Читать книгу Rosa - Élise de Pressensé - Страница 5
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Ce ne fut pas sans une certaine appréhension que Madame Darcy se réveilla le lendemain, en songeant que cette journée devait introduire dans sa maison un hôte nouveau. Résolue cependant à faire contre mauvaise fortune bon cœur et à prendre les choses par leur meilleur côté, elle demanda à Dieu, dans sa prière particulière, de l’aider à remplir ses devoirs envers la petite abandonnée, qui venait chercher auprès d’elle un abri et une protection. A neuf heures, Marthe parut, chaussée de ses gros sabots, armée d’un panier et d’un vaste parapluie, et coiffée du bonnet rond qui encadrait si bien sa bonne figure; elle demanda à sa maîtresse si elle avait des commissions pour la ville.
–Non, répondit celle-ci, mais vous partez de bien bonne heure, Marthe.
–Je n’aurai pas beaucoup de temps de reste quand j’aurai fait mes emplettes, et je ne veux pas risquer de me trouver trop tard au chemin de fer.
Il était près de onze heures quand le bruit d’une voiture qui s’arrêtait devant la maison fit tressaillir Madame Darcy, qui, tout absorbée dans son tricot, avait presque oublié qu’elle se trouvait dans une journée de grands événements.
–Qu’est-ce que ce peut être? se dit-elle, une voiture! et Marthe qui n’est pas à la maison! Quel contre-temps! est-ce que les visites vont commencer aujourd’hui?
Elle se leva promptement, arracha son bonnet de nuit pour se coiffer d’une manière plus convenable, et tout en rajustant son costume d’une main tremblante elle attendait avec effroi le coup de sonnette qui devait annoncer une arrivée.
Au lieu de ce retentissement redoutable un bruit de pas se fit bientôt entendre dans le corridor d’entrée.
–Où faut-il que je mette la malle? disait une voix d’homme à laquelle la voix de Marthe répondit:
–Par ici, il faut la monter. Prenez garde! la porte est étroite et l’escalier rapide. C’est cela!
Quand l’homme fut redescendu, Marthe lui dit d’entrer un instant à la cuisine en ajoutant qu’elle allait venir le payer. Devinant enfin de quoi il s’agissait, Madame Darcy s’était promptement rassise et avait repris son ouvrage comme pour se donner une contenance. La porte s’ouvrit et Marthe entra, tenant par la main une petite fille dont la figure disparaissait sous un grand chapeau de voyage, et qui se serrait contre elle de manière à prouver qu’elles avaient déjà fait bonne connaissance.
–Allez embrasser votre tante, dit Marthe.
La petite fille fit deux pas en avant, puis s’arrêta au milieu de la chambre et fondit en larmes.
–Qu’a-t-elle donc? demanda Madame Darcy que ces larmes mettaient dans une vraie détresse.
–Elle a qu’elle ne nous connaît ni l’une ni l’autre, et que c’est un peu dur pour une pauvre enfant de cet âge de ne voir autour d’elle que de vieux visages qui sont pourtant tout nouveaux, n’est-ce pas, ma petite chérie?
–Oh! je vous connais déjà, et vous n’avez pas du tout un vieux visage, dit l’enfant en reprenant la main de la brave fille.
–Venez vous chauffer près de votre tante. Elle a si froid! ses pauvres petites mains sont glacées.
Rosa s’approcha du feu et mit sa main dans celle de Madame Darcy sans la regarder.
–Quel âge avez-vous, ma chère enfant? demanda celle-ci.
–Neuf ans bientôt, Madame;
–Vous êtes partie hier de Paris?
–Oui, Madame.
–Et votre papa, se portait-il bien?
L’enfant répondit encore affirmativement et recommença à pleurer.
–Je n’aurais pas dû lui parler de son père, pensa la vieille dame en voyant redoubler ses sanglots.
–Votre bonne vous a amenée jusqu’ici?
A cette question Rosa sanglota de plus belle, et au lieu de répondre se mit à crier:
–Ma bonne, je veux la revoir, je veux retourner vers papa! Je ne veux pas rester ici! oh! je ne veux pas rester ici!
–Ne pleurez pas ainsi, ma chère petite, nous aurons bien soin de vous.
–Non, non, criait Rosa en s’éloignant de sa tante qui lui tendait la main pour la rapprocher d’elle; je ne veux pas que personne prenne soin de moi que ma bonne. Je veux la revoir! je veux revoir papa!
Madame Darcy était pétrifiée de tant de violence. Une pareille révolte contre la nécessité et les faits accomplis lui semblait présager chez cette enfant une étrange perversité de nature.
Elle essayait de se faire entendre et lui répétait que tout était pour son bien, et qu’elle ne devait, pas même désirer de retourner auprès de son père puisqu’il était nécessaire qu’elle fût séparée de lui pendant quelques années.
Mais ces sages exhortations ne produisaient aucun effet sur Rosa dont la douleur et l’irritation s’exprimaient en même temps par des torrents de larmes, et par la violence de ses trépignements. De toutes ces bonnes paroles elle ne saisit qu’une seule:
–Quelques années! s’écria-t-elle, cessant tout à coup de pleurer et attachant sur la vieille dame un regard fixe et épouvanté.
Puis comme sa tante ne répondait pas, elle s’assit par terre de l’autre côté de la cheminée, aussi loin d’elle que possible, et cachant son visage dans ses mains elle resta immobile, le corps secoué par des sanglots convulsifs.
Madame Darcy s’était renversée dans son fauteuil pour attendre avec résignation une issue quelconque de cette crise.
–Qu’y a-t-il? dit Marthe en rentrant, que lui est-il arrivé?
Et elle jeta sur sa maîtresse un regard courroucé, comme pour lui demander compte du désespoir de l’enfant.
–Elle ne veut rien écouter de ce que je lui dis pour la consoler, répondit Madame Darcy d’une voix qui exprimait le plus profond découragement.
–Est-ce que je resterai des années sans revoir papa? demanda Rosa en levant sur Marthe des yeux qui interrogeaient avidement les siens.
–Qui est-ce qui parle d’années? occupons-nous des jours qui passent vite quand on sait les remplir. Voici bientôt l’heure du dîner, et nous n’aurons rien fait. Il est temps que nous allions voir votre petite chambre qui est tout près de la mienne, et mettre un peu en ordre vos affaires.
Cette diversion venait à propos. Rosa, qui avait d’ailleurs épuisé son chagrin à force de violence, se leva et suivit Marthe. Celle-ci, en passant devant la cuisine, lui montra la chatte grise couchée dans un panier, qui lui servait de lit, avec deux petits qu’elle avait mis au monde peu de temps auparavant.
–Allez faire connaissance avec Grisette, lui dit-elle. Elle ne vous fera pas de mal. C’est la douceur même.
Oubliant tout à la vue de cette intéressante famille, Rosa s’élança vers le panier, et pendant qu’elle jetait les bases d’une liaison intime avec ses habitants, Marthe rentra un instant dans la chambre de sa maîtresse.
–Ecoutez, Madame, dit-elle, vous n’avez pas l’habitude des enfants. Laissez-moi le soin d’apprivoiser cette petite, ne vous en mêlez pas, vous gâteriez tout. Je vous promets que dans quelques jours elle se trouvera heureuse ici.
–Je n’ai pas l’habitude des enfants, c’est vrai, dit Madame Darcy d’un ton un peu piqué; mais vous, Marthe, l’avez-vous plus que moi? Je ne sais vraiment où vous l’auriez prise?
–Ni moi non plus, mais il y a des personnes, voyez-vous, qui ont le don de leur parler.
Un moment après Madame Darcy eut l’idée d’aller voir comment les choses se passaient. Elle n’était pas encore au bas du petit escalier qu’un bruit de voix, des exclamations et même un joyeux éclat de rire vinrent frapper son oreille.
–Eh bien, disait Marthe, la trouvez-vous jolie, cette petite chambre?
–Oh! oui, je n’ai jamais eu de chambre pour moi toute seule. Je veux la tenir bien en ordre. Il faudra qu’il y ait toujours des fleurs comme à présent. C’est si joli, les fleurs!
–Des fleurs, se dit Madame Darcy, où est-ce que Marthe a pris des fleurs? Ce ne peut pas être au jardin.
Mais lorsqu’elle arriva sur le seuil de la chambre que Marthe avait cédée de si bonne grâce à la nouvelle arrivée, son étonnement fut bien plus grand. Elle ne l’avait jamais vue que sous l’aspect le moins agréable, car, dans un étroit espace, outre le lit, deux chaises, une commode, une grande armoire et une petite table surchargée d’objets de toute espèce, Marthe y avait entassé plusieurs caisses dont elle n’avait pas consenti à se séparer, bien qu’il eût été facile de leur trouver une autre place. Et maintenant c’était une jolie petite chambre, simple, proprette et tout à fait appropriée à l’âge de celle qui devait l’occuper. En face de la cheminée était une commode surmontée d’une petite glace, à côté de la fenêtre une table sur laquelle on voyait un beau rosier tout couvert de fleurs et de boutons. C’était une emplette que Marthe avait faite le matin de sa propre bourse. Elle était, de même que Rosa, fort occupée à défaire la malle et à ranger dans les tiroirs son contenu. Ni l’une ni l’autre ne s’aperçurent de l’arrivée de Madame Darcy.
Lorsque tout fut en ordre, Marthe observa qu’il était temps de songer à son dîner, qui n’aurait pas eu l’obligeance de se faire tout seul.–Heureusement, ajouta-t-elle, que pour aujourd’hui il ne me prendra pas beaucoup de temps. Nous avons de la viande froide et je vais faire de la soupe et une omelette. Voulez-vous me casser mes œufs? je vous mettrai un grand tablier blanc afin que vous ne salissiez pas votre jolie robe de mérinos bleu.
Les yeux de Rosa brillèrent de plaisir à cette proposition, et elle s’élança vers la porte où elle se trouva tout à coup arrêtée par la présence de sa tante. Madame Darcy se pencha vers elle avec bonté, et lui donna un baiser sur le front:
–Je suis bien aise que votre chambre vous plaise, ma chère enfant. Ne pensez-vous pas que vous pourrez être heureuse avec nous, et ne voulez-vous pas tâcher d’être plus raisonnable que vous ne l’étiez en arrivant?
–Oui, Madame, répondit Rosa tout bas et les yeux déjà remplis de larmes, car ces paroles lui rappelaient qu’elle était avec des étrangers.
–Il ne faut plus m’appeler Madame; vous savez que je suis votre tante; appelez-moi ma tante. Ne le voulez-vous pas?
–Oui, ma tante.
Et cette fois l’enfant parlait plus bas encore que la première.
–Eh bien, c’est convenu, et quand vous serez sage, vous serez ma chère petite fille que j’aimerai beaucoup.
Ces paroles d’affection trouvèrent le chemin du cœur de Rosa qui se dressa sur la pointe des pieds et jeta ses bras autour du cou de la vieille dame.
–Je vous aimerai aussi, lui dit-elle.
Madame Darcy se sentit heureuse de ce témoignage spontané, car elle venait de comprendre qu’en aimant elle-même elle trouverait du retour.
L’omelette réussit parfaitement. Rosa avait cassé les œufs; aussi lui parut-elle excellente, et elle prit pour elle tout l’honneur du succès. Les petits chats remplirent une partie de son après-midi, puis elle alla chercher sa tapisserie, et s’asseyant comme une personne très raisonnable à côté du fauteuil de sa tante, elle s’occupa activement de son travail, si attentive, si tranquille, que la bonne dame s’endormit comme cela lui arrivait souvent quand elle était seule.
Rosa la regarda plusieurs fois, et, quand elle fut sûre que sa tante était réellement tombée dans un profond sommeil, elle jeta son ouvrage loin d’elle et se glissa tout doucement hors de la chambre.