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II

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Une après-midi que M. de Lansac dessinait, Louis parut portant une lettre sur un plateau.

–Pose ça là, dit le colonel, occupé à prendre une mesure.

Louis fit glisser la lettre sur la table; puis, sa large face épanouie par un sourire, il se retira en disant:

–Ça sent joliment bon!

M. de Lansac continua son travail. Peu à peu, un doux parfum caressa son odorat et monta jusqu’à son cerveau. Il regarda la lettre et lâcha son compas pour la saisir. La suscription était d’une écriture longue, rapide, un peu étrange.

–Qu’est-ce que cela? se dit le colonel en rompant l’enveloppe.

Il en tira une carte d’invitation pour la soirée que devaient donner, le24courant, M. et Mme de Lesrel.

Le colonel tourna et retourna la carte.

–Qui me vaut cet honneur? se demanda-t-il. Ah! j’y suis, ce fou de Mauret, sans doute.

Cette énigme résolue, M. de Lansac jeta la carte dans une coupe placée sur la cheminée, roula une cigarette et reprit ses calculs. Mais, à travers l’âcre fumée du tabac, le suave parfum lui arrivait par bouffées. Il reprit soudain la carte, la sentit, réfléchit, et cela à plusieurs reprises; doux, pénétrant, le parfum qui s’en dégageait était difficile à définir.

–Roses et violettes, dit-il enfin; oui, roses et violettes, voilà le fond.

Cette nouvelle énigme résolue, le colonel se remit à l’œuvre jusqu’au soir. Le24courant, il dîna au cercle où il comptait voir Mauret, qui ne vint pas, et il retourna chez lui pour se plonger dans l’étude d’un passage de Jomini.

Trois jours plus tard, Mauret entra dans le cabinet de son ami.

–Eh bien, dit-il, vous donnez aux dames une singulière idée de la galanterie de l’armée française.

–C’est donc à vous, mon cher, que je dois l’invitation que j’ai reçue?

–Un peu à moi et beaucoup à notre général, qui a fait de vous, l’autre soir, un éloge… mérité. Il y a eu fatalité; je m’étais promis de vous voir le23, puis de venir vous prendre le24, afin de vous présenter. On m’a envoyé inspecter à l’improviste les travaux de Langres, d’où j’arrive. Savez-vous que Mme de Lesrel n’invite pas tout le monde? Vous lui devez, réglementairement, une visite d’excuse. Elle reçoit à partir de cinq heures, dans vingt minutes vous m’accompagnerez chez elle.

Les sourcils de M. de Lansac se froncèrent.

–Soit, dit-il néanmoins.

Vers cinq heures et demie, les deux officiers se dirigeaient à pied vers la rue de Courcelles. Le long du chemin, Mauret parla de nouveau avec tant de chaleur de la beauté, de la grâce, de l’esprit de Mme de Lesrel que M. de Lansac s’arrêta.

–Me voilà tenté de retourner à mon travail, dit-il. Je suis timide, et mon peu d’esprit à moi s’évaporera devant celui que vous prêtez à Mme de Lesrel. Je ne connais guère le monde, je n’entends rien à la mode, et la vue des très jolies femmes me fait toujours peur.

–Vous pouvez causer stratégie, mon cher, Mme de Lesrel sait tout ou devine tout.

–Diable! Mauret, vous parlez d’elle en amoureux.

–Je le suis, répondit le jeune homme d’un ton tragique, comme tous ceux qui l’approchent, comme vous le serez vous-même demain.

–Rebroussons vite chemin, répliqua M. de Lansac avec vivacité; je n’ai ni l’envie ni le loisir d’être amoureux.

–Trop tard, dit Mauret, qui venait de sonner à la porte d’un hôtel.

Aussitôt dans l’antichambre, M. de Lansac se sentit enveloppé d’un air tiède, parfumé d’une senteur qu’il connaissait déjà. On l’introduisit dans un salon où quatre lampes tamisaient une discrète lumière à travers des abat-jour en dentelles, tandis que la flamme d’un grand feu de bois éclairait crûment un magnifique tapis de Perse. Un peu en arrière de la cheminée, faisant face à ceux qui entraient dans son salon, Mme de Lesrel, assise sur une chaise longue, un écran à la main, se tenait à l’abri d’un bouquet de roses qui couronnait un cornet de cristal. Elle leva la tête au nom de M. de Lansac; le regard pénétrant de ses grands yeux l’enveloppa, et, souriante, elle répondit à son salut en lui tendant la main.

–Le général André et mon ami Mauret m’ont si souvent parlé de vous, monsieur, dit-elle d’une voix au timbre harmonieux, que vous me permettrez de ne pas vous recevoir en étranger.

M. de Lansac remercia, s’excusa de n’avoir pas profité de l’invitation dont il avait été honoré, et s’aperçut au moment de s’asseoir qu’une belle personne, debout près de la cheminée, rajustait son voile.

–Vous voulez donc partir? dit Mme de Lesrel à son amie.

–Oui; je vous ai vue, je n’ai pas aujourd’hui le temps d’autre chose.

–Vous permettez, monsieur? dit Mme de Lesrel en passant près du colonel, qui s’inclina.

Appuyée sur le bras de son amie pour la reconduire, Mme de Lesrel traversa le salon avec lenteur. Elle était vêtue d’une robe de cachemire blanc agrémentée de petits nœuds bleus, robe assez échancrée pour montrer la naissance de son cou rond. Elle retira un de ses gants et, de ses larges manches, sortit un bras magnifique. Mme de Lesrel, fière de son opulente chevelure, aux tresses d’un blond fauve, avait des façons à elle de se coiffer. En ce moment, ses cheveux étaient tordus et soutenus par une guirlande de perles. Elle marchait à petits pas, comme un peu lasse, avec des allures de créole. Elle regagna sa place. Tandis qu’elle remerciait Mauret de lui avoir amené M. de Lansac, celui-ci admira le visage ovale, le front pur, le nez fin, les sourcils bien arqués de Mme de Lesrel. Ses prunelles, vertes ou bleues, selon le jeu de la lumière, donnaient à son regard la profondeur transparente de ces eaux de source dans lesquelles se reflètent des bouquets de verdure. Des yeux d’ondine, pensa tout d’abord M. de Lansac. En somme, l’officier se sentit un peu troublé devant cette jolie femme qui n’avait rien cependant de l’imposante beauté de Junon, mais toutes les grâces harmonieuses d’une Parisienne.

La tournure que Mme de Lesrel sut donner à la conversation rendit vite son calme au colonel; elle interrogea, et l’officier n’eut qu’à répondre. Par quel hasard, après quelques propos sur le dernier opéra, en vint-on à parler de Napoléon, de ses manœuvres à la bataille d’Austerlitz? M. de Lansac ne s’en rendit pas compte; mais, comme il possédait à fond ce sujet, il expliqua, s’enthousiasma, fut intéressant. Tantôt Mme de Lesrel, qui avait saisi une broderie, faisait distraitement un point, tantôt penchée en arrière, la bouche animée par un sourire qui laissait entrevoir ses dents nacrées, elle contemplait son interlocuteur de son regard profond. M. de Lansac, contre son habitude, risqua un compliment. La jeune femme hocha doucement la tête, et, par une habile question, ramena le causeur à la marche des Russes vers les lacs glacés où ils devaient s’engloutir.

Cette conversation durait depuis un quart d’heure quand le valet de chambre annonça de nouveaux visiteurs. Le colonel, recueilli, put alors juger du charme avec lequel Mme de Lesrel recevait ses amis. Elle trouvait, pour chacun d’eux, un mot expressif, délicat. La conversation devint générale, et, à tour de rôle, la jolie femme amena jusqu’aux plus réservés à donner leur avis.

M. de Lansac fit un léger signe à Mauret et se leva.

–Viendrez-vous quelquefois m’instruire, monsieur? dit Mme de Lesrel de sa voix pénétrante et en arrêtant sur lui ses prunelles d’une profondeur bleue. Je suis tous les jours chez moi dès cinq heures, et vous me procurerez, je l’espère, le plaisir de vous présenter à M. de Lesrel.

Les deux officiers sortirent.

–Eh bien? demanda Mauret aussitôt que la porte de l’hôtel fut refermée.

–Eh bien! mon cher, vous m’avez certainement présenté à la plus aimable femme de Paris. A-t-elle toujours cet esprit, ou l’ai-je vue aujourd’hui sous des dehors exceptionnels?

–Vous en êtes à l’A, mon bon, et cet A a tant de modulations, que moi, qui connais Mme de Lesrel depuis quatre ans, j’en suis à peine au C ou au D.

–Une jolie femme sérieuse! car elle est sérieuse; je me préparais à parler chiffons,–cela m’a dérouté.

–Vous avez au contraire parlé en maître, lui dit son ami, et vous aurez certainement à m’expliquer sur la carte ce que vous avez ébauché devant Mme de Lesrel.

M. de Lansac alla dîner, et rentra chez lui de bonne heure, selon sa coutume inflexible. Il découvrit la carte à laquelle il travaillait, l’examina avec complaisance, et repassa, stratégiquement, tout ce qu’il avait expliqué à Mme de Lesrel. Vers minuit, ayant posé son compas, il fuma une dernière cigarette et vit danser dans les flammes de son feu les petits pieds sortant de chez Klein.

Les ailes brûlées

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