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VII

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A la vue de sa chute, Béchard s’enfuit à toutes jambes et alla semer l’alarme dans le village.

Cyprien s’était précipité dans la rivière à la suite de Pierrette, que ses vêtements maintinrent quelques secondes sur l’eau, puis elle disparut. Cyprien plongea plusieurs fois sans succès; à la fin, il la saisit et la ramena sur le bord, et je l’aidai à l’étendre sur le gazon. Elle avait complétement perdu connaissance.

En ce moment, nous entendîmes des gens du village qui arrivaient en courant, et, à leur approche, Cyprien prit la fuite. Par les soins qu’on put lui prodiguer rapidement, Pierrette revint de son évanouissement, mais elle était trop faible pour marcher. On fit un brancard et on la transporta jusqu’au village.

On dut la veiller toute la nuit, car elle n’avait repris connaissance que pour voir bientôt après sa raison s’égarer dans la fièvre et le délire. Elle était au plus mal le lendemain matin, quand M. Gagnepain revint chez lui.

Comment peindre le désespoir du pauvre homme? On ne lui dit pas toute la vérité, et il ne sut jamais qui avait causé l’accident survenu à sa femme et dont on ne pré voyait pas alors toutes les suites.

La maladie en effet fut plus longue qu’on ne pensait; Pierrette resta deux mois au lit, et quand elle se releva, elle était pâle, languissante; une toux opiniâtre brisait sa poitrine, et elle finit par cracher le sang. C’était fait d’elle.

L’été touchait à sa fin, et comme elle ne pouvait marcher et qu’elle voulait profiter des derniers soleils qu’elle devait voir, elle se faisait porter dans un fauteuil et restait dans la cour de longues heures, enveloppée dans un grand châle qui ne laissait apercevoir que son pauvre visage amaigri, ses grands yeux bleus que la maladie avait encore agrandis, ses lèvres pâles et sèches qui trouvaient la force de sourire encore, et ses mains blanches et fluettes. Ah! c’était déchirant à voir!

M. Gagnepain qui avait tout à fait délaissé ses livres et son champ, s’asseyait en face d’elle, il la regardait sans parler, et parfois une larme silencieuse, qu’il s’empressait d’essuyer, glissait le long de sa joue. J’allais aussi, presque tous les jours, m’asseoir près d’elle et lui tenir compagnie, et souvent elle me disait:

–Vous êtes bien bon, M. Alfred! ce n’est pas amusant d’être avec une malade. Vous devriez jouer.

–Non, lui disais-je, je suis bien là.

Un jour que M. Gagnepain nous avait quittés pour un instant et que nous étions restés tous deux dans la cour plus tard que de coutume parce que la soirée était tiède:–Voyez donc! lui dis-j e, il me semble qu’il y a, là-bas, quelqu’un qui nous regarde.

Et je désignai le mur du hangar, au-dessus duquel j’apercevais la tête de Cyprien.

–Laissez-le, dit-elle, je l’ai vu: ne le dérangez pas. Ce n’est pas un méchant homme, il se repent.

Elle alla ainsi, s’affaiblissant d’heure en heure. Il y eut parfois des moments de répit, des jours de mieux où l’on put croire qu’elle s’en tirerait, qu’on la sauverait. Espérances qui devaient bien vite être déçues! Un soir d’automne, la cloche de St-Romain-sur-Isère se mit à tinter mélancoliquement, et elle annonça à tous les habitants du village et des environs que la pauvre Pierrette n’était plus.

Cette enfant dont les malheurs avaient commencé à la naissance, n’avait guère connu dans la vie que la souffrance et l’isolement. Le destin qui l’avait maudite dès le berceau, n’avait pas voulu qu’elle trouvât sa place dans la commune existence; elle l’avait traversée légèrement, et elle s’éteignait à vingt-deux ans, ne laissant de trace sur la terre que le souvenir de ses bontés.

Elle fut enterrée au milieu d’un grand concours de population. Tous les élèves de M. Gagnepain, anciens et nouveaux, se trouvaient à la triste cérémonie. Au moment où l’on descendit la bière dans la fosse, Béchard qui fondait en larmes à côté de moi, fut près de se trouver mal. Au sortir du cimetière, il me prit la main:

–Tu ne le diras jamais, n’est-ce pas? s’écria-t-il en sanglotant. Je suis corrigé; veux-tu être mon ami?

–Oui, lui dis-je, mais ne pleure plus, elle t’avait pardonné.

Il se jeta à mon cou et m’embrassa.

On ne sut pas, pendant quelques jours, ce qu’était devenu Cyprien Rivet; puis, on finit par retrouver son corps dans la rivière, à quelques kilomètres en aval du village: le pauvre garçon s’était fait justice.

Monsieur Gagnepain continua longtemps à tenir école; mais il était bien triste, et il ne racontait plus d’histoire.

Quant à moi, je quittai bientôt après Saint-Romain pour aller au collège, où j’emportai le souvenir de Pierrette qui ne m’a pas quitté depuis.

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