Читать книгу Histoires de tous les jours - Josephine Colomb - Страница 7
IV
ОглавлениеLe 1er mai suivant, Magnac, sa valise à la main, longeait la file de wagons qui allait partir, cherchant s’il n’apercevait point Ravinet déjà installé dans quelque voiture. Il le vit enfin, et ouvrit la portière pour le rejoindre. Mais il n’était pas seul à le chercher: un grand gaillard leste et solide, avec un teint coloré et un air de bonne humeur, escalada vivement le marchepied derrière lui en s’écriant:
«Enfin je te trouve, mon vieux Ravi net! Comment vas-tu? J’ai cru que j’allais manquer le train; ç’aurait été joli! Et le rendez-vous de demain?
— Il paraît que nous serons au moins trois! répondit en riant Ravinet. Magnac, c’est notre camarade Janvier, dont je te parlais l’autre jour:
— Enchanté de la rencontre! dit Janvier en tendant la main à Magnac. Je t’avais tout à fait perdu de vue; c’est comme Gaunard, dont on n’a plus entendu parler depuis des années.
— Est-ce que le père Gaunard n’est plus à Thirois?
— Non; voilà dix ans qu’il est allé vivre à la ville, en bourgeois. Il n’était pas trop content de son fils, à ce qu’on disait.... Enfin je pense que nous allons savoir de ses nouvelles demain. Le temps est au beau: nous pourrons renouveler le déjeuner sous le chène.
— Oui, mais le menu d’autrefois ne sera peut-être plus de notre goût.
— On en aura un meilleur! J’ai déjà écrit à Nachou pour cela.
— Ah! Nachou a-t-il succédé à son père?
— Non pas, il a succédé au mien.... Cela t’étonne! Voici ce qui est arrivé. Te rappelles-tu comme j’aimais les fleurs? Le jour de notre fameuse partie, le petit Tresneau m’offrait de me faire connaître le jardinier qui venait travailler chez son père. J’acceptai, et, tant que le jardinier fut là, je ne le quittai pas d’une semelle; je le questionnais sans cesse, et je lui demandais la permission de l’aider; si bien qu’il finit par me dire: «Vous n’êtes pas maladroit, vous; vous devriez étudier pour
«être jardinier». Je ne demandais pas mieux; et je fis si bien que, l’année d’après, mon père me laissa partir avec lui comme apprenti. Je lui avais persuadé que cela me serait très utile pour cultiver notre verger et notre potager. Cela alla bien d’abord; mais, quand je fus en âge de faire un bon laboureur, mon père voulut me mettre à la charrue, moi qui trouvais une si bonne place chez un horticulteur de Clamart! C’est alors que Nachou m’a tiré d’affaire. Lui, il ne voyait rien de beau comme l’agriculture; il avait un peu de bien, et ses bras valaient les miens pour le travail. Il a demandé ma sœur en mariage, et mon père n’a point fait une mauvaise affaire en la lui donnant et en le prenant à ma place. Il y a gagné un rude travailleur, et il a pu étendre et améliorer son bien. Moi, un peu plus tard, j’ai acheté le fonds de mon patron qui se retirait, et à présent j’ai les plus belles serres des environs de Paris; vous viendrez les VOIR, n’est-ce pas? J’ai la plus belle collection d’achimènes.... Aimez-vous les orchidées? je vous en montrerai de très curieuses.... Vous aimiez les fleurs autrefois, pas à la manière de Ravinet, pour les éplucher; il était né herboriste, ce garçon-là !
— Comme toi jardinier, répondit Ravinet en riant, et comme Nachou cultivateur.... Ah! il y a Gerbaud;... je ne sais pas ce qu’il est devenu: il ne voulait pas être charron, et le père Gerbaud tenait à lui laisser la boutique et la clientèle.... Finalement, le père a vendu son fonds à un étranger et a quitté le pays, de sorte qu’on n’a plus entendu parler du fils.
— Nous le verrons peut-être demain.
— Pourquoi pas? Il peut bien avoir autant de mémoire que nous.»
Il faisait encore jour quand les trois voyageurs arrivèrent à Thirois; assez jour pour que Nachou, qui était venu attendre son beau-frère à la gare, pût leur montrer avec orgueil sa belle ferme avec ses dépendances. «Il leur fit grâce des terres: il y en avait trop», leur dit-il fièrement. Magnac le regardait, et comparait en lui-même ce grand gaillard, robuste et haut en couleur, avec le pâle Ravinet, qui semblait un peu étourdi par l’air vif de la campagne; et il se disait philosophiquement: «Combien il est heureux que les humains naissent avec des aptitudes et des goûts si différents! de cette façon, il peut y avoir en ce monde du bonheur pour toutes les espèces de gens.» Et, continuant à rêvasser, il se demandait s’il avait suivi sa vocation, et même s’il avait une vocation.... Était-ce bien l’idéal, d’aller s’asseoir dans un fauteuil de bureau tous les jours pendant plusieurs heures? Enfin, se trouvait-il heureux ou malheureux de l’existence qu’il menait?
Il est plus facile de se faire une pareille question que d’y répondre: aussi Magnac remit-il la réponse à une autre fois. D’ailleurs il n’eût pas été poli à lui de s’absorber dans ses réflexions, quand il était entouré d’hôtes si empressés, qui le forçaient d’accepter à dîner, qui refusaient de lui indiquer une auberge, qui l’installaient presque de force dans la belle chambre de la maison, et qui lui témoignaient sincèrement et chaleureusement le plaisir que leur causait sa présence. Il conclut donc provisoirement qu’il était parfaitement heureux ce soir-là, et ne s’occupa plus que de jouir de son bonheur.
L’avantage des besognes quotidiennes qui ne sont pas d’un intérêt passionnant, c’est que, une fois la tâche remplie, honnêtement, consciencieusement remplie, vous reprenez possession de vous-même. La porte se ferme derrière vous: vous voilà libre; allez où vous voudrez, faites ce qu’il vous plaira. Vous pouvez être artiste ou poète, ou simplement flâneur, observateur ou philosophe, au gré de votre fantaisie. Ce jour-là, Magnac, se trouvant hors de son bureau, s’était bien promis de ne rien laisser perdre des petits bonheurs qui pourraient se trouver sur sa route; et vraiment la récolte était abondante. Le voyage lui-même avait été un premier plaisir; et maintenant la fête continuait. Quelle vie large, simple et saine que celle de ces campagnards! Il avait visité les écuries et les étables, admiré les belles vaches reluisantes, les moutons, les beaux coqs empanachés, tout le peuple de la vaste basse-cour; maintenant, après un joyeux et plantureux dîner, il fumait sa cigarette au coin de la grande cheminée où flambait un fagot de genêts, car les soirées étaient encore fraîches. A son côté, le père Janvier fumait sa pipe; Janvier fils et Ravinet leur faisaient vis-à-vis; un grand chien fauve, gravement assis près de Nachou, lui poussait de temps en temps le coude de son museau noir pour quêter une caresse; et le chat, convaincu qu’on avait allumé le feu exprès pour lui, s’était couché en rond dans les cendres, au risque de griller son poil. Au dehors tout était silencieux; Magnac pensa au vacarme de la rue de Rennes et fit la grimace; et puis, se rappelant qu’un vrai philosophe doit se garder de gâter l’heure présente par la pensée des ennuis à venir, il se remit à examiner la grande salle, une vraie salle de ferme, qui n’avait nulle prétention de passer pour un salon. Cette grande table massive, ce vaisselier où les assiettes couchées en rangées régulières montraient les fleurs les plus fantastiques, ce vieux coucou dans sa gaîne de bois peint, pareille au cercueil d’une momie d’Egypte, ces cruches rebondies, ces bassins de cuivre brillant, cette fermière en coiffe blanche et en jupe de droguet rouge et bleu, qui allait et venait, accorte et vive, mettant chaque chose à sa place et souriant à ses hôtes: tout ce tableau d’autrefois le charmait et évoquait dans son esprit tout un monde de souvenirs. Il avait vu ces choses une vingtaine d’années auparavant; il n’y songeait plus, et voilà qu’elles le ressaisissaient, et qu’il se sentait au fond du cœur un vrai campagnard, lui, si Parisien qu’il ne songeait même pas en été à demander un mois de congé pour aller aux bains de mer.
J’ai les plus belles serres des environs de Paris.
Il sentit encore mieux qu’il n’était pas à Paris quand, avant de se coucher, il ouvrit la fenêtre de sa chambre, et que le vent du soir lui apporta des bouffées d’odeurs de menthe et de baume, de thym et de serpolet, et le chant lointain d’un rossignol Tout cela aussi, il l’avait connu jadis; mais il lui semblait en comprendre la beauté pour la première fois.
Le lendemain il s’éveilla dès l’aube: la ferme était agitée comme une ruche dans la saison des fleurs; et il entendit bientôt Janvier qui donnait à sa sœur des conseils sur la manière de soigner des boutures qu’il lui avait apportées. Mais Mme Nachou n’avait pas le temps de l’écouter; elle s’occupait des préparatifs du déjeuner qu’on devait faire dans le petit bois, à midi précis.
«Les autres y seront-ils? demanda Magnac à ses amis, tout en dégustant le lait chaud que lui servit la fermière.
— Qui sait? dit Nachou.
— Pourquoi pas? répliqua Janvier.
— Nous verrons bien!» reprit Ravinet.
Et, en attendant l’heure du rendez-vous, Nachou s’en alla surveiller ses ouvriers, Janvier donna un coup de main au jardin de la ferme, Ravinet s’en alla à la recherche de plantes pour son commerce, et Magnac se dirigea vers la route, tout simplement pour se promener et renouveler connaissance avec les maisons du bourg.