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LE HAVRE-SAC

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Ce meuble occupe le nord de ma tente.

A propos, je vous demande pardon de parcourir ainsi la rosette des vents. Cela entre dans la clarté du récit.

Ma tente est presque circulaire dans sa base, et, pour l'intelligence des événements, il me faut la boussole.

Sans elle, aucune donnée ne pourrait réussir dans ce travail.

Aussi, c'est entendu, on ne me reprochera ni les points cardinaux, ni les points intermédiaires, et cette concession accordée aux grincheux m'autorise à revenir à mon sac.

Il est au nord, c'est-à-dire vis-à-vis de la porte de ma tente.

Son utilité, en station, réside dans les services qu'il me rend pendant mon repos: il me sert d'oreiller.

J'avouerai, pour être véridique en tout, qu'il est un peu dur, mais l'habitude émousse les sensations, et ma tête se porte un peu moins bien pour cela.

En route, il prend sa revanche et se fait sentir par un attachement variant de vingt-cinq à trente kilogrammes de poids.

Une étape, d'une vingtaine de kilomètres, permet encore de dédaigner le sac, mais trente-cinq l'alourdissent, et en approchant de la cinquantaine, il devient tout à fait exigeant.

J'écris un peu d'après mon expérience personnelle. Cependant, toute abstraction faite du sentiment égoïste, je ne crois pas mentir en affirmant que j'exprime, à peu de chose près, l'opinion générale.

Le soldat s'est moqué, se moque encore et se moquera toujours du sac, à qui il applique toutes sortes de noms dérisoires: emplâtre, as de carreau, Azor, etc.

Quelquefois, un troupier bien fatigué l'interpelle pendant une halte.

Mettant le pied dessus, il lui demande, d'un petit air engageant:

«Veux-tu me porter maintenant? Il y a bien assez longtemps que je le

fais. A ton tour.»

Le sac, restant calme et digne, ne répond pas, comme vous le pensez bien, du reste.

A la halte suivante, un autre soldat facétieux dit aux camarades qui l'entourent: «Ce n'est pas le sac qui me fait mal, ce sont les bretelles.»

Cette farce, lancée je ne sais combien de fois, trouve toujours écho chez les auditeurs, qui rient jaune. Bien entendu, le sac reste digne et ne répond toujours pas.

L'épithète pharmaceutique s'applique quand on veut réunir le camarade et son sac dans une même insulte:

«Regardez-moi donc ce type, il doit être rudement malade, quel emplâtre dans le dos!»

Le soldat interpellé se charge de répondre pour lui et pour son sac. Je vous fais grâce de ses répliques.

L'as de carreau nous vient des Joyeux, d'après la légende.

Ils firent une chanson là-dessus, et le refrain se termine par ceci:

Portons gaiement (bis) l'as de carreau (bis), Portons gaiement l'as de carreau.

Je l'ai dit plus haut, le sac se venge au centuple des quolibets et surnoms dont on le gratifie.

Le havre-sac est ancien, et je ne me rappelle pas quand il fut introduit dans l'armée.

Il se divise ne plusieurs modèles, et les habiles directeurs de l'équipement militaire ne cessent de l'améliorer.

Le dernier paru est fait de toile noire. Il porte d'inextricables courroies, ornementées de boucles nombreuses et d'anneaux de toutes espèces.

Ce sac peut avoir du bon, mais ce qui me chatouille agréablement, c'est que tout le monde le trouve commode, excepté ceux qui le portent.

Cela entrait peut-être dans l'idée de l'inventeur.

Bien d'autres sacs sont en usage. Le meilleur est celui en peau de veau, avec deux simples bretelles.

Celles-ci, attachées au haut du sac, enlacent les épaules du soldat, et, passant sous les bras, viennent se boucler au bas. Il est simple, ce sac-là, et peut être chargé sans l'aide du camarade.

Si un écrivain intelligent pouvait saisir et traduire les émotions et sensations que le sac causa, depuis qu'il existe, il n'y aurait pas assez de papier, dans l'univers connu pour les imprimer.

Chaque individu a ses idées là-dessus, et, comme tel, je vais essayer de faire connaître ce que mon vieux sac, en peau de veau, m'a appris pendant notre accointance.

La première chose par laquelle il se fit connaître fut la fatigue, et celle-ci, il me la prodigua ferme.

Dans le commencement de mon apprentissage militaire, un engourdissement grave me saisissait aux épaules. Puis venait le manque de circulation du sang, que me faisait enfler les mains et leur donnait des dimensions à faire rougir n'importe quel géant.

A cela s'ajoutaient de sérieuses crampes dans les reins, accompagnées de désordres dans la respiration.

Peu à peu, l'habitude finit par faire disparaître ces légers désagréments, et bientôt, à l'arrivée à l'étape, il ne restait plus qu'une vague fatigue, facilement secouée.

Ces ennuis physiques écartés, mon sac me laissa les loisirs de faire quelques remarques philosophiques sur ses agissements.

C'est alors que j'appris jusqu'à quel point la fatigue est capricieuse et facile à oublier.

Ainsi, en marche, si la pluie arrose une colonne, l'homme dédaigne tout de suite le sac pour ne jurer que contre l'eau et la boue qui l'ennuient.

Ou bien, après une longue journée de route, quand les jambes ont à peine la force de traîner le corps, tout est oublié, soif, maladie, fatigues, etc., enfin tout, si l'ennemi est signalé.

Le troupier, quelque fourbu qu'il soit, reprend vigueur au moment du combat et se bat douze heures sans boire ni manger.

Le sac est complètement dans l'ombre pendant ce temps. On n'y pense pas.

J'ai aussi remarqué que l'homme se remonte comme une horloge.

La veille au soir, on annonce, pour le lendemain une étape de quarante kilomètres. Tout de suite, le soldat se stimule pour les quarante kilomètres en question.

Gare le sac, si, par malheur, le hasard veuille que l'étape soit plus longue que celle annoncée! Pendant les dernier kilomètres non prévus, il règne en maître et éreinte le malheureux soldat, qui se dit, en perdant courage, qu'on l'a indignement trompé.

La morale de ceci est que l'on doit toujours un peu exagérer la distance à parcourir le lendemain.

Quelle joie quand le soldat s'aperçoit qu'il est à destination avant le moment fixé dans son imagination, le sac ne s'étant pas fait sentir!

Tout ceci prouve que le sac n'est pas une petite affaire.

Actuellement assis en face de lui, dans ma tente, je ne puis lire dans sa physionomie rien qui fasse penser aux drames dont il est souvent la cause.

Ainsi, je sais beaucoup de suicides dus au sac.

En campagne, en Afrique surtout, le traînard met son sac par terre, s'assied dessus, regarde les camarades disparaître dans les brumes lointaines de l'horizon, pense à ce qu'il a de plus cher, arme son fusil et se fait sauter la cervelle.

A l'appel du soir:

—Un tel?

—Manque.

Encore un suicide probablement, et l'on n'y pense plus.

Voilà des coups du sac.

Il ne faut pas trop lui en vouloir cependant, car le diable m'emporte si je le crois responsable des ses actes.

Quoi qu'il en soit, ajoutons à ce qui précède: les désirs de quitter l'armée, les pleurs parfois arrachés au conscrit, les regrets d'avoir quitté le tablier de la maman, les désirs ardents de retourner auprès d'une fiancée, les résolutions d'abandonner les aventures guerrières, les souvenirs cuisants d'un passé heureux, les projets de mieux se conduire en rentrant chez soi, les idées de suicide, etc.: ajoutons tout cela dis-je, et quantités incalculables d'autres choses, et l'on aura une bien faible idée de l'importance du sac.

Je le vante peut-être un peu trop, car je m'aperçois que ma vieille pipe s'est éteinte, sur ces derniers mots. Est-ce de jalousie? Je ne le crois pas.

Pour nous en rendre compte, lisons le chapitre suivant.

Expéditions autour de ma tente: Boutades militaires

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