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Mon instituteur bien récompensé.

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Le curé de Mareil dormoit encore quand nous entrâmes dans Paris. Moi, je me promettois d'observer avec soin l'effet que la vue de M. de Vignoral feroit sur moi, et plus encore l'impression qu'il éprouveroit à mon aspect. «La nature se trahira, me disois-je; un père est.... toujours père; et si je suis son fils, je m'en appercevrai à ses caresses, ou même aux efforts qu'il fera pour cacher son émotion. Et puis, mon cœur m'avertira; comme je le sentirai battre! Ah la sympathie n'est pas un mot vide de sens; j'en ai pour preuve les romans, la fidélité des épouses, la bonhommie des pères, et le respectueux attachement des enfans.»

Nous arrivâmes chez M. de Vignoral à la nuit; il étoit sorti. Un domestique nous servit à souper, et nous conseilla de nous coucher: je voulois attendre; le curé de Mareil fut d'avis d'aller dormir, et je l'imitai. Le lendemain matin, je me présentai à la porte du cabinet du grand homme; il me fit dire qu'il travailloit, et qu'il ne recevoit personne avant midi. Son peu d'empressement me parut de mauvais augure. Enfin je fus admis à l'honneur de lui être présenté. Il jeta sur moi un regard rapide, mais perçant; et se tournant vers le curé de Mareil, il lui dit:

«Il est d'un physique agréable, et paroît d'une santé parfaite. Si l'on m'avoit cru, on l'auroit laissé au village. Que fera-t-il à Paris? Des sottises, de mauvaises connoissances; il deviendra débauché, et à trente ans ce sera un homme mort. Les grandes villes sont la ruine des états et des citoyens; c'est dans les champs qu'est la véritable prospérité des uns et des autres: c'est là qu'il devoit rester.»

«Monsieur, répondit le curé, Frédéric est fait pour aller à tout. D'abord, comme vous l'observez, il est possesseur d'une figure intéressante; et puis, il ne manque pas d'esprit.»

«—De l'esprit! qui n'en a pas aujourd'hui? À quoi cela le menera-t-il? On ne rencontre par-tout que des gens d'esprit qui n'ont pas le sens commun, qui meurent de misère. Monsieur le curé, l'esprit ne contribue en rien au bonheur des hommes; et si vous voulez les rendre heureux, ce n'est pas leur esprit qu'il faut leur apprendre à cultiver, c'est l'héritage de leurs pères.»

«Monsieur, lui dis-je en tremblant, et quand ils n'ont pas la satisfaction de savoir à qui ils doivent le jour, que voulez-vous qu'ils cultivent?»

«Il a raison, s'écria le curé. Si vous étiez son père, par exemple, ne lui faudroit-il pas beaucoup d'esprit pour faire valoir l'héritage que vous lui laisseriez? Quelle réputation à soutenir!»

M. de Vignoral observa que les enfans des grands hommes n'étoient presque toujours que des sots. Cette réflexion modeste me fit desirer de n'être pas son fils: son abord m'en avoit ôté jusqu'à l'espérance; et j'avoue que si mon cœur avoit battu en le voyant, c'étoit seulement de la crainte qu'il m'avoit inspirée.

«Que savez-vous, monsieur»? me dit-il. Je ne répondis pas; mais le curé de Mareil répondit pour moi que je savois un peu de tout. «C'est-à-dire, répliqua le grand homme, que c'est une éducation manquée». Mon cher Mentor ne fut pas plus satisfait que moi de cette observation: aussi, quand M. de Vignoral lui demanda s'il avoit lu son dernier ouvrage, le bon curé s'empressa de lui affirmer qu'il ne lisoit plus depuis long-temps, parce qu'il étoit convaincu que l'esprit ne servoit à rien, et qu'il convenoit, pour son propre compte, que plus il apprenoit, plus il étoit mécontent des autres et de lui-même.

«Resterez-vous long-temps à Paris? lui dit froidement le grand homme.—Non, monsieur, je pars demain.—En ce cas, je vous conseille de vous retirer avec votre élève, et de profiter du dernier jour que vous avez à passer ensemble». Nous ne nous le fîmes pas répéter, et nous remontâmes dans l'appartement où nous avions passé la nuit.

«Si c'est là ce qu'on appelle un philosophe, murmuroit le curé de Mareil en se promenant dans la chambre, cela vaut mieux à lire qu'à voir. Voilà, Frédéric, la récompense de plus de dix années de ma vie sacrifiées à méditer, à travailler pour faire de vous un savant; le premier tribut que j'en reçois, est de m'entendre dire que votre éducation est manquée. Eh bien! desirez-vous encore que cet homme soit votre père?»

«En vérité, monsieur, je n'ai plus qu'une envie, c'est de retourner avec vous à la campagne.»

«Quoi! vous auroit il déjà séduit par ses beaux discours? Mon ami, le bonheur n'est pas plus à la campagne qu'à la ville; il est par-tout pour les gens raisonnables, nulle part pour les fous, les ambitieux, et les écrivains tourmentés par la vanité. Si cultiver l'héritage de ses pères étoit la félicité suprême, pourquoi M. de Vignoral auroit-il abandonné les champs? Vous ne rencontrerez dans le monde que des gens parlant d'une façon et agissant d'une autre; que des citadins plongés dans le luxe, et vantant les charmes de la vie champêtre; que des hommes enthousiasmés de leurs connoissances, et vantant le bonheur des sots. Quand vous étiez à Mareil, vous desiriez venir à Paris: aujourd'hui vous êtes à Paris, et déjà vous parlez de retourner à Mareil! Le philosophe vous a séduit.»

«Au contraire, monsieur, ses discours ne me font pas aimer le village; mais ses actions me font sentir le besoin d'y retourner. Que vais-je devenir? Ah! c'est vous qui m'avez servi de père; c'est près de vous que je voudrois maintenant passer mes jours.»

«Bien, enfant, bien; vous trouvez pire que moi, et vous me regrettez. Dans quelques jours vous aurez formé de nouvelles habitudes, et vous ne penserez plus à moi; c'est l'usage.»

J'assurai mon cher Mentor qu'il me faisoit injure en doutant de l'attachement que je conserverois toujours pour lui; je pleurai si abondamment en lui parlant de ma reconnoissance, qu'il en fut ému. Il me dit qu'il croyoit effectivement que, grâces à l'éducation qu'il m'avoit donnée, je vaudrois un peu mieux que les autres.

Nous allâmes nous promener dans Paris; en visitant les beaux monumens que renferme cette capitale, je perdis en grande partie le désir de la quitter. Quand nous rentrâmes, le domestique de M. de Vignoral me dit qu'il étoit venu quelqu'un me demander.

«Moi?—Oui, monsieur,—Vous êtes bien sûr que c'est moi qu'on est venu demander?—Oui, monsieur.—Sous quel nom?—Sous le vôtre, sous celui de Frédéric.—Et savez-vous quelle est la personne qui s'est informée de moi?—C'est de la part de madame la baronne de Sponasi. On m'a chargé de vous avertir que l'on reviendra demain matin, en vous recommandant de ne pas sortir.»

Tendres souvenirs de Mareil et de son excellent curé, adieu; attachement éternel, reconnoissance qui ne devoit jamais finir, adieu. L'envoyé de la baronne de Sponasi occupe seul ma pensée; et mon cher précepteur, après souper, a beau déployer son éloquence pour me faire une dernière exhortation, je ne l'entends pas; je ne songe qu'à la visite qui m'est promise pour le lendemain.

Je me réveillai plus de vingt fois la nuit pour savoir s'il faisoit jour. Le soleil parut enfin; je me levai, j'entrai chez le curé de Mareil. Il dormoit paisiblement; cela me parut extraordinaire. Je descendis dans l'intention de m'informer s'il n'étoit venu personne me demander; le portier étoit encore au lit. Je regagnai tristement ma chambre; je pris un livre, et ne pus lire une page de suite. J'ouvris ma fenêtre, et là j'examinai les passans, comme si j'avois dû trouver sur leur figure la fin de l'impatience qui m'agitoit. Le curé se leva, l'heure de son départ approchoit; il auroit voulu le retarder pour connoître l'issue de la visite que j'attendois, et de laquelle il auguroit bien pour moi: mais deux choses l'en empêchoient; il s'en retournoit par les voitures publiques, et il n'avoit pas envie de revoir M. de Vignoral. Il me recommanda de lui écrire exactement, en m'assurant que sa maison me seroit toujours ouverte, si j'éprouvois quelques malheurs. Ses adieux furent si touchans, que mon cœur en fut pénétré; j'allois me jeter dans ses bras, qu'il étendoit vers moi, quand on vint m'avertir qu'on m'attendoit dans ma chambre. Je sortis si précipitamment, que je ne peux encore y songer aujourd'hui sans m'accuser de la plus noire ingratitude.

Frédéric

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