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III

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Le timbre de l’horloge fit entendre neuf heures, et M. Gagnepain se leva.

–Il faut aller se coucher, dit-il.

–Votre lit va vous paraître bien dur, M. Alfred, dit madame Gagnepain.

–Tant mieux! s’écria le maître d’école en riant. Il faut s’habituer à la dure pour faire un bon soldat, et pour repousser les Autrichiens, s’ils revenaient jamais.

Tout en parlant ainsi, il montait l’escalier, sa femme le suivait, une lampe à la main; Béchard et moi fermions le cortège. Arrivés dans une chambre où je vis deux petits lits côte à côte, madame Gagnepain alluma un bout de bougie qu’elle posa sur le bord de la cheminée, et, après nous avoir souhaité une bonne nuit, elle referma la porte. Je l’entendis qui s’éloignait dans le corridor avec M. Gagnepain dont la béquille faisait gémir le plancher. Béchard, resté seul avec moi, éclata de rire.

–Pourquoi riez-vous? lui demandai-je.

–Tu ne vois donc pas comme nous allons nous amuser! On se couche ici comme les poules, et je m’ennuyais tout seul. Il est malheureux que nous n’ayons que ce bout de bougie qui va s’éteindre. Nous serons obligés de causer dans l’ombre. N’importe!… Dépêchons-nous de nous coucher.

Il se déshabilla en un tour de main, se coiffa d’un long bonnet de coton, et se coula sous ses couvertures. Je m’étais déjà glissé dans mon lit, et, un moment après, la bougie s’était consumée et nous étions dans les ténèbres.

–Dors-tu? me dit Béchard.

–Non.

–Eh bien! causons.

–Je le veux bien, mais il vaudrait peut-être mieux dormir, puisque vous devez vous lever à cinq heures.

–D’abord, je ne sais pas pourquoi vous me dites vous, quand je vous tutoie… Mes parents sont aussi riches que les vôtres… Puis, tu sauras que c’est la centième fois au moins que je dois me lever à cinq heures, et que je n’en dors pas moins jusqu’au jour. Demain, M. Gagnepain demandera pourquoi l’on ne m’a pas éveillé, et Pierrette répondra qu’elle l’a oublié.

–Qui ça, Pierrette?

–Madame Gagnepain. C’était son nom quand elle était domestique chez nous.

–Ah!

–Tu ne savais pas cela?

–Non.

–Je parie que tu ne sais pas qu’elle n’a ni père ni mère?

–Comment cela?

–Ah! tu ne comprends pas! dit-il en riant. Eh bien! Pierrette est un enfant trouvé. Elle fut recueillie par l’hospice, où elle est restée jusqu’à l’âge de dix ans. Puis, elle fut placée chez nous, où elle est restée jusqu’à son mariage. Aussi, je sais tous ses secrets.

–Quels secrets?

–Il faut me promettre de n’en parler à personnel?… M. Gagnepain m’en voudrait. Il me déteste déjà bien assez, sachant que je connais des choses sur lui et sur Pierrette… Mais, bonsoir, j’ai sommeil… Je te raconterai cela demain.

–Non, ce soir, dis-je intrigué.

–Eh bien donc, tu sauras que Pierrette, toute pauvre et toute enfant abandonnée qu’elle était, ne manquait pas cependant d’amoureux. Je m’en apercevais bien, moi, quand elle me menait le dimanche à la messe, et que les garçons se tenaient à la porte de l’église pour la voir passer et pour lui sourire. Et même, il y en avait un qui s’appelait Cyprien, et qui était charpentier, et qui, pour se mettre bien avec Pierrette, me fit cadeau d’un petit chariot que j’ai encore, et qui devint son bon ami. Maintenant, il faut te dire que M. Gagnepain. Ah! tu vas rire. Oui, M. Gagnepain, avec ses soixante ans, ses lunettes, ses cheveux ébouriffés et sa béquille, s’était mis en tête, lui aussi, d’être le bon ami de Pierrette. Ah! je voyais bien son manège! Chaque fois qu’il allait à son champ, où il se rend tous les matins en été, il poussait jusque chez nous, et: «–Bonjour, Pierrette! Pierrette, comment allez-vous?»–ça n’en finissait pas. Et il lui apportait des livres pour s’instruire, des livres sérieux, s’il vous plait. comme si une domestique avait besoin d’apprendre! Mais, par exemple, il fut bien attrapé le jour où… Haaa… Je m’endors.

Et Béchard que le sommeil commençait à gagner, étouffa un bâillement.

–Le jour où?… Continue.

—Le jour où il apprit que Pierrette et Cyprien… Haaa.

–Continue donc.

–Il n’en fit rien paraître… «Enchanté! Pierrette, enchanté… c’est un brave garçon… a oui, un brave garçon qui assomme ses amis… Et même, s’il ne s’était pas enfui, les gendarmes. Haaa. Bonsoir!

Et Béchard s’endormit sans en dire plus long.

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