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J'avais dix-neuf ans; je venais d'être reçu bachelier. J'étais hésitant au seuil du monde. Rien ne m'y appelait; rien ne m'en détournait. La société que mon père fréquentait, sans s'épurer, avait vieilli, et j'avais ainsi deux raisons, au lieu d'une, pour ne point la rechercher.

Mes camarades allaient à leur ambition, à leurs affaires, à leurs plaisirs. Moi, je n'avais pas de but, et je n'osais prendre pour un appel de la vie ecclésiastique cet ennui qui m'enchaînait devant la vie grande ouverte, et m'effrayait, quand je voulais la contempler.

J'étais resté en correspondance avec mon maître, l'abbé Cabirand. Il me donnait d'excellents conseils; mais il était plutôt guidé par l'instinct droit de son cœur que par l'expérience. Loin de m'encourager à embrasser la même carrière que lui, il me répétait que mon nom, ma fortune m'obligeaient à un rôle actif. Je servirais mieux l'Église, en restant chrétien dans le monde. Ces raisons-là ne répondaient à aucune des inquiétudes de mon esprit; mais je les acceptais, par le besoin que j'avais de me soumettre à un avis.

Il me restait assez de fortune pour être indépendant et pour choisir librement un état. Lequel prendre? Je me fis inscrire à l'école de droit; mais je suivis les cours du collège de France. Parler, instruire, du haut d'une tribune, répandre sur une foule ce que je sentais bouillonner en moi, c'était la seule chose qui me parût tentante…

Je griffonnais toujours des vers; j'essayais de la prose; je ne redoutais plus les indiscrétions de mes camarades; mais cette sécurité ne suppléait pas à mon peu de talent.

Je me disposais à voyager, quand, soudainement, dans cette brume, je crus voir une étoile. Je rencontrai ma muse.

M. le duc de Thorvilliers, le père du duc actuel, un peu parent de ma mère, m'avait été donné comme tuteur.

Il ne prit guère au sérieux une tutelle qui s'exerçait, si tard pour lui qui était vieux et goutteux, si tard pour moi, qui étais en âge d'être émancipé.

J'aurais pu réclamer cette émancipation. Je la méritais. A quoi bon? J'avais plutôt peur qu'envie de cette nouvelle indépendance, succédant à celle que l'insouciance paternelle m'avait laissée.

Par politesse, pour aider à l'effusion de cette paternité passagère, gracieusement acceptée, je devins un convive régulier du duc, et l'ami de son fils.

Gaston de Thorvilliers avait été élevé chez son père. Je ne l'avais rencontré que rarement. C'était alors un beau jeune homme, au regard rayonnant, aux joues pleines et roses, aux cheveux noirs, épais, faciles à boucler, à la prestance fière, un de ceux qui naissent et vivent cambrés, busqués.

N'ayant jamais eu besoin de se soumettre à un règlement, à une discipline, à un pauvre devenu un maître, de compter avec des condisciples plus forts ou plus habiles que lui; n'ayant subi aucun contact qui eût émoussé son caractère; n'ayant pas eu de rivaux qui stimulassent son goût capricieux pour l'étude, il était resté, et avait fleuri dans toute la candeur de sa force, de son orgueil d'être beau et d'être riche, dans toute l'ingénuité d'une ignorance vernie.

Il riait de tous et de toutes choses. Il se croyait bon, parce qu'il n'avait jamais été tenté d'être méchant, et parce qu'il était gai. Il ne doutait pas de son esprit, réel, mais intermittent, parce qu'il avait la moquerie facile; sa verve l'éblouissait tout le premier.

Je fus charmé de cet appétit universel des sens, et de cette bonne humeur de la conscience; secrètement même j'en fus jaloux. Je me comparais et je me sentais moins homme, moins gentilhomme. J'avais le même âge. J'avais droit, sinon aux mêmes prétentions de fortune, du moins à la même fierté pour ma race. J'avais, de plus, le sentiment de mes succès universitaires, la conscience d'une valeur morale qui pouvait s'épanouir avec éclat. Si j'étais froid en apparence; si l'épiderme plus épais laissait moins venir à fleur de peau le sang qui fleurissait les joues de Gaston, j'avais peut-être un brasier plus ardent au cœur.

Pourquoi n'étais-je pas comme lui? Pourquoi, en m'habillant de même, gardais-je avec mes vêtements pareils, une sorte d'allure ecclésiastique dont il me raillait avec bienveillance, pour que je devinsse un compagnon tout à fait digne de lui et de mon nom?

Gaston n'attendit pas une intimité, qui s'affirma bien vite par le tutoiement échangé sans résistance, pour me demander des confidences, pour m'en faire.

Il parut fort surpris qu'à dix-neuf ans, je n'eusse pas de maîtresse. Il m'offrit de m'en désigner une, à prendre dans le monde. C'était si facile! Il ne comprenait pas qu'une femme bien née pût se défendre longtemps contre des beaux cavaliers de notre espèce. Quant aux maîtresses qu'on entretient et qui sont de luxe, comme l'écurie, il les prévoyait dans son budget; mais ne les admettait pas encore, par coquetterie de mondain, peut-être bien par économie; lui qui aimait tout, il aimait aussi beaucoup l'argent.

J'aurais peut-être été corrompu par ce mauvais sujet naïf dont les vices embaumaient, si je n'avais rencontré celle qui a disposé de toute ma vie.

C'était à une vente de charité, dans le faubourg Saint-Germain. J'y étais allé par déférence pour des invitations reçues; Gaston m'accompagnait, surtout pour voir des marquises et des duchesses, bourgeoisement installées devant des comptoirs. Cela lui semblait un travestissement piquant.

Nous avions parcouru divers salons et fait quelques emplettes de politesse, nous sortions, quand, à la porte d'entrée, comme un dernier piège, je vis une jeune fille, debout, à côté d'un guéridon sur lequel s'amoncelaient des roses…

Je ne me permettrai aucune comparaison poétique; je n'aurai recours à aucun agrément littéraire, pour raconter mon impression souveraine, ineffaçable, éternelle.

Tout ce qui s'est passé depuis, le drame, le deuil, la honte, le supplice de ma vie, disparaissent, quand j'évoque cette vision. Mon cœur recommence à battre, comme il a battu dans cet instant qui a embrasé tout mon être. Je ressens quelque chose de foudroyant et d'ineffable qui me mord la poitrine, qui me met un éclair au cerveau, et qui infiltre dans mes veines une langueur accablante.

Je dus pâlir. Je me souviens que je m'appuyai fortement au bras de

Gaston de Thorvilliers.

Elle était grande, mince, mais admirablement faite, avec des cheveux noirs, en bandeaux légèrement renflés, au-dessus d'un front correct, blanc, uni, qui rayonnait d'innocence simple, fière, hardie. Les yeux étaient noirs; ils cherchaient le regard, plus qu'ils ne l'attiraient; ils avaient une lumière paisible, intense, qui vivait de son foyer et ne s'attisait d'aucune coquetterie, ayant le charme suprême. Le sourire de sa bouche étonnait. On eût dit que la vendeuse de roses avait mangé une de ses fleurs, en gardant une feuille serrée et retroussée entre ses dents…

Mais voilà que je la décris et que je me complais dans cette évocation!

Je la vis, je l'aimai, et ce fut tout.

Avec une grâce sans minauderie, avec une hardiesse d'ingénue qui se sait comprise d'avance, et qui n'a pas de précautions à prendre, elle fit un pas vers moi, m'offrit une rose et me dit:

—Pour les pauvres!

Je pris la fleur, je saluai, je me prosternai en intention, et me tenant toujours au bras de Gaston, je voulus l'entraîner; je ne voulais pas contempler cette apparition.

—Eh bien! tu ne paies pas? me dit Gaston, en riant.

C'était vrai. Je ne songeais pas que cette fleur dût être payée.

La jeune fille, à peine étonnée, souriait. Je tirai un louis; je le déposai dans la main blanche qu'on me tendait, au nom des pauvres et je balbutiai un mot d'excuse.

Gaston riait toujours.

—Bonjour, Reine, dit-il familièrement à ma vision.

Je fus choqué, comme je l'aurais été depuis, quand je fus prêtre, si un sacrilège m'avait arraché des mains l'hostie que j'allais consacrer. Je me retournai vers mon ami.

—Bonjour, Gaston, répondit mademoiselle Reine d'une voix mélodieuse que j'entends encore, que j'entendrai toujours.

Ils se mirent à causer de choses simples, de la recette que la jeune fille avait faite comme marchande, de celle qu'elle espérait encore. Ils s'étaient pris, serré, et abandonné les mains. J'écoutais avidement.

Je crois que j'aurais poussé un cri de fureur et de haine, si le moindre mot, non de galanterie, mais seulement de politesse affectueuse eût été prononcé entre Gaston et la jeune fille. Ils se parlaient en camarades, presque en bons garçons.

—Tu ne m'achètes rien? demanda-t-elle.

—Tu ne vends pas de cigares? répliqua Gaston.

—Si tu veux, j'en emprunterai à la boutique de madame de

Ville-sur-Terre. C'est cinq louis le paquet.

—Merci, j'aime mieux une rose.

—Tiens! en voilà deux.

—Combien?

—Cinq louis, comme le paquet de cigares.

—Pourquoi me les fais-tu payer plus cher, à moi qu'à lui?

—Parce que tu marchandes.

—Je ne marchande pas; je proteste.

—Gros avare!

—Je ne suis pas avare; je ne veux pas être dupe.

La jeune fille n'insista pas; un mouvement de tête, légèrement hautain et dédaigneux, exprima sa pensée.

Gaston était sensible au reproche.

—Tu vois comme ces dames nous exploitent! me dit-il assez niaisement.

Il s'exécuta toutefois et tira de son portefeuille en cuir de Russie un billet de cent francs qu'il agita triomphalement dans ses doigts.

La jeune fille enleva prestement l'offrande pour empêcher l'avaricieux de se raviser, et d'une voix moqueuse, qui érailla comme d'une pointe de diamant le cristal derrière lequel elle m'était apparue:

—Ah! si l'on ne t'exploite jamais autrement!…

Je regardai alors fixement mademoiselle Reine, croyant que j'allais la trouver moins belle. Ses yeux noirs s'étaient illuminés de malice. Je ne cessai pas de la trouver adorable; mais je souffris de la soupçonner maligne. Cette plaisanterie, dont je m'exagérai l'importance, me paraissait une déchéance; l'ange était une demoiselle mondaine habile à la réplique. Elle n'avait ni pâli, ni rougi. Elle avait dit cela, tout uniment, en remettant de l'ordre dans son joli étalage, en passant ses doigts effilés sur les roses qu'elle redressait et qu'elle faisait refleurir.

—Je me plaindrai à ta grand'mère! riposta Gaston du ton d'un écolier.

—Plains-toi tout de suite… Tu entends! bonne maman.

Elle se haussa, se pencha par-dessus ses roses, et je vis alors que derrière le guéridon une dame, très âgée, était assise sur une chaise basse, gardant la jolie marchande. Elle se leva, s'approcha; et sa vieille tête ridée, mais dont chaque pli était comme la marque d'un sourire, enveloppée de mèches grises, apparut, ainsi qu'un hiver doux et badin, au-dessus de cette jonchée de printemps.

Gaston s'inclina avec courtoisie:

—Vous allez bien, marquise? Excusez-moi de ne pas vous avoir devinée, derrière ces fleurs de vos jardins.

—Je vais aussi bien que vous, mauvais sujet. Qu'avez-vous à dire contre ma petite-fille?

—Qu'elle se moque toujours du monde.

—C'est son droit.

—Dans une vente de charité, ce n'est pas son devoir.

—Avec vous? Si, vraiment!

—Ah! marquise, elle est bien votre petite-fille! Mais nous verrons, quand elle sera ma femme!

La grand'mère et la jeune fille partirent ensemble du même éclat de rire, qui me rassura.

La note ailée, aérienne, d'une moquerie innocente, palpitait sur les lèvres roses; la note basse, chevrotante, frissonna gaiement sur les lèvres décolorées de la douairière.

—Toi, mon mari? s'écria mademoiselle Reine.

—Je l'ai été!

—Oh! il y a si longtemps de cela! Tu étais encore en robe, et l'on me portait!

—C'est égal, c'est un titre.

—Il est avec mes vieux joujoux.

—Avisez-vous donc de me la demander! dit à son tour la marquise.

—Ne m'en défiez pas.

Malgré son ton inoffensif, ce verbiage commençait à me déplaire.

Reine, au lieu de continuer cette dispute, se tourna vers moi et me prenant à témoin, avec une moue de grande enfant.

—Quel fou!

—Ah! si tu me calomnies auprès de mon ami, dit Gaston en plantant les roses dans sa boutonnière, je me fâcherai!

Puis, se souvenant qu'il ne m'avait pas présenté, il répara son oubli, et gracieusement, avec une sorte de solennité, jouée et enjouée:

—Madame la marquise, je vous présente M. Louis d'Altenbourg, le pupille de mon père. Mademoiselle Reine de Chavanges, je vous présente mon frère, votre futur beau-frère.

Je m'inclinai. Mademoiselle de Chavanges, tout en me faisant la révérence, dit à Gaston, d'un air plus sérieux et d'un ton plus net:

—Mon cher, tu en veux trop pour ton argent. Moi, ta femme! j'aimerais mieux vendre des roses, pour deux sous, dans Paris.

Gaston était, après tout, un jeune homme du monde. Il n'était sot que par une sorte de débraillé de son esprit. Il comprit que la plaisanterie avait assez duré. D'un geste vague il indiqua qu'il n'insistait plus et que la taquinerie était remise à une autre rencontre.

Pendant ce temps-là, la marquise me disait avec une nuance de mélancolie, un peu banale:

—J'ai beaucoup connu votre père. C'était un homme charmant! Vous lui ressemblez…

Le compliment, dans un autre moment, m'eût choqué. Par quel éveil de fatuité honteuse et sournoise me donna-t-il de l'orgueil?

Je crus que mademoiselle Reine, redevenant sérieuse, me regardait cependant avec indulgence.

La marquise ajouta en continuant de me regarder:

—Oui, oui, vous ressemblez fort à votre père. Je n'ai pas connu votre mère.

Elle prit sa petite-fille à témoin:

Reinette, voilà un orphelin comme toi; mais il n'a pas, comme toi, une grand'maman qui vit par miracle, pour l'aimer, et pour ne pas le laisser seul.

Elle joua l'attendrissement; c'est-à-dire qu'elle fit claquer ses lèvres comme pour avaler un soupir, et que sa voix avait eu un trémolo discret.

Reine ouvrit tout grands ses yeux noirs, et m'enveloppa d'un regard profond, curieux, sans émotion apparente.

Je me sentis brûlé par ce regard froid au dehors.

Cette conversation courte, subitement tournée au grave, me paraissait aussi étrange que quand elle était gaie. On avait plaisanté avec étourderie sur les fiançailles enfantines de Gaston et de mademoiselle Reine. Voilà que tout à coup, à première vue, la marquise de Chavanges avait l'air de vouloir me fiancer à sa petite-fille, moi qu'elle n'avait jamais vu, qui passais!

J'avais le cœur gonflé. Mademoiselle Reine me regardait toujours. Elle avait pris une rose et, machinalement, par la tige, la faisait tourner entre ses doigts. Si elle me l'avait offerte, j'aurais cru qu'elle m'acceptait pour mari.

Je remerciai la marquise. Je promis d'aller la voir. Pendant que je la saluais, mademoiselle Reine, elle, fermait à demi les yeux, pour continuer à m'observer, avec attention, sans baisser son regard.

Je ne sais trop ce que dit Gaston. Je remarquai seulement qu'il ne donna pas la main à mademoiselle Reine. Celle-ci, d'ailleurs, avait les deux mains occupées par la rose qu'elle faisait tourner. Ils se dirent adieu avec un petit rire de camarades qui ne m'offensa plus, et nous partîmes…

La confession d'un abbé

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