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III
ОглавлениеAprès le long, le pénible voyage, les émigrants sont arrivés à Adélaïde. Là, que de sujets de tristesse et de découragement! Tout est nouveau, le pays, les usages, la langue et les hommes; il faut faire un apprentissage de chaque chose, et se résigner à ne trouver autour de soi que des indifférents. Il y a bien là quelques Français; mais ils ne sont pas tous honnêtes, et Julien est humilié de leurs torts comme si on les lui reprochait. Mais il s’est promis de ne pas se laisser aller à la tristesse; il secoue son chagrin et se met avec ardeur au travail. Tout effort porte en lui sa récompense: Julien sent la paix rentrer dans son cœur; et le soir, quand il arrive au logis clair et propre, où Thérèse l’attend souriante avec les enfants brillants de santé, il remercie Dieu et fait de beaux rèves d’avenir.
Des rêves? pourquoi des rêves? Le travail fécond peut faire de ces rêves une réalité.
Le temps marche: Thérèse travaille, elle aussi. Sur le bateau, les passagers avaient remarqué cette jeune femme si douce, toujours occupée de ses enfants, modeste et discrète, et pourtant toujours prête à rendre service; et quand elle a cherché de l’ouvrage, ses anciens compagnons de route se sont empressés de lui en procurer. Au bout de deux ans, elle a un atelier, des ouvrières et des apprenties; à elle seule, elle gagne de quoi suffire à l’entretien de la famille.
De son côté, Julien n’est pas resté oisif; ses premiers travaux terminés, il a pu devenir, d’ouvrier, patron, et diriger lui-même une entreprise. Quelques années après, il est un des citoyens influents, un des grands industriels de la ville. Il revoit quelquefois M. Smith, qui ne manque jamais de lui répéter:
«Je vous l’avais bien dit, qu’avec de l’activité vous feriez fortune dans ce pays-ci.»
En effet, Julien et Thérèse sont devenus riches; ils n’en sont pas plus fiers, et pourtant ils en auraient le droit, car leur fortune est fille de leur travail. Ils n’ont pas oublié leur pauvreté d’autrefois, et leur main est toujours ouverte pour secourir les pauvres travailleurs. Souvent ils parlent à leurs enfants de la France; ils leur racontent combien c’est un beau pays, et combien ils y ont été malheureux. Marie, grande et belle jeune fille, Jean, écolier laborieux, qui promet de devenir un homme distingué, aiment ces récits, et Marie cherche à retrouver dans ses souvenirs cette patrie qu’elle a quittée si jeune.
«N’y retournerons-nous pas un jour?» demande-t-elle à ses parents.
Oh si! ils y retourneront; ils ne voudraient pas mourir sans avoir revu la France. Ils y ont souffert! eh bien, ils y reviendront heureux. Quelle joie de retrouver d’anciens amis, de leur venir en aide s’ils sont restés pauvres; de dire aux vieux: «Vous avez travaillé, reposez-vous;» et aux jeunes: «Vous voyez où le travail nous a conduits, imitez-nous; vous aurez moins de peine que nous, car nous sommes prêts à vous guider et à vous tracer la route.»
Tels sont les projets de nos émigrants quand ils s’embarquent sur un beau paquebot pour revenir en France. Ce voyage est plus court que le premier, plus gai aussi. C’est à Boulogne qu’on débarque. Lille n’est pas loin. On court au chemin de fer. Thérèse, heureuse et émue, comparant dans son âme le voyage d’autrefois et celui d’aujourd’hui, contemple ses enfants pleins de vigueur, beaux et bons, et remercie Dieu, qui bénit le retour comme il avait béni le départ. Julien regarde le paysage; il semble chercher quelque chose. Tout à coup il appelle sa fille, et, lui montrant au loin un groupe d’arbres et de maisons que domine un clocher pointu:
«Regarde, lui dit-il, voilà où tu es née.»
La jeune fille regarde: elle ne reconnaît pas ce clocher; mais pourtant, que de souvenirs il éveille en elle! Tout ce qu’on lui a raconté de son enfance: la pauvreté de ses parents, leur lutte courageuse contre la misère, les souffrances de tant d’années, les vaillants efforts enfin couronnés de succès; tout cela lui revient à la mémoire en un instant, et elle presse la main de son père, comme pour lui exprimer la reconnaissance qui remplit son cœur. Puis, songeant au présent, au luxe qui l’entoure, à son existence exempte d’inquiétudes, elle comprend, mieux qu’elle ne l’avait fait encore quels sont ses devoirs dans la vie. Que les faibles et les malheureux viennent implorer son appui, sa porte et son cœur ne leur seront pas fermés!