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CHAPITRE III

Table des matières

LES CARACTÈRES

Novembre. La neige nous a chassés de nos montagnes, les enfants ont témoigné au départ autant de plaisir qu’ils en avaient éprouvé à l’arrivée; ils s’amusent en ce moment avec les marrons et les noisettes qu’ils ont rapportés. La forêt, la terrasse, la grande avenue, la basse-cour même sont déjà oubliés.

Je ne sais si le séjour de la ville exerce sur moi une fâcheuse influence; mais ce journal qui n’a encore été qu’une agréable distraction, me semble aujourd’hui un travail rempli de difficultés; je veux les surmonter, et d’abord j’étudie les caractères de mes enfants.

Yvonne a du bon sens naturel; elle écoute les observations qu’on lui fait; elle est docile. Ma fille a de la suite, même dans ses jeux. Je ne remarque point en elle les caprices si naturels à l’enfance. Sa première poupée est toujours l’objet de sa tendre affection. Je n’ai pas peur que la mésange rapportée de la campagne soit oubliée. Chaque matin, Yvonne assiste aux soins que Suzanne donne à l’oiseau: la petite n’a pas tort de se croire indispensable au bonheur de la captive.

Nos leçons se prennent régulièrement. Quels sont les défauts d’Yvonne? Je ne les vois pas.... Je les cherche, je les trouverai un jour.

Henri est un gros garçon de bonne humeur, parfois d’une gaieté folle, espiègle, hardi, courageux sans témérité ; il ne résiste pas à une larme, il cherche à lire dans nos yeux si nous sommes contents ou fâchés; sa mémoire est admirable, et son intelligence déjà fort développée.

Notre petit Auguste est d’une vivacité, d’une turbulence qui nous alarme. Il n’a rien des goûts de son frère; les livres et les images qui font le bonheur d’Yvonne et d’Henri lui servent à bourrer son fusil. Il est obstiné, colère; lui seul connaît notre sévérité ; cependant il revient vers nous le cœur plein de tendresse. Ses joujoux sont brisés et détruits en un instant; mais tout animal vivant est l’objet de sa sympathie, voire même les souris, au grand désespoir d’Yvonne qui a hérité de mon horreur pour ces insectes, comme dit Suzanne.

Ce matin, Yvonne est entrée gravement chez moi: son air embarrassé me fit pressentir un aveu pénible. Je ne m’étais pas trompée. Voici la confidence que j’ai reçue:

«Maman, l’autre jour, le premier coup du déjeuner était sonné, et en passant devant votre porte, j’ai ramassé la clef qui était tombée.... avant de la remettre dans la serrure, j’ai regardé par le trou pour m’amuser, en me bouchant un œil. Vous écriviez en riant sur un gros cahier; alors je suis entrée bien vite, espérant que vous alliez me dire ce qui vous amusait; pas du tout! vous avez serré le cahier.... Depuis huit jours, je. viens regarder à la même heure, et je vous vois écrire sur le même cahier.... Hier, vous avez pleuré.

«J’ai raconté cela à ma bonne, et, comme elle ne voulait pas me croire, je lui ai proposé de venir regarder avec moi; elle n’a pas voulu, et m’a dit que j’avais fait une vilaine action et qu’il fallait aller m’en accuser. Elle m’a assuré que vous ne me gronderiez pas, si je vous disais la vérité.

— Suzanne a eu raison. Je ne te gronderai pas; mais, ma fille, que c’est laid d’être curieuse! et que j’ai de peine d’être obligée d’écrire cela sur mon cahier!...»

A ces mots, Yvonne devint pourpre, et son visage se couvrit de larmes.

«Maman, maman! vous allez écrire sur ce cahier que j’ai regardé par le trou de la serrure! Et pourquoi donc?»

Je pris ma petite fille sur mes genoux, et je lui dis en essuyant ses larmes: «J’écris toutes les bonnes et toutes les mauvaises actions de mes enfants afin de mieux connaître leur caractère, et ce moyen, je l’espère, m’aidera à vous bien élever, mes chéris. N’aie pas peur, Yvonne, je vais aussi écrire que tu es venue accuser ta faute.

— Maman, c’est inutile. Vous avez une mémoire excellente: grand-père disait l’autre jour que vous appreniez vos leçons très-vite quand vous aviez mon âge et que vous les récitiez sans manquer un mot.

Je vous ai vue pleurer, maman, nous sommes donc bien méchants!»

Je souris à cette question naïve, et je rassurai Yvonne: les mères ont facilement les larmes aux yeux lorsqu’elles pensent à leurs enfants.

L’émotion étant passée, la petite fille reprit le fil de son discours: «Mère, je voudrais bien savoir ce que vous avez déjà écrit.

— Ce livre ne t’amuserait peut-être pas autant que les lettres de deux poupées.

— Vous faites un livre sur moi, maman?

— Henri et Auguste y figurent aussi.

— Oh! que ce doit être joli! Si vous nous en lisiez un peu ce soir, mère chérie, rien qu’un peu?»

Vainement Yvonne insista-t-elle avec l’art d’une petite fille bien-aimée: je fus inflexible; mais je lui promis qu’un jour viendrait où ce livre serait lu.

Yvonne comprend que ses huit ans lui imposent l’obligation de devenir raisonnable; la pensée d’assister un jour à la lecture de son histoire aura, je crois, une heureuse influence sur sa conduite; mais je crains bien que cette impression ne soit fugitive; trois poupées, un ménage et deux frères l’effaceront certainement peu à peu; et le Livre de maman n’en sera pas moins un jour une surprise.


Le Livre de maman

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