Читать книгу Rosa - Élise de Pressensé - Страница 7

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V

Quand Rosa se réveilla le lendemain, sa robe était nettoyée et raccommodée, de même que les autres articles de sa toilette qui avaient été endommagés, et la bonne figure souriante de Marthe lui souhaita le bonjour. Elle avait oublié ses chagrins de la veille et ne se souvenait même plus d’avoir tant pleuré avant de s’endormir. Le soleil brillait, plusieurs boutons de son joli rosier s’étaient épanouis; c’était assez pour lui faire commencer joyeusement sa journée. A neuf ans, il faut peu de chose pour être heureux, ou plutôt, à cet âge, on porte en soi un bonheur facilement troublé, il est vrai, mais aussi vite revenu qu’il s’est vite envolé.

Cette journée fut moins orageuse que la précédente. Rosa se prêta de bonne grâce aux occupations qu’on lui prescrivit. Elle lut à haute voix, fit de la tapisserie et apprit par cœur une petite fable; puis, il faut le dire, certaines douleurs que sa chute lui avait laissées dans tous les membres, faisaient de sa tranquillité un mérite moins volontaire qu’on n’aurait pu le croire. Marthe lui fournit quelques amusements de circonstance, comme d’éplucher son légume et des amandes pour un gâteau. Rosa était heureuse et fière de pouvoir lui rendre de si importants services. L’après-midi, Marthe qui avait quelques commissions à faire à la ville lui offrit de l’accompagner. En entendant cette proposition elle oublia que ses jambes lui faisaient encore un peu mal et courut mettre son chapeau.

–Quel joli chemin! s’écria-t-elle enchantée, en voyant les beaux arbres qui bordaient la route, et quelles belles maisons sur ces collines! Je voudrais pouvoir courir tout le jour dans ces prés. Oh! quelle énorme touffe de violettes! Marthe, voyez donc comme elles sont foncées, et quel délicieux parfum!

Marthe s’arrêta complaisamment pour laisser cueillir jusqu’à la dernière des violettes qui composaient la belle touffe. Elles furent soigneusement entourées de feuilles et formèrent un charmant bouquet que Rosa ne pouvait se lasser d’admirer. On arriva bientôt aux premières maisons de la petite ville. Elle était située sur une colline boisée. De loin, l’aspect en était charmant; mais Rosa, habituée au mouvement d’une grande ville, fut étonnée de trouver les rues désertes et silencieuses.

–Où allons-nous? demanda-t-elle à Marthe, en jetant autour d’elle un regard désappointé.

–Il faut d’abord que nous passions chez l’épicier où j’ai une commande à faire, puis nous ferons quelques emplettes.

Dans la boutique de L’épicier une grosse dame, dont la figure haute en couleurs brillait comme un soleil derrière le comptoir, offrit gracieusement à Rosa quelques dragées. Tout en prenant sur une étagère le bocal qui les contenait, elle se pencha vers Marthe, et lui demanda, assez haut pour être entendue de l’enfant: Qui est cette charmante petite demoiselle?

–C’est une nièce de madame, répondit laconiquement Marthe, qui n’aimait ni la flatterie, ni la curiosité.

–Et d’où vient-elle?

–De Paris.

–De Paris! ah! il n’y a que Paris pour les jolis enfants. Ça vous a une élégance, une grâce dans la tournure! Tous nos enfants paraîtraient des lourdauds à côté de cette petite demoiselle. Servez-vous, mon amour, ne craignez pas d’en prendre autant que cela vous fera plaisir. Oh! qu’elle est donc discrète! Donnez-moi votre main, je vous servirai moi-même.

En disant cela, elle remplit le creux de la main de Rosa de dragées blanches et roses des plus appétissantes. La petite fille regardait Marthe avec inquiétude, car quelque chose lui disait que celle-ci n’était pas contente. Cependant elle remercia poliment la marchande, et l’on sortit de la boutique, non sans que quelques paroles flatteuses eussent encore atteint ses oreilles. Marthe ne fit aucune observation sur ce qui venait de se passer.

Rosa reprit son air naturel, dès qu’elles eurent tourné le coin de la rue et qu’elle ne se sentit plus sous l’inspection du regard admiratif de la grosse dame, restée debout sur le seuil de son magasin.

Elles entrèrent dans une petite rue étroite et sombre, composée de maisons de pauvre apparence. Marthe s’arrêta devant l’une des plus petites et des plus délabrées. Deux marches tout usées conduisaient à un étroit passage où l’on respirait un air humide et lourd. Marthe les descendit. Rosa paraissait peu disposée à la suivre.

–Ne puis-je pas vous attendre ici? demanda-t-elle.

–Non, dit Marthe, je ne veux pas vous laisser seule.

Après avoir traversé ce long corridor, il fallait monter deux étages. Marthe frappa à une petite porte à droite. Une voix lui cria d’entrer. Une vieille femme était assise près de la fenêtre. Elle tourna la tête vers la porte quand elle s’ouvrit; mais ce ne fut que lorsque Marthe l’eut amicalement saluée, qu’elle s’écria:

–Ah! c’est vous, Mademoiselle Marthe. Que le bon Dieu vous bénisse! il y a bien longtemps que nous ne vous avons vue.

–C’est vrai, Catherine, mais il n’y a pas de ma faute. Je serais venue plus tôt si je l’avais pu. Je vous apporte de l’ouvrage, deux paires de bas à faire. Voici le coton et le modèle.

–Tant mieux, car voilà huit jours que je ne fais plus rien, et l’oisiveté est ce que je crains le plus. Elle fait paraître le temps si long!

–D’ailleurs vous avez grand besoin de gagner quelque chose. Mais voilà Jenny qui ne vous laisse manquer de rien.

–Ah! la pauvre petite, elle travaille trop, beaucoup trop pour son âge, c’est ce qui me chagrine.

En disant ces mots, la vieille femme posa sa main sur la tête d’une petite fille, qui, après s’être levée sans mot dire pour avancer des chaises aux deux visiteuses, s’était rassise et avait repris son ouvrage, auquel elle travaillait avec une étonnante assiduité. Elle n’était pas beaucoup plus grande que Rosa; mais sa figure, un peu boursoufflée et d’une pâleur maladive, paraissait beaucoup plus âgée. Rien dans son extérieur ne pouvait plaire au regard. Elle avait des traits grossiers, de petits yeux d’un bleu pâle, des cheveux jaunâtres et rares. Rosa la regarda un moment et détourna les yeux avec une sorte de dégoût. Son cœur avait été trop récemment gonflé de l’orgueil de sa beauté, pour qu’elle vît d’un œil indulgent la laideur d’une autre. Elle ne savait pas combien devant Dieu et pour sa grand’mère aveugle, cette pauvre enfant qu’elle dédaignait était douée d’une beauté supérieure à la sienne.

Si Jenny avait un teint jaune et maladif, c’est qu’à l’âge où d’autres enfants sont entourés à toute heure de tendresse et de sollicitude, elle avait dû pourvoir, non-seulement à sa propre existence, mais aussi à celle de sa grand’mère, la seule parente qui lui restât. Si elle n’avait pas atteint un développement physique proportionné au nombre de ses années, c’est qu’elle avait vécu dans cette petite chambre, privée d’air, de soleil, d’exercice, toujours assise et courbée sur son ouvrage, ne le quittant que pour vaquer aux soins du ménage, quand l’aveugle ne pouvait plus le faire elle-même. Elle faisait de la dentelle, et était devenue si habile qu’elle avait toujours plus de commandes qu’elle n’en pouvait accepter. Rosa regarda un moment, avec étonnement, ses fuseaux si agiles, dont il lui était impossible de suivre les mouvements compliqués et rapides; mais, contre son habitude, elle était saisie d’un accès d’humeur et de silence; elle ne s’approcha pas de la petite ouvrière, et ne lui adressa pas la parole. Elle se sentait mal à l’aise et fut soulagée quand Marthe la prit par la main pour partir.

Ce ne fut que lorsqu’elles se trouvèrent dans la campagne, que Rosa recommença la conversation.

–Qu’il faisait chaud dans cette chambre en plein soleil et avec ce fourneau allumé dans la cheminée, dit l’enfant. J’ai cru que j’y étoufferais. Cette petite fille travaille bien vite; mais elle est horriblement laide avec ses cheveux jaunes.

En parlant ainsi, elle ramenait sur son visage une des belles boucles brunes dont la marchande aux dragées avait vanté l’abondance et les reflets dorés.

Il y eut un moment de silence.

–Cette petite fille, dit enfin Marthe, a déjà treize ans, quoiqu’elle ne soit pas de beaucoup plus grande que vous. Voilà plus de trois ans qu’elle soutient, par son travail, sa pauvre grand’mère aveugle. Non-seulement elle gagne de quoi la faire vivre, mais elle est toute sa consolation. Quand elle a fini sa tâche de la journée, et qu’elle a mis en ordre leur petit ménage, au lieu d’aller se promener pour respirer l’air et se distraire, elle vient s’asseoir auprès d’elle et lui lire dans leur vieille Bible. Sa grand’mère m’a dit bien souvent qu’elle ne savait pas ce qu’elle serait devenue sans elle.

Rosa ne répondit pas, mais sa figure prit une expression sérieuse.

Elle ne regarda, le long du chemin, ni les haies d’aubépine, ni les prés en fleurs. Lorsque Marthe eut rendu compte de ses commissions à sa maîtresse et qu’elle fut dans sa cuisine, occupée des préparatifs du souper, Rosa entra silencieusement et s’assit sur une petite chaise entre la table et la fenêtre.

–Marthe, dit-elle à voix basse, voulez-vous me ramener une autre fois chez la petite fille qui fait de la dentelle?

–Pourquoi donc, Mademoiselle Rosa? vous l’avez trouvée si laide, et vous avez failli étouffer dans cette chambre.

–Oh! Marthe, je suis très honteuse d’avoir parlé ainsi. J’étais si contente de ce que cette grosse dame du magasin avait dit de moi que…

Les larmes lui coupèrent la parole.

–J’ai été bien méchante, je le sais, reprit-elle, au bout d’un moment. Oh! je voudrais la revoir. Elle doit croire que j’ai le cœur si dur.

Touchée de ce repentir, Marthe lui promit qu’elle la conduirait chez Catherine, la première fois qu’elle y retournerait.

La promenade avait un peu retardé le repas du soir; Rosa demanda la permission de mettre le couvert. Comme elle était adroite et intelligente, Marthe y consentit de grand cœur, et la chose se fit sans accident.

–Voilà donc une journée entière passée sans nouveau malheur, se dit la bonne dame Darcy qui avait un certain plaisir à contempler, du fond de son fauteuil, l’activité gracieuse et empressée de sa petite nièce. Je ne m’y attendais certes pas en me levant ce matin.

Rosa

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