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Je crois trouver mon père.

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Celui après le retour duquel j'avois tant soupiré, étoit un homme qui ne paroissoit guère avoir plus de trente-cinq ans, et dont la figure et la taille eussent pu servir de modèle pour peindre la beauté et la force réunies. Il m'embrassa avec beaucoup de tendresse, et, par un mouvement qui me parut involontaire, il se tourna devant une glace sur laquelle il fixa ses regards; je l'imitai sans trop savoir pourquoi. J'ignore quel fut son motif; mais en le considérant, en me considérant, je trouvai en nous quelque ressemblance, et je me dis tout bas: Pour le coup, voilà mon père. Il parut à la fois satisfait et déconcerté de ce qu'il venoit de faire; il m'engagea à m'asseoir, se plaça près de moi, et nous entrâmes en conversation.

«Vous avez été élevé, me dit-il, d'une manière qui doit vous inspirer la plus vive curiosité de percer le mystère qui vous entoure. Je suis fâché d'être obligé de vous dire que tous vos efforts pour connoître vos parens seront inutiles, et ne pourroient que vous procurer des chagrins. Si vous êtes sage, vous vous contenterez de ce que l'on fera pour vous, sans chercher à rien approfondir; et si le hasard vous offroit un jour quelques lumières à cet égard, le meilleur conseil que je puisse vous donner, est de n'en jamais rien faire paroître.»

«Monsieur, répondis-je en respirant à peine, il est des mouvemens si naturels, quelquefois le cœur parle avec tant de violence à l'aspect de certaines personnes»... Je ne pus achever; mon cœur battoit effectivement bien fort, et chacun de ses mouvemens sembloit me dire: C'est ton père!

«Je dois vous prévenir, monsieur, contre ces mouvemens que vous attribuez à la nature, et qui ne sont sans doute que l'effet d'une inquiétude bien naturelle dans votre position. Pour que nous puissions nous expliquer sans contrainte, je dois d'abord vous apprendre à qui vous parlez.»

Ah! c'est dans ce moment que je sentis la nature se soulever en moi: il alloit m'apprendre qui il étoit. «Sans doute il me déguisera la vérité, me disois-je; mais je n'en croirai que mes sensations. C'est mon père! c'est mon père»! Il avoit un moment gardé le silence; il continua de la sorte:

«Je suis le valet-de-chambre de madame la baronne de Sponasi, et....—Monsieur, je vous demande pardon, m'écriai-je tout interdit; je n'ai pas bien entendu». Il répéta d'une voix qui me parut altérée: «Je suis le valet-de-chambre de madame la baronne de Sponasi, et....—Pardon encore une fois, monsieur, si je vous interromps. Quel âge a madame la baronne?—Votre question pourroit être indiscrète, si vous la connoissiez, me répondit-il en souriant; une vieille femme ne dit pas volontiers son âge, et n'aime guère que l'on s'en occupe: elle a plus de soixante ans.»

Je me levai pour prendre un verre d'eau. Le passage subit du premier espoir que j'avois conçu, à un renversement aussi complet, m'avoit réellement fait mal. Je me promis bien de ne plus écouter les mouvemens de mon cœur, et je retournai m'asseoir un peu humilié de mes pressentimens. Il renoua la conversation.

«Je ne chercherai pas à deviner ce qui a pu vous agiter; mais je vous répéterai ce que je vous disois tout-à-l'heure: les mouvemens que vous attribuerez à la nature ne seront que l'effet de l'inquiétude de votre esprit. Parlez-moi franchement: ai-je bien défini la cause de votre émotion?»

J'étois si honteux de m'être trahi pour le valet-de-chambre de madame la baronne, que j'avois grande envie de n'en pas convenir, et je commençai à répondre sans savoir encore comment je finirois; ce qui arrive, au reste, à bien d'autres que moi.

«J'espère, dit-il en m'interrompant, que vous ne passerez pas d'une prévention qui m'étoit trop favorable, à une qui me seroit contraire. Dans votre position, monsieur, on a besoin d'amis. Je n'aspire pas à l'honneur d'être le vôtre; mais vous êtes si jeune, vous avez si peu d'expérience, vous voilà lancé dans un monde si nouveau pour vous, que vous pourriez trouver quelque avantage à savoir sur qui reposer vos pensées. Ma démarche doit vous apprendre que j'ai la confiance de madame la baronne; et l'attachement d'un homme qui sait sur votre naissance des secrets qui vous seront toujours inconnus, les conseils mêmes du valet-de-chambre d'une femme titrée, riche, et qui seule au monde s'est chargée de votre destinée, pourroient vous être plus utiles que les leçons d'un curé de village, ou les rêveries d'un philosophe. Voyez si vous voulez ne recevoir de moi que ce qu'exigeront les ordres qu'on me donnera, ou si la pureté de mes intentions vous fera oublier la place de celui qui vous parle.»

«Il étoit décidé que je vous aimerois, lui dis-je en lui sautant au cou. Oui, monsieur....—Je ne suis plus monsieur pour vous, me répondit-il; appelez-moi Philippe, c'est mon nom.—Eh bien! Philippe, vous serez mon ami: vous viendrez me voir quand on vous le dira; vous viendrez plus souvent encore sans qu'on vous le dise. Je recevrai vos avis avec docilité; je vous remercie de me les avoir offerts: je sens trop que j'en ai besoin pour me guider dans une position aussi extraordinaire que la mienne. Vous êtes le premier qui m'ayez parlé le langage de l'amitié: si jamais je me conduis mal à votre égard, je mériterai d'être abandonné de la nature entière.»

«—Fort bien, mon cher Frédéric... Ah! pardon, monsieur, dit-il en s'interrompant; votre sensibilité me faisoit oublier.... Parlons des ordres que j'ai à remplir. Madame de Sponasi desire beaucoup vous voir; mais elle ne peut vous recevoir avant quelques jours. Profitez de l'intervalle pour prendre les airs d'un homme du monde. Quoiqu'elle assure n'attacher de valeur qu'aux charmes de l'esprit, elle a de commun avec tous les mortels de se laisser prévenir favorablement par une figure aimable, une tournure aisée. Je vous l'ai déjà dit, c'est votre seule bienfaitrice, et vous ne devez rien négliger pour lui plaire. Savez-vous la musique?—Non, Philippe.—Savez-vous danser?—Non, Philippe.—Avez-vous appris à monter à cheval?—Non, Philippe.—Faites-vous des armes?—Non, Philippe.—Je me doutois bien, s'écria-t-il, que, dans un village, votre éducation seroit manquée.»

Pauvre curé de Mareil, pensois-je tout bas en soupirant, falloit-il travailler dix ans pour entendre répéter par le plus laid des philosophes et le plus beau des valets-de-chambre, que l'éducation de ton élève étoit manquée!

«Écoutez-moi, monsieur, poursuivit Philippe: je vous enverrai demain un maître de danse, un maître de musique et un maître en fait d'armes; je vais vous laisser l'adresse d'une académie d'équitation. Tandis que M. de Vignoral travaillera à former votre esprit, qu'il gâtera peut-être, travaillez sans relâche à déployer les grâces et la force de votre corps. Vous me direz un jour lesquels de ses conseils ou des miens auront le plus contribué à votre fortune. Voici cinquante louis que je suis chargé de vous remettre; vous en emploierez la plus grande partie à votre toilette. Tous les premiers du mois, vous en recevrez douze pour vos dépenses particulières. Mon tailleur viendra vous voir ce matin; je lui aurai parlé pour qu'il supplée au goût qui vous manque, et que bientôt l'usage vous donnera. Je vous le répète de nouveau, ne négligez rien, pour faire valoir les avantages que vous avez reçus de la nature. Demain nous nous reverrons, et je vous donnerai quelques renseignemens sur les personnes avec qui vous allez vivre désormais. Dès aujourd'hui et pour toujours, je vous recommande d'être généreux avec les domestiques de M. de Vignoral, chaque fois qu'ils feront quelque chose pour vous: les valets n'aiment que ceux qui les paient bien.»

Philippe s'en alla. Vous croyez, lecteurs, que je ne m'occupai que de mon trésor; point du tout. Je ne pensai qu'à Philippe, à l'amitié qu'il m'avoit inspirée, aux conseils qu'il m'avoit donnés. L'air dégagé dont il m'avoit parlé des valets qui n'aiment que ceux qui les paient, m'avoit fait naître deux réflexions bien différentes: ou Philippe mettoit un prix aux services qu'il vouloit me rendre, et il m'en avertissoit indirectement; ou Philippe étoit au-dessus de son état. Ses discours me confirmoient dans cette dernière opinion; il m'étoit impossible de me défendre de la première impression qu'il avoit faite sur moi, et je me demandois comment j'avois pu lui inspirer autant d'intérêt. Dans l'impossibilité de fixer mes idées, je laissai au temps le soin de les éclaircir, et je mis la main sur la bourse qui étoit restée devant moi. Je trouvai du plaisir à compter cinquante louis: étoit-ce par avarice? Non, sans doute; car, à bien calculer ce que je voulois acheter avec cette somme, je suis persuadé qu'il m'en auroit fallu le double. À seize ans, on n'aime l'argent que par l'idée d'indépendance que sa possession fait naître en nous. Un jeune homme avare est un être contre nature.

Frédéric

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