Читать книгу Le Livre de maman - Julie Gouraud - Страница 12
ОглавлениеA PARIS
Novembre. Les plaisirs de la campagne ne nuisent point à ceux de la ville. Nous sommes enchantés d’avoir retrouvé nos petits amis, et de leur raconter toutes les joies de la belle saison. C’est en vain que je lutte contre la nécessité de donner une institutrice à Yvonne. Les obligations de ma position l’exigent.... Alphonse le veut.
Miss Catherine Kennedy réunit toutes les qualités désirables. J’ai annoncé à ma fille l’arrivée de cette estimable personne; j’ai préparé son cœur à l’aimer et à la respecter.
Cette nouvelle a été bien reçue; je n’ai pu me défendre d’une impression de jalousie que j’ai condamnée aussitôt.
La présence de miss Catherine est un grand événement parmi nous; j’entoure l’étrangère de mille soins, afin d’inspirer à mes enfants les sentiments qu’ils doivent avoir pour la personne qui va partager avec moi le soin de leur éducation.
Yvonne considère attentivement sa gouvernante; elle lui sourit et s’est déjà assurée que les histoires seront comptées au nombre des récompenses.
La nouveauté a des charmes pour l’enfance: l’arrangement d’une salle d’étude, le règlement des heures de classe, la promenade en compagnie d’une jeune personne douce et d’un extérieur sympathique, tout cela enchante Yvonne.
Elle m’a déjà déclaré qu’elle aime beaucoup miss Catherine, et qu’elle veut bien travailler pour lui faire plaisir.
Un instant après, ma fille a ajouté :
«Elle doit être bien contente d’avoir une jolie chambre, et tout.
— Assurément, ma fille, ton institutrice apprécie ces choses; mais elles sont insuffisantes pour la consoler de ne plus voir sa mère et ses frères soir et matin. Si sa chambre était plus petite et moins jolie, sa table plus simple que la nôtre, miss Catherine vivait dans sa famille. Elle sortait par tous les temps pour donner des leçons; quelquefois elle rentrait très-fatiguée; mais la présence de sa mère la délassait; de tendres paroles, des attentions comme ta bonne maman a encore pour moi, la réjouissaient.
— Alors, maman, pourquoi n’est-elle pas restée dans sa famille?
— Parce que, chère enfant, son dévouement ne pouvait suffire à tout. Elle est l’aînée, et veut contribuer à l’éducation de deux frères plus jeunes qu’elle.
— Maman, j’aime beaucoup miss Catherine; je serai toujours sage, si je peux; et je vais lui donner des oignons de Jacinthe pour mettre sur sa cheminée. Elle sera contente, n’est-ce pas?
— Certainement.
— Je ne serai jamais institutrice, moi?
— Je n’en sais rien.
— Comment! vous n’en savez rien, maman?
— Ma chérie, j’ai l’espoir que la Providence nous conservera la fortune qu’il lui a plu de nous donner; pourtant rien n’est certain en ce monde. Quand tu seras grande, tu entendras parler de personnes bien plus riches que ton père qui ont été ruinées tout à coup et obligées de travailler; alors ceux qui ne savent rien sont fort à plaindre; car ils sont incapables de se tirer d’affaire. Quand on dit aux enfants qu’une bonne éducation est le premier bienfait de leurs parents, ils ne comprennent pas; il n’y a pourtant rien de plus vrai. Lorsque miss Catherine était petite, que son père, lieutenant-colonel, avait une maison bien meublée, recevait ses amis, se promenait en voiture avec sa famille, personne ne songeait que sa fille serait l’institutrice d’Yvonne.
— Maman, je veux tout savoir. La cuisine aussi. Vous direz à Julienne de ne plus me renvoyer, quand je vais voir ce qu’elle fait.
—.Ceci est une autre affaire, mon enfant. Plus tard, tu deviendras, j’espère, une bonne maîtresse de maison; maintenant, tu commences ton éducation; tu as beaucoup de choses à apprendre avant ce temps-là.
— Pendant combien d’années, maman?
— On s’instruit toujours; mais j’espère que dans huit ans ton éducation sera fort avancée.
— Oh! que je serai vieille!... Ainsi, pendant huit ans de suite je travaillerai! Je saurai tout; et alors, si nous sommes pauvres, je donnerai des leçons, comme miss Catherine.»
Cette conversation intime fut interrompue par la présence de l’institutrice qui venait réclamer son élève. Yvonne lui sauta au cou en disant: «Je vous aime beaucoup; et je veux apprendre tout, tout pour être savante.»
Nous avons échangé un sourire, et je suis restée seule.
Le calme et le contentement règnent dans notre intérieur. Yvonne est vraiment une gentille petite fille. Elle donne du bonheur à sa gouvernante; l’intelligence et le cœur se développent en même temps. Je m’applaudis d’avoir vaincu ma répugnance à partager mon autorité maternelle, disons le mot: d’avoir triomphé d’un sentiment de jalousie qui n’était qu’une petitesse.
Chère miss Catherine, combien je suis touchée de son dévouement! je m’instruis auprès d’elle. Je n’aurais point eu cette patience, cette fermeté qui forment le caractère de mon Yvonne. Je lui ai même cédé, à sa prière, mes droits sur Henri, tout en me réservant de présider de temps à autre cette intéressante petite classe.
Henri va commencer le latin avec son père.
Ma bonne mère est enchantée du parti que j’ai pris. Elle redoutait pour moi la fatigue, me trouvait trop sédentaire, trop raisonnable. Elle veut que j’aille dans le monde, mes toilettes l’occupent. Chère mère! sous ces faiblesses se cache son amour pour moi... et j’obéis.
Miss Catherine a toutes les sympathies de ma mère. Je le comprends: la jeune étrangère lui témoigne un respect, une déférence dont je lui .sais gré. Elle écoute avec patience ses observations quotidiennes. A table, au salon, partout, elle a des attentions pour Madame bonne-maman.
Sans qu’elle me le dise, je vois combien l’intitutrice d’Yvonne est heureuse parmi nous.
Je ne découvre point sur son front de ces nuages qui assombrissent la physionomie d’une personne dans sa position.
Elle ne se sent pas absolument étrangère parmi nous. Le temps amènera l’affection, l’intimité. Elle accepte simplement son rôle, parce que nous savons l’apprécier, l’honorer.
Mon bon père, comme tous les vieillards, aime la jeunesse, et miss Catherine qui joue au whist est à ses yeux une perfection. Il égaye quelquefois nos soirées par son anglais très-incorrect et par des histoires qui sont arrivées pour nous a beaucoup d’éditions, tandis que pour notre nouvelle amie elles sont dans toute leur fraîcheur.
20 Décembre. La joie que me causaient jadis les étrennes est remplacée par celle de mes enfants.
Je connais une femme, d’ailleurs charmante, qui a supprimé chez elle les cadeaux du nouvel an.
Il faut convenir qu’on dépense souvent des sommes folles pour des jouets; n’importe: dans notre famille on se souvient d’avoir été petit et nous sommes tous d’accord pour que le 1er janvier soit un jour de bonheur.
Les conséquences de cette philosophie sont que ma chambre est remplie de surprises qu’il faut dérober aux regards scrutateurs de Mlle Yvonne et de ses frères.
Ils ont ensemble de graves conversations; ils parlent d’abord de ce qu’ils désirent, passent en revue les personnes qui donnent des étrennes et celles qui n’en donnent pas. Suzanne m’a dit qu’ils en rêvent. Les petits espiègles ont la prétention d’avoir tout deviné : nous verrons.
Il y a un autre bonheur que je veux faire connaître à mes enfants: celui de donner. A partir de cette année, ils distribueront les étrennes à nos gens.
Je veux imiter une de mes amies: la veille du jour de l’an, sa chambre est un véritable bazar: poupées, polichinelles, ménages et moutons, le tout destiné à des enfants pauvres auxquels personne ne songe les jours de fête. N’est-ce pas faire une aumône que d’ajouter un petit plaisir au pain quotidien?