Читать книгу Histoires de tous les jours - Josephine Colomb - Страница 5
II
ОглавлениеQuand sept écoliers qui viennent de faire une bonne course sont réunis au grand air pour déjeuner, peut-on dire que leur déjeuner soit gai? Oui, si l’on a en vue la provision de gaieté que chacun d’eux possède: non, si l’on cherche les manifestations de cette gaieté : ils ont faim et ils mangent, voilà tout; ils ne trouvent pas un mot à dire. Nos écoliers déjeunèrent donc consciencieusement et silencieusement, pendant un bon quart d’heure au moins. Le premier qui parla fut le petit Magnac; il est vrai que Magnac ne possédait pas un grand appétit et qu’il fut vite rassasié.
L’un après l’autre, les convives s’égayèrent; et ce furent alors des rires fous, à propos de tout et à propos de rien, jusqu’au moment où Nachou bondit sur ses pieds en disant:
«Nous perdons notre temps! Qui est-ce qui vient jouer à saut de mouton dans la prairie?»
En un clin d’œil tous furent debout; on réunit les restes, qu’on enferma dans un papier et qu’on mit dans un arbre, pour les retrouver quand on voudrait goûter, et l’on prit le chemin de la prairie. On ne courait pas risque d’en gâter le foin; les bestiaux qu’on y avait mis au vert n’avaient guère permis à l’herbe de grandir.
On se lasse de tout, et les forces humaines ont des bornes, même les forces des écoliers en congé. Après des heures passées à courir le pays, à escalader les talus et les barrières, à sauter les ruisseaux, à grimper aux arbres, il vint un moment où personne ne proposa plus d’expédition nouvelle.
«Si nous retournions dans le petit bois?» dit Magnac.
Et le petit bois, avec sa fraîcheur et sou calme, offrit à leur imagination un repos si désirable, que personne ne fit d’objection.
«Ouf! dit Gaunard, qui était arrivé le premier, et qui s’étendit voluptueusement sur l’herbe, la tête et les épaules appuyées contre le tronc du chêne.
— Cela fait du bien, de se reposer!
— Cela fait beaucoup de bien!» répondirent les autres, à l’exception de Magnac et de Tresneau, qui se laissèrent tomber sur l’herbe sans parler: ils n’en pouvaient plus. C’étaient les deux plus petits, et depuis longtemps déjà ils ne suivaient les grands que par amour-propre.
Réellement, ils étaient tous fatigués; et la preuve, c’est qu’au bout de dix minutes il y en avait déjà quatre qui dormaient, et que les autres ne tardèrent pas à suivre leur exemple.
Après un temps qu’il aurait été bien en peine d’apprécier, Gaunard entr’ouvrit les yeux et étendit les bras pour s’étirer.
«Chut! ne bouge pas! lui dit tout bas Gerbaud d’un ton mystérieux: tu vas le faire sauver!
— Qui ça?
— Un écureuil,... droit en face de toi, là-haut, dans le frêne....
— Je le vois. Est-il joli! Tiens, en ce moment, sa queue se trouve au soleil.... Comme il fait bien dans la verdure! Y a-t-il longtemps que tu le regardes? Qu’est-ce que tu fais donc là ?
— Je me fais une poignée de canne: vois-tu?
— Ah! c’est l’écureuil! Mais il est très ressemblant!... Je ne bouge pas, continue. Pourvu que les autres n’aillent pas se réveiller!»
Gerbaud continuait à tailler avec son couteau un bâton qu’il s’était coupé en route, pour se faire une canne, disait-il. Il avait compté d’abord l’orner d’une belle spirale blanche, en enlevant une bande d’écorce; puis, en voyant l’écureuil, l’idée lui était venue d’utiliser le gros bout difforme de son bâton. Il se tirait vraiment très bien de son entreprise: les bergers suisses qui nous envoient tant de troupeaux de bois blanc, œuvres de leurs soirées d’hiver, l’auraient reconnu pour un confrère.
Il avait presque fini, quand un brusque mouvement de Nachou effraya l’écureuil, qui bondit du frêne sur un bouleau, et du bouleau sur le grand chêne.
«Oh! maladroit, tu l’as fait sauver! s’écria Gaunard.
— Sauver, qui? demanda Nachou tout ahuri en se frottant les yeux.
— L’écureuil de Gerbaud: tiens, vois!
— C’est vrai qu’il a fait un écureuil! dit avec admiration Nachou à qui Gerbaud venait de passer son œuvre. Il vous a des idées, ce Gerbaud! Voyez donc, vous autres, l’écureuil!»
La jeunesse admire volontiers sans arrière-pensée; la canne de Gerbaud passa de main en main, et obtint tous les suffrages. Les écoliers étaient maintenant éveillés comme une nichée de souris.
«Mais où est donc Ravinet? dit tout à coup Tresneau: il n’a pas vu l’écureuil. Ravinet! Ravinet! viens donc voir!
— Présent!» répondit une voix, assez loin dans l’épaisseur du bois.
Et, un instant après, Ravinet apparut entre les arbres, chargé d’une brassée de plantes et de fleurs.
«Il est allé à l’herbe pour ses lapins!» dit Nachou avec un gros rire, qui trouva de l’écho parmi ses compagnons.
Ravinet admira l’écureuil, comme c’était son devoir; mais le bois sculpté ne paraissait pas être sa principale préoccupation. Il jeta sur l’herbe sa botte de fleurs et s’assit auprès.
«Voyez ce que j’ai trouvé, dit-il; est-ce beau!
— Beau! répliqua Nachou: pourquoi, beau? des petites fleurs de rien du tout! Si encore c’étaient des grands dahlias bien rouges, ou des soleils! mais ça! Et puis les fleurs, ça n’est bon à rien. Est-ce que tu crois que c’est bon pour le blé, tes bluets et tes coquelicots? Ah! tu as cueilli un épi d’orge: à la bonne heure, voilà une plante utile! Ne me parle pas des fleurs!
— Chacun son goût, interrompit Janvier; tu n’aimes pas les fleurs, toi, mais il y a des gens qui les aiment. Demande à Tresneau si sa mère ne les aime pas! Je suis entré une fois dans son jardin: un vrai paradis. Le jardinier doit être très savant: n’est-ce pas, Tresneau?
— Oui, c’est un jardinier qu’on fait venir de la ville; il est de l’école d’horticulture.
— Qu’est-ce que c’est que cette école-là ?
— Une école pour les jardiniers; on y apprend à soigner les fleurs. Notre jardinier sait tous les noms des plantes en latin.
— Oh! fit Janvier avec admiration.
— Si tu veux le voir, je te préviendrai quand il viendra: je pense que ce sera à la fin du mois, quand on renouvellera les fleurs des massifs.
— Merci, je veux bien. Comme tu es heureux, toi, de voir tous les jours un si beau jardin!
— Je n’ai pas longtemps à le voir, à présent: au mois d’octobre j’irai au lycée, avec Magnac, pour apprendre le latin.
«C’est un jardinier qu’on fait venir de la ville.»
— Est-ce que le curé ne te l’apprend pas, le latin? demanda Gerbaud.
— Oh! il faut plus de latin que cela pour être bachelier: on m’en fera faire toute la journée au lycée; n’est-ce pas, Tresneau?»
Tresneau soupira:
«Moi, j’aimerais mieux rester ici à voir des arbres. Il n’y a rien de plus amusant que de connaître les arbres; quand je rencontre Serpier, le garde forestier, je me fais toujours emmener par lui dans sa tournée, et il me nomme tous les arbres. Il m’explique comment on les plante et comment on les abat, comment on connaît leur âge, les espèces qui poussent bien dans les lieux bas, et celles qui aiment les terrains secs. Je l’écouterais toute la journée. Tenez, voyez-vous, ici? c’est un taillis de deux ans; ce bouleau-là est bon à couper, et ce vergne-là aussi; le vergne est pour le sabotier, et le bouleau pour le boulanger....
— Tout le monde sait ça! interrompit Nachou en haussant les épaules.
— Tu connais le bouleau parce que ton père en achète pour chauffer son four; mais les autres arbres, est-ce que tu sais à quoi ils servent? C’est très intéressant à savoir: n’est-ce pas, vous autres?
— Oui, dit Gerbaud; c’est joli, le bois, on en fait tout ce qu’on veut; je voudrais connaître ceux qui sont tendres, ceux qui sont durs, ceux qui s’enlèvent par éclats.... Ce chêne-là, quel beau bois il donnerait!
— Ce serait bien dommage d’en faire du bois! s’écria Gaunard. Il est si beau, si touffu! on ne voit pas le soleil à travers. Et de ce côté-ci, où ses feuilles ne sont pas encore toutes poussées, il est d’un vert si clair qu’on dirait presque du jaune;... comme c’est joli, à côté du bleu du ciel!
— Il donne trop d’ombre, ton chêne! repartit Janvier: les fleurs ne peuvent pas pousser dessous. Vois, on n’en trouve presque pas, tandis que le taillis et les prés en sont remplis.... Ravinet, qu’est-ce que tu fais là ? est-il possible!
— Je les trie, répondit Ravinet avec un grand calme, sans se troubler de l’air indigné de son camarade. En voilà que je ne connais pas, je vais les emporter pour demander leur nom aux gens qui les connaissent. «
Il rangeait, en effet, ses plantes par petits paquets, recueillant les fleurs des unes, les racines des autres, les feuilles d’une troisième, les, bourgeons ou les jeunes pousses d’une quatrième. Pas une ne restait entière, hormis celles qu’il avait déclaré ne pas connaître.
«Les voilà dans un joli état, tes pauvres fleurs! dit Gaunard.
— Eh bien, je ne voulais pas en faire un bouquet. Cela m’amuse, moi, de savoir leurs noms, et à quoi elles servent!
— Chacun son goût, reprit Janvier. Moi, je les aime mieux sur pied. On ne devrait pas cueillir les fleurs.
— Je crois qu’il faut nous en aller, dit Nachou en se levant: on dîne à sept heures chez M. Magnac et chez M. Tresneau, et on ne nous donnerait plus les enfants si nous les mettions en retard.
— Allons-nous en! soupira Magnac. On était joliment bien ici! «
Au sortir du bois, Gaunard se retourna:
«Regardez donc comme c’est beau, le petit chemin qui s’enfonce sous les arbres, avec le soleil qui brille au bout là-bas!
— Regardez donc, répliqua Nachou, les belles vaches grasses dans la belle herbe verte! Voilà ce qui vaut la peine d’être vu!»
Les sept camarades reprirent le chemin du bourg. Janvier examinait une touffe d’aubépine qu’il venait de cueillir; Magnac flânait çà et là, attrapant des insectes et écoutant les derniers appels des oiseaux; Gerbaud enroulait autour de sa canne une longue tige de liseron, en se disant que cet ornement-là, sculpté en blanc, ferait mieux qu’une simple banderole; et Gaunard se retournait sans cesse pour regarder les grandes ombres dont les peupliers rayaient l’herbe de la prairie.
«Qu’as-tu donc, Tresneau? tu es triste! dit tout à coup Magnac à son camarade.
— J’ai que je pense au lycée.... Toi, ça ne te fait rien d’être enfermé, tu trouves partout à t’amuser. Mais moi, je voudrais bien avoir fini mes études!
— Et puis après, qu’est-ce que tu feras?
— Je ne sais pas;... je veux être dans un endroit où il y ait des arbres, pour sûr.... Si je me faisais garde forestier, comme Serpier?
— Oh! par exemple! Serpier n’a-jamais été au lycée. Moi, je veux vivre dans une grande ville, comme Paris,... mais je reviendrai tous les ans ici, et nous nous verrons. Qu’est-ce que vous ferez, vous, dans ce temps-là ?
— Chacun le métier de notre père, je pense, dit Gerbaud en soupirant.
— Pas moi, dit Gaunard; comme j’ai toujours les prix d’arithmétique, mon père va. m’envoyer à Saint-Philos, chez son parrain, qui est banquier.
— Moi, je ferai n’importe quoi pour gagner de l’argent, dit Ravinet; il y a assez longtemps que ma mère me nourrit.
— Une idée, interrompit Magnac: jurons de nous retrouver ici dans..., dans vingt ans! Ce sera très amusant, de nous raconter ce que nous serons devenus.
— Bah! dit Ravinet, il y en aura qui seront des messieurs, et d’autres....
— Ça n’empêche pas d’avoir du plaisir à se revoir. Dans vingt ans, le 2 mai, à midi, dans Je petit bois: le chêne y sera encore, bien sûr. Ceux qui ne pourront pas venir écriront. C’est dit: topez là !
— C’est dit!» répétèrent les autres en lui frappant dans la main. Un vrai serment du Rütli.