Читать книгу Le Livre de maman - Julie Gouraud - Страница 11
ОглавлениеA LA CAMPAGNE
La campagne ne simplifie pas mes occupations. Je suis avec mes enfants plus que jamais. Yvonne me dérange et me questionne sans cesse. Henri fait collection de tous les insectes qu’il trouve sur son chemin, et les met dans une boîte qu’il porte toujours avec lui. Nous l’appelons le petit naturaliste. Auguste partage les penchants de son frère. J’ai souvent à lutter contre les répugnances que m’inspirent les goûts de mes fils.
Un commencement d’éducation marquera cette année; Henri, qui sait lire depuis longtemps, commence à écrire; il lui tarde de partager avec Yvonne les fonctions de secrétaire de Suzanne, qui donne régulièrement de ses nouvelles à sa vieille mère. Quant à Auguste, il ne connaît même pas ses lettres.
Dernièrement ma petite fille est entrée précipitamment dans ma chambre: «Maman, maman, venez vite regarder par la fenêtre!...»
Je vis alors Auguste montant à l’échelle qu’un couvreur avait négligé d’emporter. Le hardi petit bonhomme avançait tranquillement quoique l’échelle flexible ployât sous ses pieds.
«Maman, il va tomber! il va se tuer!» disait Yvonne en pleurant.
Je la rassurai, quoique je partageasse ses craintes. Je lui dis que le mieux était de garder le silence; qu’un mot, un reproche surtout, pouvait troubler Auguste et lui faire perdre l’équilibre.
Oh! comme le cœur me battait!
Je suivis pendant quelques minutes, qui me parurent bien longues, l’imprudent enfant, et je le vis, arrivé au dernier degré de l’échelle, promener ses regards de tous côtés. Il poussa un petit cri, sans doute pour attirer l’attention; mais ne voyant personne, il descendit avec la même sûreté et le même bonheur, ce qui n’adoucit nullement la punition que lui administra immédiatement son père.
Le grand-père seul était dans l’admiration d’une telle hardiesse. C’était, selon lui, le présage de grandes choses. Peut-être cet enfant prendrait-il une forteresse d’assaut.... ni plus ni moins.
Au reste, la hardiesse d’Auguste tient à son excessive curiosité, non pas à une curiosité vulgaire qui consiste à regarder et à écouter; il veut se rendre compte des choses: il arrache les fleurs de son jardin pour voir comment elles poussent, il découd les bras de la poupée d’Yvonne pour s’assurer de ce qu’il y a dedans.
Cette disposition étant bien dirigée peut le conduire à des études sérieuses.
Hier, on a convoqué tous les ânes du voisinage: nous sommes allés déjeuner dans la forêt. Quelle joie!...
Henri conduisait fièrement la cavalcade; Auguste excitait sa pacifique monture par des cris continuels; Yvonnette, sagement assise sur le dos d’un joli âne noir, faisait partager tous les plaisirs de la promenade à sa poupée.
Mon mari avait consenti à quitter ses livres; lui et moi suivions à cheval; bon papa et bonne maman avaient préféré la voiture, qui renfermait aussi les provisions.
La journée fut superbe, et pas un nuage, pas un accident ne vint troubler notre partie de plaisir.
J’ai voulu mettre de l’ordre dans les études d’Yvonne et d’Henri. Chaque matin je les garde deux heures auprès de moi et nous travaillons. Tous deux aiment la lecture; Henri me ravit par ses réflexions: il écrit, apprend l’histoire sainte et des fables dont il applique la morale assez heureusement.
De quel charme sont ces premières heures d’école! Je voudrais pouvoir en prolonger le cours longtemps encore. Mais il viendra un jour où mes connaissances seront insuffisantes. En attendant, j’use de mes droits: ce cœur et cet esprit de sept ans se forment sous mon influence. Tout le monde le sait et le dit: Les premières leçons d’une mère sont ineffaçables.
Cher enfant! que tu es gentil! quelle intelligence brille dans ton regard! Comme tu t’intéresses à tout ce que te dit ta mère! Quelle merveille que le développement successif des idées dans ces petites têtes blondes!
Restée seule assez tard avec mon mari, l’occasion m’a semblé opportune pour l’engager à jeter les yeux sur mon journal. Nous avons ri et pleuré tour à tour. Alphonse m’a déclaré qu’il place le Livre de maman au-dessus de ses travaux scientifiques. «Continue, ma chère Marie, m’a-t-il dit, jusqu’au moment où l’autorité du père devra succéder à la douce autorité de la mère.»
Nous nous sommes entretenus longtemps de nos chers enfants; Alphonse m’a donné des conseils; il m’a avertie de certains dangers que je n’avais pas entrevus. Puis la question du collège a été mise sur le tapis. Mes garçons n’auront pas de précepteur, c’est absolument décidé. J’ai une entière confiance dans mon mari, et je me soumets.
Juin. Les cerisiers ploient sous les branches chargées de fruits. Les bonshommes de paille n’ont effrayé les moineaux que pendant un seul jour. Auguste a dit au fermier d’être tranquille, qu’il lui promettait de les chasser.
Cette promesse, à laquelle on ne croyait guère, s’est réalisée, au moins pendant un jour.
Auguste avait disparu; nous ne savions que penser, lorsque Suzanne me dit: «Venez le voir, madame!»
Il était recouvert d’une armure de paille, coiffé d’un immense chapeau de papier, s’était posté au haut d’un cerisier, et armé de son fusil qu’il chargeait de noyaux, il tenait les moineaux en respect.
L’idée n’était pas mauvaise; toutefois, nous priâmes notre cher enfant de modérer son zèle, et de ne pas se croire obligé de manger tant de cerises pour se procurer des munitions.
On a donné aux enfants des poissons rouges qui prennent leurs ébats dans un grand bocal. Cette nouveauté les a tous beaucoup intéressés, surtout Auguste. Hier, en nous mettant à table, nos regards ont été attirés par une carafe où se débattait un poisson rouge, Auguste était ravi de son idée. Il voulait surtout boire de l’eau de son poisson. «Puisqu’il y en a dans la rivière, on peut bien boire aussi l’eau de cette carafe-là.»
Ce ne fut pas sans peine que nous parvînmes à faire rentrer le poisson dans sa demeure. La pensée qu’il y était mieux eut seule le pouvoir de convaincre notre espiègle.
Henri dit à merveille la fable du Loup et l’Agneau. Rien n’est plus délicieux à entendre que les inflexions variées de sa voix mélodieuse, et trop souvent peut-être nous nous plaisons à lui faire réciter cette fable. Il y a quelques jours, je fus attirée par une discussion assez vive entre Yvonne et son frère. «Maman, il veut que je fasse le loup, et lui l’agneau. Moi, je ne veux pas être le loup qui est trop méchant!» J’ai donné raison à Yvonne.
Il n’est pas un étranger qui, en voyant Auguste, ne constate sa ressemblance avec moi. Suzanne ayant eu la fantaisie de lui mettre un de mes bonnets, il ne s’en tient pas là. Il joue à maman; prend mon châle et mon chapeau, rend visite à Yvonne, l’accuse d’être trop sévère avec les enfants, et termine généralement la comédie en commandant une galette pour le goûter de Mlle Yvonne, de M. Auguste et de M. Henri.
Septembre. Jusqu’ici nos bons enfants ne se sont guère rendu compte de ce qui se passe autour d’eux. Ils viennent, pour la première fois, d’assister à la distribution du bois que reçoivent chaque année les pauvres du village.
Dès huit heures, ils nous suivaient dans la grande cour du château, où étaient rangés les cotrets.
L’enfant, habitué au bien-être de sa famille, est toujours surpris par le spectacle de la misère. Que de questions: «Maman, ils n’ont donc pas de bois ni d’argent pour en acheter!» — «Maman, leur en donnerez-vous d’autre quand ils n’en auront plus?» Puis le silence se fit.
Les enfants considéraient chaque individu recevant et emportant sa charge. Auguste, toujours prompt à l’action, aurait voulu prendre part à la distribution avec le jardinier. Il l’essaya même au risque d’écorcher ses petites mains.
De retour à la maison, mon cher enfant m’a dit: Maman, ils n’en auront pas assez pour tout l’hiver; voulez-vous nous permettre de ramasser les broussailles du parc et d’en faire des petits fagots qui serviront à allumer les grands?» Yvonne s’est enthousiasmée pour ce projet, et, mon consentement étant donné, on s’est mis à l’œuvre pendant la récréation.
Je veux croire que le bon cœur de mes enfants est pour beaucoup dans l’entreprise qu’ils ont faite, car ils ne passent pas un seul jour sans consacrer la plus grande partie de leurs récréations à ramasser les branches mortes.
La patiente Yvonne réunit les plus petits morceaux de bois avec le même soin qu’elle mettrait à assembler des aiguillées de fil. Henri attache les fagots et Auguste les range symétriquement. Les allées du parc sont parfaitement nettoyées. Yvonne prétend que les grandes dents du râteau de Martin en sont agacées.
Le moindre coup de vent qui dépouille les arbres de leurs branches mortes fait la joie de nos petits bûcherons.
Je ne passerai pas sous silence une histoire arrivée à ce sujet.
Le soleil nous avait invités à la promenade. Nous cherchions les enfants pour les emmener dans la forêt. Ne les trouvant ni aux fagots ni à leurs petits jardins je m’inquiétais, lorsque Suzanne, à moitié fâchée, me dit: «Venez les voir, madame, ils guettent depuis trois jours une grande branche de platane qui n’en finit pas de tomber. Ils se refroidissent, Yvonne a toussé cette nuit. Je ferais bien tomber l’écorce, mais ils ne veulent pas, disant que vous avez défendu de toucher à un arbre. C’est trop d’obéissance.»
J’ai vainement essayé de faire partager à Suzanne mon admiration pour la docilité de mes enfants. La bonne fille ne voyait que l’inconvénient qui pourrait résulter pour eux de ne pas courir et sauter.
Je fus avertir mon mari de ce qui se passait. Alphonse jugea comme moi que le bras d’un père était seul digne d’abattre cette branche; et, quittant aussitôt son travail, il vint solennellement armé d’une gaule, et fit tomber d’un même coup l’écorce et plusieurs branches, à la grande et bruyante joie de nos enfants.
La rose de leurs petits jardins, le bluet des champs, n’ont jamais excité un pareil enthousiasme. En un instant, ce précieux butin fut transformé en trois beaux fagots qui allèrent grossir le tas.
Hier, l’Ami, vieil âne de famille, a été chargé des fagots. Madame bonne maman et Suzanne conduisirent Yvonne et ses frères chez les plus pauvres gens du village. Les petits bûcherons étaient rouges de bonheur; ils disaient tous les trois ensemble: «C’est pour allumer les grands que nous avons fait les petits.»
Ma mère m’a dit, les larmes aux yeux, que c’était positivement la plus grande joie qu’aient éprouvée nos enfants. Suzanne a eu la loyauté d’en convenir.
Je vais entretenir le sentiment de l’aumône dans le cœur de mes bien-aimés. Ils ne recevront d’argent que pour le donner aux pauvres. Alphonse et moi sommes absolument opposés à cette habitude trop répandue, dans les meilleures familles, de faire thésauriser les enfants pour se donner un plaisir, satisfaire un goût. L’argent aussitôt reçu sera dépensé pour secourir la misère.
L’enfant est naturellement disposé à donner, et, s’il n’est pas arrêté dans l’élan de son cœur, sa générosité croîtra. Je me souviens avec tristesse d’une scène dont je fus témoin un jour.
C’était à l’église. Un petit garçon de cinq ans environ était tranquillement assis à côté de sa mère. Il voit venir le prêtre qui quêtait. «Maman, dit-il tout bas, donne-moi un sou.» La mère répondit par un signe négatif. L’enfant garda le silence un instant; puis revenant à la charge avec plus d’assurance: «Tu me dois un sou, maman; donne-le-moi.»
L’Ami, le vieil âne de famille. (Page 46.)
La mère ne répondit pas.
Le bon petit garçon devint triste. Si j’avais osé, je lui aurais offert le sou, objet de ses désirs.