Читать книгу Tous les Contes de Léon Tolstoi (151 Contes, fables et nouvelles) - León Tolstoi - Страница 18
XI
ОглавлениеLe filleul passa ainsi encore huit ans; il commençait à s’ennuyer. Une nuit, il arrosa ses charbons, revint dans son ermitage, il déjeuna et se mit à regarder les sentiers par lesquels devait venir le monde. Et ce jour-là, personne ne vint. Le filleul resta seul jusqu’au soir, et se mit à réfléchir sur sa vie. Il se rappela comment le brigand lui avait reproché de ne se nourrir que de sa piété, et qu’il avait promis de tuer deux hommes en plus, pour lui avoir rappelé Dieu. Le filleul resta songeur, et se remémora sa vie passée.
— Ce n’est pas de cette façon, pensa-t-il, que le vieillard m’avait ordonné de vivre. Le vieillard m’a donné une pénitence, et moi j’en retire du pain et de la gloire. Et cela me plaît tant, que je m’ennuie quand le monde ne vient pas chez moi. Et quand les gens viennent, je n’ai qu’une joie: c’est qu’ils vantent ma sainteté. Ce n’est pas ainsi qu’il faut vivre. Je me suis laissé enivrer par les éloges. Je n’ai pas racheté des péchés, mais j’en ai endossé de nouveaux. Je m’en irai dans la forêt, dans un autre endroit, pour que le monde ne me trouve point. Je vivrai seul, à racheter les vieux péchés; et je n’en endosserai pas de nouveaux.
Ainsi pensa le filleul; il prit un petit sac de croûtons, une pioche, et s’en alla de l’ermitage, pour se creuser un réduit dans un endroit désert.
Le filleul marcha avec le petit sac et la pioche et rencontra le brigand. Le filleul prit peur, voulut s’en aller, mais le brigand le rejoignit.
— Où vas-tu? Dit-il.
Le filleul lui dit son projet.
Le brigand s’étonna.
— Mais de quoi vas-tu vivre maintenant, dit-il, quand les gens ne te visiteront plus?
Le filleul n’y avait pas songé auparavant. Mais, quand le brigand l’interrogea, il y songea.
— Mais de ce que Dieu m’enverra, dit-il.
Le brigand ne répondit rien et s’en alla.
— Pourquoi donc, pensait le filleul, ne lui ai-je rien dit de son genre de vie? Peut-être se repentira-t-il maintenant; il semble être plus doux et ne menace pas de me tuer.
Le filleul cria de loin au brigand:
— Et tu dois tout de même te repentir, tu n’éviteras pas la vengeance de Dieu.
Le brigand fit faire volte-face à son cheval, tira un couteau de sa ceinture et le leva sur le filleul. Le filleul prit peur et se cacha dans la forêt.
Le brigand ne voulut pas le poursuivre: il l’injuria et partit.
Le filleul s’établit dans un autre endroit. Il alla le soir arroser les charbons, et il vit qu’un d’eux s’était mis à pousser, et qu’un pommier en était sorti.