Читать книгу Le Livre de maman - Julie Gouraud - Страница 9
ОглавлениеPREMIERS CHAGRINS
12 janvier. J’avais bien vu des enfants malades, des mères pâles et tremblantes près d’un berceau, et jamais la pensée ne m’était venue que je passerais par les mêmes impressions.
La maison était parée de fleurs, une réunion élégante remplissait les salons, on dansait; malgré mon titre de mère de famille, je prenais joyeusement part à la fête.
Tout à coup, Suzanne traverse Je salon; mon cœur se serre en la voyant.... je la regarde, et mon regard l’intimide.
«Ce n’est peut-être rien, madame,.... mais Auguste tousse drôlement....» Mon fils avait le croup!...
En un instant la maison est déserte, les lumières sont éteintes.
Un médecin, un père accourt; il nous voit éplorés près de ce berceau:
«Tout n’est pas perdu, madame!»
Quelle angoisse!... Je tenais mon fils dans mes bras; la vue de ma robe de bal m’était odieuse, je la flétrissais à plaisir, j’arrachais la couronne de roses qui ceignait mon front.
Yvonne et Henri, emmenés le lendemain matin chez une amie, ne comprirent rien à ce changement.
Quel silence dans la maison! plus de cris de joie ni de colère; plus de caresses, plus de sourires, pas même une plainte.... la fièvre accablait mon pauvre enfant.
Lorsqu’il fut hors de danger, que d’actions de grâces j’adressai à Dieu!... Combien je le remerciai d’avoir entendu nos prières!
Cependant je tremblais encore! je ne croyais plus au bonheur! Le bonheur!... celui des mères devrait être sans nuages: elles aiment tant leurs enfants!
Ce fut un beau jour que celui du retour de nos petits émigrés: Henri et Yvonne contemplaient leur frère avec un sérieux inaccoutumé.... Ils lui donnèrent tous leurs joujoux pour le consoler d’avoir eu bobo.
Immédiatement Yvonne joua à la poupée malade et célébra sa guérison.
La convalescence fut longue, et nécessita les plus grands soins; j’eus pendant ce temps l’occasion de remarquer bien des attentions de la part d’Henri et d’Yvonne pour le petit malade.
J’ai tant souffert que mon cœur est encore à peine capable de supporter la joie que me cause le rétablissement de mon fils. Je tremble sans cesse; le moindre mouvement qu’il fait me semble une imprudence. La paix est-elle donc pour toujours envolée de mon cœur!...
4 février. La sécurité remplit mon âme!... mes enfants sont en bonne santé, ils s’accordent bien, et la confiance qu’ils ont en nous, nous permet d’étudier leurs moindres penchants.
Ce matin, j’ai posé sur la table du salon une excellente miniature, portrait d’Yvonne fait il y a un an. La petite s’est reconnue et a regardé son image avec complaisance: «Je suis bien jolie, maman! Ça vous fait plaisir, n’est-ce pas?»
Je tenais mon fils dans mes bras. (Page 27.)
J’ai répondu oui négligemment sans lever les yeux; Yvonne s’est éloignée.
Cette vanité d’enfant a éveillé en moi de sérieuses réflexions. Quel prix n’attachent pas les mères à la beauté de leurs filles! Elles trahissent leur admiration de mille manières: serai-je plus raisonnable qu’une autre? Peut-être.... mais comment éviter les flatteries de mon entourage? N’importe. Yvonne vient de m’avertir qu’il est déjà temps de mettre la main à l’œuvre, de commencer son éducation. Je ne partage pas les préjugés qu’ont certaines personnes contre la beauté ; mais il est certain que les femmes belles attachent trop de prix à cet avantage, en parlent avec complaisance, et s’admirent jusque dans leurs enfants.
10 février. La bonne harmonie n’est point troublée ici par la différence des âges. Henri se fait petit pour amuser son frère et sa sœur. Hier a eu lieu une grande dînette dans un ménage donné à Yvonne au jour de l’an. C’était dans ma chambre. Les instincts de la ménagère se montrent déjà chez la petite fille; elle a permis à Auguste de mettre le couvert, comme François le met. Henri a réclamé en vain le rôle de cuisinier; Yvonne se l’était réservé, mais l’honneur de découper une mauviette a pleinement satisfait son ambition.
Cet accord entre les frères et la sœur m’enchante, car les querelles et même les batailles ne cent pas sans exemples entre les meilleurs enfants. Henri et Auguste aiment beaucoup Yvonne; ils en sont fiers. Ses désirs sont presque des ordres pour eux; je cultive ces heureuses dispositions.
L’amour fraternel détruit l’égoïsme en développant la générosité ; il ne perd jamais sa fraîcheur; on se souvient toujours d’avoir été petits ensemble. Les premières joies partagées entre frère et sœur sont ineffaçables; on s’attendrit encore dans la vieillesse aux souvenirs de ces chagrins qui s’évanouissent sous le baiser d’un père ou d’une mère.
J’ai souvent entendu dire qu’il est avantageux pour la famille entière que l’aîné soit un garçon. Ma douce Yvonne me force à penser le contraire. J’aperçois déjà l’heureuse influence qu’elle exerce sur ses frères; ses jeux paisibles calment mon petit Auguste naturellement si bruyant. L’enfant qui aime sa sœur, sacrifie son goût au plaisir d’écouter ses petites histoires; Yvonne le rappelle à l’obéissance, quand elle n’est pas complice de ses étourderies.
Mars. Si j’avais suivi l’exemple de la comtesse Caroline, il ne se trouverait pas tant de lacunes dans mon journal; je reconnais qu’une mère qui s’occupe de sa famille n’a pas le temps de courir à son secrétaire chaque fois que son fils ou sa fille dit une naïveté.
Ces trois bambins m’inspirent des pensées tout autres; mon journal doit surtout m’aider dans l’éducation morale de mes enfants.