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III

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Il n’y avait pas loin de vingt ans que les sept enfants avaient échangé dans le petit bois un serment quelque peu téméraire; car qui peut savoir où il sera, ce qu’il sera et ce qu’il pourra faire dans vingt ans? M. Magnac, sous-chef de bureau au ministère des finances, passait, un beau jour d’avril, par la rue des Lombards; il l’avait choisie pour sa fraîcheur, car ces premiers soleils d’avril sont cuisants et causent des éternuements sans fin aux imprudents qui s’y exposent. M. Magnac, comme les gens dont la vie se passe à l’ombre, était d’une santé délicate et craignait les brusques changements de température.

Il se rappela tout à coup qu’il était enrhumé, et que sa provision de réglisse était épuisée. Il était bien placé pour la renouveler: il entra chez le premier herboriste, demanda un bâton de jus de réglisse, et pria qu’on le lui coupât en petits morceaux.

Pendant que le commis préparait son bâton de réglisse, M. Magnac regardait autour de lui, et trouvait ce séjour bien sombre: à peine s’il distinguait les festons d’herbes aromatiques qui pendaient de tous côtés, les monceaux de têtes de pavots, les bocaux parés de leurs étiquettes. Il avait la vue un peu basse, et il ne s’apercevait point de l’attention curieuse avec laquelle l’herboriste le regardait. C’était un jeune homme, cet herboriste, à peu près aussi jeune que M. Magnac; il était un peu maigre, un peu pâle, de cette pâleur qu’ont les salades qu’on attache pour les faire blanchir, ou les plantes qui poussent dans une cave; mais il était jeune, et ses yeux très vifs ne quittaient point M. Magnac; par moments même, il entr’ouvrait les lèvres, comme s’il eût voulu lui demander quelque chose.

Le bâton de réglisse était coupé : M. Magnac tira de sa poche une bonbonnière pour l’y mettre. C’était un homme soigneux que M. Magnac, et il conservait celte bonbonnière depuis son enfance.

En la voyant, l’herboriste s’élança hors de son comptoir.

«Je ne me trompais pas! vous êtes bien Magnac,... M. Magnac, de Thirois?

— Oui, j’y ai passé mon enfance, c’est vrai,... mais mon père l’a quitté il y a dix-huit ans, et je n’y suis plus retourné. Et vous, monsieur, vous êtes...?

— Ravinet.... Vous ne vous rappelez pas Ravinet? et le bois où nous avons fait une si fameuse partie? Et Gerbaud, et Nachou, et les autres?»

Il entra chez l’herboriste.


Oh si! Magnac se rappelait; et il avait pris les mains de Ravinet, qu’il serrait en souriant avec un voile entre ses prunelles et les verres de son lorgnon,... si bien qu’il lâcha les mains de Ravinet pour aller à la recherche de son mouchoir.

«Te voilà donc herboriste, mon ami! c’était une vocation! Te rappelles-tu, le jour de cette fameuse partie, comme tu épluchais tes bouquets, au grand scandale de Janvier? Qu’est-ce qu’il est devenu, celui-là ?

— Il est jardinier: il a joliment réussi! Il s’est fait bien venir du jardinier qui soignait les fleurs de Mme Tresneau, et à présent il a un jardin à lui, à Clamart, avec des serres où il cultive des fleurs qu’il envoie à Paris et qu’on lui paye très cher: il est en train de faire fortune. Seulement je ne sais pas comment il s’est arrangé avec son père, qui voulait le garder à la ferme. Nous lui ferons raconter son histoire le mois prochain; car tu y viendras, n’est-ce pas? il y aura vingt ans!

— Ma foi! je n’y pensais plus: mais si tu y vas, j’irai aussi; nous y serons au moins deux. Je vais demander un congé à mon chef.

— Moi, je laisserai la boutique à mon commis, et la maison à ma femme et à ma mère.

— Tu es marié ? Ta mère est ici? Je serai bien aise de la revoir, ta mère: quelles bonnes galettes de blé noir elle nous faisait!

— Ce sera bien de l’honneur pour elle.... Si tu veux entrer, elle est là.... «

La minute d’après, Magnac était assis dans l’arrière-boutique de l’herboriste; il renouvelait connaissance avec la veuve Ravinet, ravie de revoir quelqu’un de Thirois, et il était présenté à Mme Ravinet jeune et à deux petits Ravinet très sages, qui étaient bien peignés et avaient les mains propres. On causa, et les vieux souvenirs ont tant de charme que Magnac ne songeait plus à l’heure de son dîner, quand il vit la veuve se lever pour étendre la nappe blanche sur la table, et que la jeune femme lui dit en rougissant: «Si vous vouliez bien accepter notre simple dîner...».

Un simple dîner de famille!

Magnac le trouva meilleur que ceux de son restaurant. Au dessert, revenant sur le fameux serment des Sept, il interpella tout à coup Ravinet.

«Tu disque nous les retrouverons tous?

— Tous, je ne sais pas; mais Nachou est encore au pays, et Janvier y retourne souvent; M. Tresneau y est toujours notaire, ainsi son fils doit y revenir; je sais qu’on l’a vu il y a quelques années, avec un uniforme, je ne sais plus lequel.

— Je le sais, moi: il est entré à l’École forestière, l’année où j’entrais dans les bureaux. Quand nous étions ensemble au lycée, il ne voulait rien faire. «Puisque je veux être garde

«forestier comme Serpier! me disait-il; on n’a pas besoin de

«latin pour être garde forestier. Je sais bien, moi, que si

«j’apprends le latin et si je me fais recevoir bachelier, papa

«voudra que je sois notaire, et je ne veux pas être notaire: je

«veux vivre dans les bois.» Cela a duré jusqu’au jour où un des grands élèves a été reçu à l’École forestière: naturellement on en a parlé dans toutes les études, et Tresneau a compris qu’on pouvait vivre dans les bois tout en ayant appris le latin. Il a bien travaillé depuis; il est garde général et très content de son sort. Et toi, voyons, ton histoire à toi?

— Mon histoire? J’ai rencontré un jour un monsieur qui cueillait du bouillon-blanc, je l’ai aidé, et je lui ai montré où l’on trouvait d’autres plantes qu’il cherchait. Il m’a fait causer, et m’a demandé si je pouvais lui récolter les plantes dont il avait besoin: c’était un herboriste de Maugrain. Pendant deux ans j’ai travaillé pour lui: j’étais content de gagner quelques sous pour ma mère. Ensuite il m’a pris chez lui comme apprenti; j’ai suivi des cours, j’ai passé des examens, je suis devenu assez habile pour me placer à Paris. Mon bonheur m’attendait là ; j’ai trouvé un bon patron, le meilleur des hommes; il m’a donné sa fille, qui lui était pourtant demandée par de plus riches que moi, et j’ai pu faire venir ma mère....

— Il ne dit pas tout, monsieur, interrompit la jeune Mme Ravinet; il ne dit pas que pendant cinq ans que mon père a été malade, perclus, ne pouvant rien faire, il s’est chargé de tout le travail, ne prenant pas seulement une heure de repos, m’aidant à soigner mon père, nous consolant, nous encourageant,... Si nous n’avons pas été ruinés, si nous ne sommes pas morts de misère et de chagrin, c’est bien à lui que nous le devons.... N’est-ce pas, mère, que c’est vrai? Vous l’avez vu, puisque mon père a encore vécu deux ans après que vous êtes venue demeurer avec nous. Je vous entendais assez, tous les deux, mon père et vous, parler de mon mari: c’était à qui dirait le plus de bien de lui!»

Un simple dîner de famille.


Magnac était tout ému.

«Je lui ai montré où l’on trouvait d’autres plantes.»


«Sur sept que nous étions, dit-il, toi au moins tu as trouvé ta voie et tu es heureux!

— Et vous, monsieur? dit timidement la jeune femme.

— Moi? je n’ai pas tiré grand’chose du petit bois; ce n’est pas faute d’y penser et de le revoir avec sa verdure, son soleil, son herbe verte et ses fraîches fleurs.... Mais on m’a fait entrer au ministère, et je vais à mon bureau tous les jours: c’est monotone, mais c’est utile.... Je n’ai pourtant jamais eu de goût pour la vie renfermée

— Eh bien, moi, je n’éprouve pas du tout le besoin de vivre au grand air. Les plantes ne sentent jamais si bon que quand elles sont cueillies et mises en petits paquets. Voyez cette botte de menthe sauvage et ces guirlandes de houblon: y a-t-il rien de plus réjouissant?»

Magnac se mit à rire et se leva pour prendre congé ; et les deux anciens camarades se promirent d’être fidèles au rendez-vous du 2 mai.

Histoires de tous les jours

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