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ОглавлениеLE LIVRE DE MAMAN
Vous étiez encore bien petits, mes chers enfants, Yvonne avait huit ans, Henri entrait dans sa septième année et Auguste avait cinq ans, lorsque nous trouvant à Ems, votre père et moi, nous fîmes connaissance de la comtesse Caroline M...; quoique habitués à faire le charme de la société de Cracovie, cette jeune femme et son mari ne voyaient presque personne aux eaux: circonstance qui amena entre eux et nous des relations intimes.
Une après-midi, votre père et le comte étaient allés jusqu’à Mayence; nous visitâmes seules la forteresse de Marxbourg.
Assises sur un banc, nous contemplions en silence le Rhin sillonné par des barques, la belle route qui borde le fleuve, et les montagnes du Haar, faisant le fond du tableau, lorsque des enfants vinrent dérober quelques chétives pensées au parterre du jardin de la forteresse.
Ils étaient gracieux et polis. Quand ils se furent éloignés, Mme Caroline me parla de ses enfants, absents comme les miens. «J’ai si peur, dit-elle, d’oublier les bons mots et les gentillesses de Casimir, de Léon et de ma petite Ziunia, que je les écris soigneusement; je ne me sépare jamais de mon cahier, car c’est pour moi la plus intéressante des lectures; si vous le voulez, je vous en ferai juge dès ce soir. Et pourquoi ne feriez-vous pas comme moi?»
J’écoutai effectivement avec intérêt ce récit d’un genre nouveau. Les enfants de Mme Caroline ont de l’esprit et un bon cœur.
Tout en leur rendant justice, je pensais à vous, mes chéris, et je me disais que ma mémoire me fournissait mieux encore.
J’étais décidée à suivre l’exemple de la comtesse, lorsque de sérieuses réflexions m’arrêtèrent: «De quelle utilité serait ce journal? N’était-ce pas simplement une œuvre d’amour-propre, une vanité maternelle, une perte de temps?»
Malgré tout, il m’en coûtait beaucoup de renoncer à ce joli travail. Je n’avais qu’à prendre la plume pour écrire des mots, des traits dignes de passer à la postérité dans plusieurs langues!.., Je résistais aux sollicitations de mon cœur, lorsqu’une pensée sérieuse me vint en aide: «Si j’ajoutais aux gentillesses de mes enfants les défauts que j’aperçois déjà, mon journal serait infiniment supérieur à celui de Mme Caroline. Il y aurait avantage et pour mes enfants et pour moi à faire cette étude.»
J’étais ravie! tous les brevets d’invention obtenus jusqu’à ce jour me semblaient puérils.
Dès que je vis la comtesse, je lui développai mon plan; il me tardait d’avoir son approbation. Je ne doutais pas qu’elle aussi ne voulût ajouter quelques ombres à ses gracieux et naïfs tableaux.
Pas du tout: elle accueillit froidement mon projet: «Des défauts, ma chère! mes enfants n’en ont pas; et, s’ils en avaient, je n’aurais certes pas le courage de le constater. Ce livre est un bouquet dont le parfum doit me réjouir chaque fois que je l’ouvre: je n’y veux point d’épines.»
Mme Caroline parlait avec conviction; je me sentais à moitié vaincue, lorsqu’elle ajouta: «Ne gâtons pas notre bonheur! Plus tard, hélas! nos enfance nous causeront des peines qu’il faudra bien endurer.»
Je laissai ses paroles sans réplique: j’étais décidée à écrire l’histoire vraie de mes enfants.
Ne craignez rien: les mères n’ont pas la vue très-longue, et beaucoup d’imperfections leur échapperaient, si Dieu ne les éclairait, ne les aidait à former votre cœur.
Je fis part de mon projet à votre père, qui l’approuva et se plut à me développer toutes les conséquences heureuses que pouvait avoir ce travail. Il me promit son concours et me fournit du papier et des plumes: c’était déjà une manière de collaborer au Livre de maman.
Nous retournâmes en Dauphiné : c’était pendant l’automne; je me mis un matin à mon bureau, et je ne tardai pas à me convaincre que mon projet n’était pas aussi simple à réaliser que je me le figurais.
Après quelques hésitations, après avoir contemplé les montagnes et la vallée, témoins des premières joies que mes enfants ont données à mon cœur, je me recueillis et je commençai.