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PRÉFACE.

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Comme auteur, je devrois remercier le public de la faveur avec laquelle il a accueilli mon roman de la Dot de Suzette; comme François, j'aime mieux lui faire compliment d'avoir trouvé du mérite à un ouvrage aussi simple: cela peut encourager les bons écrivains, en leur prouvant que le goût n'est pas entièrement perdu.

Vivant retiré loin de Paris, j'ai appris par les journaux qu'un poète avoit mis Suzette au théâtre. Si elle y a conservé sa décence et sa sensibilité, il faut convenir que son caractère est à toute épreuve.

Une lettre particulière m'a assuré que les femmes du jour avoient voulu un moment ressembler à Suzette, et qu'elles avoient donné son nom à des robes charmantes. La grace de Suzette ne s'imite pas. Heureuses celles à qui la nature a accordé une beauté égale à la sienne! plus heureuses celles qui sentiront que la figure s'embellit de toutes les qualités du cœur et des talens de l'esprit!

Depuis long-temps les Françoises ont oublié qu'elles remplissoient dans notre patrie un ministère d'autant plus sacré, que l'homme le plus froid eût rougi d'en méconnoître la puissance; il leur accordoit par pudeur ce que tous les êtres sensibles leur accordent par besoin. Qu'est-il résulté de cet oubli? Que les femmes ont été traitées comme les hommes, à l'époque où les hommes l'étoient eux-mêmes comme des bêtes féroces. Femmes, reprenez votre empire, et il n'y aura plus de crimes.

La facilité du plaisir en ôte l'idéal; la difficulté de le saisir fait naître les passions. C'est par les passions que votre sexe règne; c'est par elles que le nôtre s'agrandit. Toute ambition dans laquelle vous n'êtes pour rien vous anéantit, et laisse dans notre cœur une sécheresse qui dégénère facilement en cruauté. Pourquoi ne voulez-vous plus inspirer de passions?

Pour connoître les dons que vous ayez reçus de la nature, vous ne consultez que votre miroir, et, contentes de la découverte, trop pressées de nous en faire part, à peine un voile léger cache-t-il à l'indifférent ce qui ne doit être que la récompense de l'être le plus épris. Vous brisez le charme en éteignant l'imagination: le désir a des bornes, l'imagination n'en a point. Soyez décentes par coquetterie; l'hypocrisie des mœurs tourne à la fois au profit de l'amour et de l'ordre.

Mais la décence dans les habits est peu de chose si l'on n'y joint celle des discours. Vos conversations sont insipides pour les gens d'esprit, désespérantes pour les ames aimantes. N'est-il pas humiliant de ne plaire qu'aux sots et aux libertins? Se mettre à leur niveau, c'est dégrader la beauté.

J'ignore si la nature vous a donné un caractère différent du nôtre; je ne jette pas mes pensées si loin: mais je sais que, dans tous les pays, nos devoirs n'étant pas les mêmes, il en résulte des nuances frappantes entre la manière d'être d'une femme et celle d'un homme. Quand ces nuances disparoissent, hommes et femmes ont également perdu leur mérite; il n'y a plus ni dignité, ni grace, ni fierté, ni douceur, ni amour, ni bonheur: nous ressemblons tous à des pièces de monnoie dont l'empreinte est effacée.

Ces nuances sont d'autant plus fortes, que tout le monde les sent, et que personne ne peut les définir. En écrivant la Dot de Suzette, je faisois parler une femme, et l'on a cru généralement le roman écrit par une femme. Pas une pensée forte, si naturellement elle ne naît d'une sensation vive; des caractères esquissés plutôt qu'approfondis, de la douceur dans les plaintes, de la simplicité dans les discours, de la sensibilité jusque dans le courage. Femmes, voilà votre cachet: en me servant de votre main pour l'apposer sur mon ouvrage, il eût été trop mal-adroit de ne pas réussir.

Mais si le roman portoit vos couleurs, la préface trahissoit mon secret: personne n'a pu s'y méprendre; un homme l'avoit écrite. Ce contraste en dit plus qu'une grave discussion. Le rédacteur du Journal de Paris, dans l'analyse obligeante qu'il a faite de cet ouvrage, a parfaitement marqué cette différence, et il est le premier qui, malgré l'opinion reçue, ait assuré que la Dot de Suzette, n'étoit point d'une femme.

Cependant on a osé imprimer le nom prétendu de l'auteur, et ce nom s'est trouvé être celui d'une femme qui a trop d'esprit à elle appartenant pour consentir à se parer du peu qui ne lui appartient pas. Persuadé qu'elle n'est pour rien dans cette supposition, j'aurois gardé le silence si le libraire, qui (sans doute à son insu) lui a donné le titre d'auteur de la Dot de Suzette, ne répandoit le bruit que le manuscrit de ce roman m'a été confié par elle, que j'ai abusé de ce dépôt, qu'il est certain que je n'oserai réclamer contre celle qui a été de tout temps la protectrice de ma famille, et qui m'a rendu personnellement les services les plus signalés. Or il est indubitable que cette personne m'est inconnue, que le hasard ne nous a pas rassemblés seulement une fois, que ma famille lui est aussi étrangère que moi, que jamais je n'ai reçu de services signalés de qui que ce soit, et que je suis, par mon caractère, au-dessus de la protection, même d'une femme. Il est désagréable d'avoir à réfuter des absurdités pareilles; mais on le doit quand une absurdité entraîne l'accusation d'abus de confiance, d'ingratitude et de sottise. Certes il n'en est pas de plus grande que celle de prétendre à l'esprit qu'on n'a pas.

Je reviens à ma préface.

L'idée généralement reçue qu'un homme se peint dans ses écrits est une erreur accréditée par les écrivains médiocres. On entend dire par-tout: L'auteur de tel ou tel ouvrage doit avoir une ame bien sensible. Aussi voyons-nous dans les romans nouveaux des voleurs qui ne manquent pas de probité, des assassins qui sont philanthropes, et des scélérats qui versent des larmes de sensibilité. On brise tous les caractères pour faire ressortir le sien: on croit donner la mesure de son cœur, on ne donne que celle de son talent; et presque toujours la mesure est petite.

Un romancier et un auteur dramatique sont des peintres: ce n'est pas ce qu'ils sentent qu'ils doivent exprimer; c'est ce qui existe. Molière a peint le Tartufe: il n'en a pas pris le modèle en lui, non plus que l'original du Misanthrope; et il seroit aussi ridicule de chercher le caractère de Molière dans ses ouvrages, que d'exiger qu'un peintre habillât les Romains à la françoise, parce que cet habit est le sien, ou qu'il se revêtît d'une cuirasse, parce qu'il vient de dessiner un guerrier.

Je ne conçois pas comment J. J. Rousseau a pu s'applaudir, à la fin de sa Nouvelle Héloïse, de n'avoir pas eu à imaginer, à composer le personnage d'un scélérat, à se mettre à sa place pour le représenter.

À moins que ce ne soit par la raison toute simple qu'on n'imagine ni ne compose un personnage, et que quand on veut le représenter, on ne se met pas à sa place; on le pose devant soi, et on le peint. Lorsque Vernet dessinoit une tempête, il ne se mettoit pas plus à sa place qu'Isabey ne se met à la mienne quand il fait mon portrait.

Rousseau ajoute:

«Je plains beaucoup les auteurs de tant de tragédies pleines d'horreurs, lesquels passent leur vie à faire agir et parler des gens qu'on ne peut écouter, ni voir, ni souffrir. Il me semble qu'on doit gémir d'être condamné à un travail si cruel

Il est difficile de raisonner moins juste: et quand Rousseau remercie Dieu de ne pas lui avoir donné les talens et le beau génie de ces auteurs-là, il fait une action de grâces bien à pure perte; car s'il avoit eu leur genre de génie, il auroit su qu'ils n'étoient pas condamnés à l'exercer, et que leur travail n'avoit rien de cruel.

Corneille, sortant de peindre Cléopatre ne méditant que meurtres et empoisonnemens, n'a certes jamais pensé à empoisonner ses enfans; et Rousseau mettoit les siens aux Enfans-Trouvés, consentoit à toujours ignorer leur destinée, ce qui est cent fois pire que la mort, le jour même peut-être où il peignoit avec tant d'onction l'aimable Julie de Volmar au milieu de sa famille naissante.

Après cela, jugez l'ame des auteurs par leurs ouvrages.

Mais allons plus loin, et cherchons la sensation que doit éprouver un auteur en travaillant. Je soutiens qu'on peut bâiller en peignant des caractères honnêtes, frapper du pied en faisant l'apologie de la patience, sourire à l'attitude d'un sot, et se réjouir en saisissant la figure d'un scélérat. Le plaisir n'est dans l'ouvrage, tant qu'on travaille, qu'autant que l'exécution répond à nos desirs.

Aussi suis-je persuadé que plus un auteur est médiocre, plus il doit avoir de jouissances en écrivant, puisque loin de trouver des difficultés, il ne les soupçonne même pas. Il y a dans beaucoup d'ouvrages une bonhommie d'orgueil et de nullité qui m'empêchera toute ma vie de m'ériger en critique: j'y applaudirais même de bon cœur si la plupart de ces écrivains-là n'avoient la manie de mettre les mots morale et vertu dans les circonstances les plus déplacées; ce qui a l'inconvénient terrible de donner aux lecteurs plus médiocres qu'eux, un jugement faux et des principes incertains. Si le public vouloit perdre l'habitude de juger la moralité d'un écrivain par ses ouvrages, cela nous débarrasseroit peut-être des phrases à contre-sens sur la sensibilité, et d'apologies bien dangereuses de la morale et de la vertu.

Dans Suzette, j'ai voulu faire un essai sur une partie des mœurs actuelles; dans Frédéric, j'ai peint des caractères qui existoient avant la révolution. C'est pour ne jamais me donner le droit d'applaudir ou de blâmer que je fais parler mes personnages eux-mêmes. À mesure qu'ils entrent sur la scène, ils ne m'appartiennent plus, et leurs discours, leurs actions, ne sont que la conséquence nécessaire de leur situation, de leurs passions, de leur caractère: moi, je l'affirme, je n'y suis pour rien; et quoiqu'il y en ait de fort aimables, que tous aient de l'esprit, plusieurs même quelque chose de plus que ce mot ne signifie, il n'en est pas un seul qui parle ou pense comme moi, pas un seul à qui je désirasse ressembler.

On trouvera hardi d'avoir osé rassembler dans le même cadre tant de personnages annoncés pour avoir beaucoup de talens. Il faut s'en croire soi-même, m'objectera-t-on, pour prétendre leur faire soutenir la réputation que vous leur donnez. Pas tant. Les gens d'un vrai mérite sont simples, et ne font jamais de longs discours: quand ils sont agités par des passions, ils rentrent à peu près dans la classe des autres hommes; quand ils réfléchissent, c'est différent, ils s'élèvent. Eh bien! je ne crois pas en avoir placé un au-dessous de l'idée qu'on a dû s'en former.

Je craindrois plutôt d'avoir accordé trop que trop peu, sur-tout à mon personnage favori, Adèle: aussi le lecteur instruit s'appercevra-t-il que j'ai eu soin de lui donner une caution pour les pensées qui sont au-dessus de son sexe. J'aimois à l'embellir et à lui conserver sa modestie: il est si aimable de parer une jolie femme!

Si ma prévention pour elle ne m'aveugloit pas, je lui reprocherois de n'avoir point assez médité ce dernier conseil de son instituteur: Méfiez-vous de votre cœur, et n'osez pas tout ce qu'osera votre esprit.

Pour son cœur, elle ne pouvoit mieux le placer, et j'aurois tort de me plaindre. Pour son esprit, elle en abuse dans ce sens, qu'elle ne résiste pas à l'amour-propre d'avoir raison contre son père; et quoiqu'elle ait mille motifs de se défier de lui, elle met trop de finesse dans sa conduite. La finesse est la première tentation d'une femme spirituelle; Adèle devoit y succomber.

C'est parce que je peignois des caractères et des événemens possibles avant 1789, que j'ai donné à tous mes personnages de l'esprit, de l'esprit, et encore de l'esprit. Nous en étions si pleins alors, que tout ce qui n'étoit pas notre esprit n'étoit rien. Les uns sont philosophes, les autres anti philosophes, quelques uns athées, d'autres religieux par raisonnement, presque tous auteurs; c'étoit déjà la mode. On pouvoit mourir sans faire son testament, mais non avant d'avoir composé un petit ouvrage, ne fût ce qu'une satyre contre son père; et c'est, je pense ce qui arrive à l'un de mes acteurs.

Qui que ce soit ne s'est reconnu dans Suzette; j'en étois sûr d'avance. Les gens d'une pénétration bien fine y ont reconnu tout le monde; je l'aurois juré également. Autant en sera Frédéric.

Si l'on veut connoître ma pensée sur les deux ouvrages, la voici. Suzette plaira à plus de personnes, et Frédéric, davantage à ceux qui savent bien lire. Le succès de Suzette a de beaucoup passé mon espérance; cependant je crains qu'en vieillissant elle ne se perde dans l'abîme qui engloutit quatre-vingt-dix-neuf romans sur cent. Frédéric n'y tombera pas; du moins je l'espère.

Ne pouvant revoir moi-même les épreuves, s'il s'est glissé dans mon manuscrit, ou s'il se glisse à l'impression quelques fautes un peu lourdes, je prie qu'on ne me les attribue pas. Pour celles qui dénotent un auteur qui n'aime ni à travailler, ni à polir, ni à corriger, je m'en charge: il faut être juste.

Frédéric

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