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VI

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Voici ce qui s’était passé:

Après le départ de M. Gagnepain pour Grenoble, Pierrette s’était sentie envahie par une grande tristesse. Elle n’avait que de trop justes raisons d’être soucieuse. En effet, la rumeur publique lui avait appris le retour de Cyprien Rivet au village. Elle ne l’avait pas vu, et elle pensait bien qu’il n’oserait pas se représenter devant elle; mais pourquoi, après plus de deux ans d’absence et lorsque tout le monde commençait à l’oublier, était-il revenu?

Cette nouvelle l’avait jetée dans une grande agitation, et les réflexions qu’elle devait provoquer, s’étaient imposées à elle, durant toute la journée, sans qu’il lui fût possible de s’en débarrasser.

Or, comme il n’est rien de tel que le mouvement et la marche pour secouer les pensées qui vous obsèdent, elle était sortie de chez elle pendant la soirée, et évitant de traverser le village dans la crainte de quelque fâcheuse rencontre, elle s’était dirigée à grands pas vers le champ de M. Gagnepain.

Arrivée là, et se croyant sûre de n’avoir pas été remarquée, elle était allée s’asseoir près de la maisonnette, sur un banc, à l’ombre des acacias. Mais les funestes appréhensions auxquelles cette promenade avait donné un instant de trêve, vinrent l’assaillir sur ce banc plus fortement que jamais. Plus vivement que jamais son imagination surexcitée lui représenta le malheureux Cyprien. Un sentiment mêlé de haine et de pitié pour celui qu’elle avait aimé, le souvenir de son amour et de son ingratitude, se disputaient son cœur. Et, écrasée sous le poids de ces réflexions, elle avait penché la tête et était tombée dans une rèverie profonde.

Tout à coup, un bruit de pas se fit entendre, elle releva le front et elle aperçut, debout devant elle, Cyprien Rivet.

Avant qu’elle eût eu le temps de faire un mouvement, de jeter un cri, il s’était précipité à ses pieds, et du flot de ses larmes il arrosait les genoux de Pierrette.

–O ciel! s’écria-t-elle, est-ce vous, Cyprien?

–Oui, c’est moi, dit-il, me pardonnez-vous?

–Mais malheureux, qu’êtes-vous venu faire?… Comment osez-vous?… Relevez-vous, je vous en prie!

–Je ne me relèverai, je n’oserai vous regarder, Pierrette, que lorsque vous m’aurez pardonné.

–Eh bien! oui, je vous pardonne…

Cyprien se leva, et ses regards, encore humides de larmes, se fixèrent sur la jeune femme avec une tendresse .pleine de timidité. Pierrette put voir sur son visage qui, quoique amaigri et pâle, avait conservé sa beauté, la trace d’un long et profond chagrin. Il y avait dans toute sa personne, dans la fièvre et l’inquiétude de tous ses mouvements, l’indice d’un cœur troublé par le remords et que le souvenir de sa faute accable.

Aux dernières clartés du soleil qui était descendu sous l’horizon, Pierrette vit tout cela dans un seul regard, et elle en fut effrayée.

–Oui, je vous pardonne, répéta-t-elle, mais ne restez pas là. Partez.

–Oh! dit Cyprien d’un ton suppliant, je ne me croirai pas pardonné, si vous me chassez si vite de votre présence, si vous ne me laissez pas vous parler.

–Et que pouvez-vous me dire?

–Rien que vous ne sachiez déjà, que vous n’ayez deviné sans doute; car vous devez bien penser, Pierrette, que ce n’est pas sans raison que je suis revenu au village! Vous devinez bien que, malgré ma fuite, malgré mon abandon, je vous ai toujours aimée, Pierrette! que je vous aime encore plus que jamais!…

–Ne parlez pas ainsi, M. Cyprien! s’écria Pierrette qui s’était levée. Vous savez que je ne puis plus entendre de telles paroles.

–Oui, je le sais, dit-il tristement. Je sais que vous appartenez à un autre. Rassurez-vous, je ne vous parlerai plus de mon amour, mais vous me permettrez bien de vous entretenir de mes chagrins, de mes remords. Vous pouvez vous rasseoir sans crainte: je suis calme, vous le voyez! je ne veux vous dire que ce qu’il vous est permis d’entendre.

Pierrette se rassit, il y eut un moment de silence, puis, malgré sa promesse, Cyprien reprit:

–Hélas! Pierrette, pourquoi m’avez-vous oublié si vite! il n’y avait pas huit jours que j’avais quitté le village, que, plein de regret de vous avoir abandonnée, je revenais me jeter à vos pieds… Et j’appris que vous alliez épouser M. Gagnepain, que les bans étaient publiés! Ah! je crus devenir fou! je voulus me tuer! Que de larmes j’ai versées!

–Et moi aussi, dit Pierrette, j’ai pleuré quand vous m’avez quittée.

–Vous n’avez donc épousé l’autre que par dépit?

–Non, dit-elle, M. Gagnepain avait toujours été bon pour moi, il l’a toujours été depuis. Il n’y a que lui qui ne m’ait jamais fait souffrir, dont le dévouement ne m’ait jamais fait défaut.

–Vous ne l’avez donc épousé que par reconnaissance? Vous m’aimez encore, Pierrette??

–Taisez-vous! s’écria-t-elle en se dressant à demi, je ne dois pas entendre ces paroles.

–Soit, dit-il. Je ne vous parlerai que de moi et de mes malheurs. Ah! depuis deux ans que je vous ai quittée, j’ai mené une vie bien misérable. Quand je fus bien certain que vous en aviez épousé un autre, j’allai le plus loin possible, pensant que l’éloignement affaiblirait votre souvenir. J’ai essayé de tous les moyens pour vous oublier, et rien ne m’a réussi. J’ai habité de grandes villes où les plaisirs s’offraient à moi en foule; mais tous les plaisirs me paraissaient tristes. Mon seul bonheur loin de vous, –si cela peut s’appeler du bonheur!–était de m’enfermer chez moi, et là, de me rappeler tous les instants que nous avions passés ensemble, et nos rendez-vous, et nos entretiens, et le son de votre voix, et les moindres paroles que nous avions échangées, et le geste et le regard qui les accompagnaient. J’avais tout noté dans ma mémoire, je n’avais rien oublié, ni le jour ni l’heure, ni le lieu; je voyais l’endroit du chemin où nous nous rencontrions, le détour de la route où nous nous quittions, je me souvenais de la couleur de votre robe et des arbres qui nous entouraient, et de l’herbe que nous foulions aux pieds, et de vos sourires, et, grand Dieu! de vos baisers!… Vous ne vous en êtes jamais souvenue, Pierrette?

— Si, dit-elle, quelquefois… Mais ces souvenirs sont coupables, et je les repoussais, s’empressa-t-elle d’ajouter.

–Moi, je m’y complaisais, mais j’en sortais accablé de tristesse, le cœur brisé, et je me désespérais qu’il n’y eût plus de remède à tant de maux. A mesure que les jours s’écoulaient, mon désespoir, loin de s’effacer, augmentait, je sentis que j’allais mourir… Oui, mourir, Pierrette! regardez-moi, je suis bien changé, je suis méconnaissable… Et je voulus, avant de mourir, vous revoir. Voilà pourquoi je suis revenu.

–Vous avez bien souffert! ne put s’empêcher de dire Pierrette qui, à ces dernières paroles, avait porté la main à ses yeux.

–Ah! vous m’aimez encore! s’écria Cyprien qui saisit vivement sa main et qui vit ses larmes; vous m’aimez encore, avouez-le!

–Laissez-moi, s’écria-t-elle en dégageant vivement ses mains, ne me touchez pas, ne me parlez plus. Vous manquez à votre parole! Je vous en prie, quittez-moi.

–Non, reprit Cyprien, avec une énergie passionnée, pas avant que vous ne m’ayez avoué que vous m’aimez encore!

–Je ne puis pas vous le dire.

–Mais si c’est la vérité?

–Laissez-moi, Cyprien, je vous en supplie!

–Et que craignez-vous, Pierrette? nous sommes seuls… Voyez! la nuit est venue et nous cache dans ses ombres… C’est à pareille heure autrefois que nous nous donnions rendez-vous, et combien nous étions heureux! Oui, vous étiez heureuse, Pierrette! heureuse de m’aimer et d’être aimée de moi! Je ne vous demande aujourd’hui que les faveurs que vous m’accordiez alors; vous ne pouvez me les refuser, et nul d’ailleurs ne le saura…

–Ah! vous m’effrayez, laissez-moi!… Au nom du ciel, partez!

–Non, je ne puis partir! s’écria Cyprien, que la passion égarait par degré, je vous aime trop! et je sens, et je suis sûr que vous m’aimez encore! Ah! je me fais violence pour me contenir, et vous ne m’en savez nul gré. Je ne vous demande que ce que vous pouvez me donner, que ce que vous m’accordiez autrefois… Rien qu’un baiser, Pierrette, et je vous jure que je partirai!

A ces mots, Pierrette s’était levée, elle s’éloigna de quelques pas; elle sentait qu’elle allait faiblir, s’abandonner peut-être, et elle fit appel à sa raison, à son courage, à sa vertu.

–Non, s’écria-t-elle, je ne vous accorderai rien! C’est mal de me parler ainsi. Partez, M. Cyprien.

–Eh bien! je ne m’en irai pas, s’écria Cyprien à qui: la colère et le délire de la passion firent perdre toute retenue… et ce que vous ne me donnez pas, je le prendrai de force!

Et il fit un pas vers la jeune femme qui recula encore..

–Est-ce possible? s’écria-t-elle en tremblant. Vous abuseriez?… C’est de la démence…

–Non, dit-il, je vous aime, voilà tout!…

Et il marchait touj ours. Alors, Pierrette devint folle de terreur et de honte. Elle recula plus vivement à mesure que Cyprien avançait plus vite. Puis, se voyant perdue, elle se mit à courir, traversa rapidement le jardin, poursuivie par Cyprien dont elle entendait les pas derrière elle, dont elle sentait déjà les bras prêts à la saisir; elle fit quelques tours sans savoir où elle allait, puis la porte du jardin se trouva devant elle, elle l’ouvrit, franchit la route, vit la rivière, et, égarée et folle, s’y jeta.

Romans dauphinois

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