvert du couvre-nuque traditionnel.
Le képi a du bon. Malgré la sagesse des commissions d'habillement, aucune décision grave n'est encore venue le troubler. On l'a bien orné d'une visière laide et excellente, mais enfin rien encore pour sa suppression.
On a parlé du casque allemand comme devant lui succéder; quelques régiments seuls eurent le plaisir de l'essayer.
Le casque indo-anglais montra quelque temps des velléités de vouloir couronner la tête de nos troupiers, mais il ne tint pas ferme.
Le shako français a aussi été fortement ébranlé dans ses bases.
A l'heure où j'écris cependant, je ne sais encore rien de positif sur son sort futur.
Enfin, sans arrière-pensée, le képi existe, et j'en ai un.
Je me rappelle toujours, avec une certaine horreur, le premier jour de mon installation militaire. On me conduisit au magasin d'habillements.
Ma tenue comportait le képi qui, couvrant consciencieusement ma tête, l'aurait entièrement fait disparaître sous sa large structure, si mes oreilles, naturellement bien développées, ne l'avaient arrêté dans sa marche descendante.
Ma malheureuse tête, ornée d'un pareil appendice, présentait une piteuse apparence. Le bas du visage et le nez seuls étaient visibles. Quant aux yeux, il était permis de présumer qu'ils existaient; mais l'énorme abat-jour qui me servait de visière empêchait tout oeil indiscret de les voir.
En entrant dans la chambrée, mon premier soin fut d'ôter mon képi et de l'examiner avec un intérêt bien légitime.
J'étais peiné de le voir si grand, et je me disais que le diamètre de son ouverture aurait pu satisfaire une tête de géant de bonne famille.
Un troupier, bien intentionné sauva la situation en trempant mon képi dans l'eau, et je fus fort étonné, quand il fut sec, de le voir présentable.
De là date mon attachement pour ce mémorable couvre-chef.
Lui aussi m'accompagna partout, et s'il n'empêcha pas le soleil de me cuire le visage, du moins fit-il son possible.
Dans nos dernières excursions, il ne marchait jamais seul. Toujours il réclamait,—aidé en cela des ordres du colonel,—le couvre-nuque, qui jadis était blanc.
Un endroit quelconque de la tente le satisfait la nuit, et jamais il ne fut nuisible.
Depuis que j'ai entrepris le récit de mon voyage circulaire, une tendance marquée de se loger à l'est s'annonce chez lui. Ce qui explique sa proximité de rapport avec mes godillots.
La provenance de cette estimable coiffure est encore incertaine dans ma pensée. Cependant, je la soupçonne, à certains airs maladroits de sortir des ateliers d'Alburac.
Ce dernier monsieur est un excellent tailleur militaire, et, comme spécialiste, il est fort.
Dans le genre képi, sauf un écrasement particulier des parois, il ne se distingue que médiocrement. Quelques trous inutiles, préposé à introduire l'air au crâne, semblent bien être percés sur les côtés. Mais cela demande l'oeil d'un scrutateur convaincu pour le constater.
Des passe-poils, bleus dans leur début, parent le képi; mais ils manquent vite à leur mission, et ils ne deviennent pas bleus du tout au bout d'un mois de service.
Le couvre-nuque, tout en faisant fonction de protecteur contre le soleil, réussit énormément à bosseler le képi.
Enfin, tout conspire pour le rendre insignifiant, et le mien, plus que tous, est mal partagé.
Je ne lui en veux pas pour cela. Sa carrière est déjà longue, et dans quelques jours on le verra retourner au néant. Alea jacta est.